Il y a une vocation intellectuelle des différents peuples qui est comparable à celle des différents individus. Chacun d’eux occupe dans l’espace et dans le temps une position privilégiée, il possède un génie propre ; il réclame une mission historique qui lui donne des devoirs et qui élève jusqu’à l’absolu toutes ses aspirations. Rien n’est plus dangereux que la croyance à une telle mission lorsqu’elle se fonde sur un mysticisme ethnique ou religieux : car elle risque de recevoir une interprétation matérielle et de pousser une nation particulière à la domination temporelle de toute la terre ; tout peuple élu par Dieu doit tendre à anéantir les autres peuples ou à les réduire en esclavage.
Les mythes, dit-on, tiennent lieu d’explication à l’enfant, à l’humanité primitive. Mais l’adulte substitue aux mythes les preuves qu’il demande à la raison, les vérifications qu’il demande à l’expérience. Il abandonne les mythes au poète. Car le poète regarde l’univers avec les yeux de l’enfant : il a le même goût pour les images, la même faculté d’émotion.
La valeur suprême de notre vie dépend de l’art avec lequel nous savons reconnaître ces touches délicates, de la sincérité attentive avec laquelle nous voyons leur ondulation se propager jusque dans les régions les plus intimes de notre moi, de la fidélité avec laquelle nous retenons leur empreinte au lieu de la laisser dissiper.
Au cours d’une méditation, d’un entretien ou d’une lecture, il nous arrive de ressentir certaines touches qui ébranlent notre être secret et nous ouvrent un monde lumineux où les choses cessent de nous être étrangères, semblent acquérir avec nous une sorte d’affinité et répondre miraculeusement à nos aspirations essentielles.
Chacun de nous a une vocation qui lui est propre : il lui appartient de la découvrir et de la réaliser.