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Critique de Thrinecis


Quelle bonne idée ont eu les éditions Mercure de France de publier en 2006 cette Campagne des mers du Sud de Paul-Emile Lafontaine dans leur collection le temps retrouvé !
Exhumés par sa petite-fille, ces souvenirs de voyage du lieutenant de vaisseau Paul-Emile Lafontaine (1829-1887) sont un témoignage historique précieux sur les villes et les îles du Pacifique visitées par le croiseur le Seignelay d'octobre 1875 à mars 1879.

Vaisseau de la Division du Pacifique commandée par l'amiral Périgot, le Seignelay avait pour mission principale de protéger les intérêts militaires, commerciaux et religieux de la France en Amérique latine ainsi qu'en Polynésie. Une mission aux contours un peu flous qui amène les officiers du Seignelay à faire un peu d'ethnographie en Terre de Feu ou aux îles Samoa, à assister la souveraine de l'île de Pâques dans un imbroglio juridico-familial, à accompagner un évêque dans la tournée de ses missions catholiques installées dans les nombreuses îles éparpillées du Pacifique, ou à ravitailler Papeete avec des boeufs prélevés aux Marquises, pour ne citer que quelques unes des diverses missions menées durant ces longs mois loin de la France !

Ce récit de voyage n'est pas tout à fait un journal, car Lafontaine est très peu disert sur lui-même – il ne confie jamais ses états d'âme, excepté sur la fin – mais bien plutôt une chronique très documentée avec toutes les anecdotes des faits parfois croquignolesques qui vont se produire pendant cette longue odyssée du Seignelay.

A bord, l'équipage se distraie comme il peut, les officiers agrémentant le voyage avec plusieurs représentations théâtrales dont une pièce écrite par Lafontaine lui-même - "Le père Zénuphar" - qui rencontre un grand succès sur le moment mais ne semble pas être passée à la postérité.
Mais surtout, dès qu'on touche terre, on chasse ! Qu'il pleuve ou qu'il vente, toute la gente animale y passe sans distinction ni réel besoin : phoques, canards et bécassines dans le détroit de Magellan, perdrix au Chili, tortues à Panama, singes au Costa Rica, grouses à Vancouver, moutons, chèvres, cochons ou poules dans les îles du Pacifique, les officiers du Seignelay tirent sur tous les animaux rencontrés, les blessant souvent sans prendre la peine de les achever !

Paul-Emile Lafontaine s'extasie sur le développement fulgurant des grandes villes commerciales comme Valparaiso, San Francisco ou Montevideo qui semblent singulièrement plus modernes que notre Paris de l'époque.

Pour Lafontaine, c'est aussi l'occasion de rencontrer plusieurs reines des îles du Pacifique et d'assister aux fêtes et cérémonies traditionnelles données en l'honneur des officiers du Seignelay. Cette chronique nous livre ainsi des témoignages passionnants sur Pomaré IV la dernière souveraine de Tahiti, Correto la jeune reine de l'île de Pâques qui aimerait que son île soit sous le protectorat de la France afin de pouvoir protéger les derniers habitants de son peuple au sort si cruel, Marie-Amélie la reine des Iles Wallis, ou encore la reine de Nuku-Hiva aux Marquises.

Deux personnages s'invitent à bord, ajoutant encore de l'intérêt à ce voyage : Alphonse Pinart, célèbre explorateur, anthropologue et linguiste et Constance Gordon Cumming, grande voyageuse excentrique, peintre et auteure de nombreux livres sur ses voyages. Paul-Emile Lafontaine n'est guère tendre avec eux, distribuant coups de griffe à ces deux personnages célèbres dont il ne reconnaît pas – à tort - la valeur.
Car c'est dans ses relations avec les autres que se révèle la personnalité de ce discret narrateur.
Il est très moqueur avec le commandant Aube, un homme qu'il apprécie, mais auquel il reproche souvent sa faiblesse et son empressement à soutenir l'évêque.
Témoin privilégié de son époque et de la colonisation des îles du Pacifique, il ne manque pas non plus de dénoncer, avec toujours son ironie piquante et un anticléricalisme profond, le sort dramatique des Chinois et des Pascuans déportés ou esclavagisés pour l'exploitation du guano, et plus généralement, les abus de pouvoir des missionnaires et les violences subies par les autochtones sous prétexte de les "civiliser".

Un livre passionnant d'un réel intérêt historique !

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