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Citations sur Illettré (131)

Bébel et Léo ont en commun la honte. Elle est tenace, constante. Elle a modifié leur corps : démarche hésitante, épaules en creux, yeux baissés, hoquet des syllabes, le pied qui râpe le sol et n’ose franchir une ligne imaginaire qui terrifie. Mais tout bringuebalant qu’il est, le fait d’être forcé de rester à la surface du sens oblige Léo à un détachement singulier qui ressemble à de la prestance. Le léger déplacement de son être dans les limbes du langage a fini par rendre magistrale sa présence aux autres. Car on le remarque toujours. Quoi qu’il dise ou taise. Ses yeux verts jaugent et jugent si bien, qu’il est difficile de soutenir son regard. Léo est un regard. Il voit avant tout le monde. Anticipe. Devine. Il décèle la beauté là où les hommes ordinaires ne la remarquent jamais. Il la voit s’allumer en néons bleus au sommet de la grande tour, dans le hall de l’immeuble dont les murs sont recouverts de moquette marron, le long de la voie de chemin de fer désaffectée, sur le parvis de l’usine où le vent fait danser des flocons de polystyrène.
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Sensualité barbare de léo: toute la journée, ses yeux passent sur les signes. Il les voit, mais leurs géographies imaginaires ne veulent rien dire. Des angles, des bosses, des creux, des lignes, des vagues, des points: des continents entiers hors du sens, hors de lui. C'est comme ça. Il s'est habitué à ce que le monde parle une autre langue que la sienne et dispense à ses semblables des messages auxquels lui n'a pas droit; Le secret des hommes qui lisent et écrivent lui a longtemps fait envie. il aurait aimé entrer dans le cercle du secret, être initié à la délicieuse confidence. Cela aurait été vraiment formidable de pouvoir ajouter à sa propre histoire toutes celles des autres et de se sentir modifié par leurs pensées. (p; 40)
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La maîtresse était gentille mais complètement dépassée. Elle ne sut rassurer son nouvel élève qui ne connaissait rien à l'usage du stylo, prenait le tableau noir pour une porte fermée, ignorait tout ce qu'un livre pouvait contenir. L'école et ses petites cérémonies quotidiennes terrifiaient le garçon. (p.52)
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Et puis j'aime bien les cimetières, les mots des cimetières. Ils sont modestes. (p. 60)
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Page 84 – 85
Colère et tristesse furent d’ailleurs les deux legs, dont il hérita tôt. Tombé d’un échafaudage, son père handicapé devenu alcoolique le battait par désespoir. Sa mère, qui élevait la marmaille dans le bidonville de Noisy-le-Grand, eut le cran de se pendre au seul noyer qui s’était entêté à pousser au fond du terrain vague. C’est Bébel qui la trouva. L’ébriété perpétuelle du père le conduisit à la DDASS avec ses six frères. Grâce à l’action de l’abbé Joseph Wresinski, le petit garçon put fréquenter l’école primaire puis le collège, où il apprit les rudiments de lecture et d’écriture. Un matin d’hiver, il rencontra l’abbé. L’homme de Dieu dit à l’enfant d’être courageux et de bien s’appliquer en classe, lequel lui répondit que c’était difficile, en se retenant de pleurer. Il ne parvenait à oublier la vision du corps de sa mère pendue au noyer. Et puis il y avait ce professeur d’histoire au collège qui assenait de drôles de choses comme quoi la culture n’empêchait pas les hommes de devenirs des monstres, que l’Histoire avait fourni beaucoup d’exemples d’êtres abjects bien que très cultivés. Il insinuait qu’il fallait se méfier des livres et savoir rester humble. Et quand il disait ça, il avait des yeux tendres pour Bébel, son bon dernier de la classe. Le cancre devint alors une sorte de mascotte pour le prosélyte démagogue, la preuve incarnée que l’ignorance préservait sa pureté originelle à l’être humain, dès lors que celui-ci n’était pas manipulé par des propos ethnocentristes et dangereusement élitistes. Quand il évoque son enfance, Bébel explique à Léo qu’à l’époque il reçut de la part de son professeur une étrange caution à son état. Une sorte d’accord tacite fut passé entre eux. Le maître plastronnait en pourfendeur des classes dominantes, devenant ainsi le porte-parole des laissés-pour-compte. Le petit Bébel était la vivante affiche de ses idées : l’homme naissait bon et le restait si l’odieuse culture des bourgeois ne le contaminait pas. Outre que ce fonctionnaire de l’Etat devait se trouver dans une situation schizophrénique intenable du fait de ses positions, alors qu’il enseignait à l’école de la République et qu’il était lui-même le produit du système qu’il vomissait, ce dernier manifestait pour l’orphelin une tendresse malsaine. Il le savait sans affection et l’invita plus d’une fois chez lui pour des cours de soutien. Bébel n’a jamais avoué à Léo ce qui se passait lors de ces leçons du soir. Il s’est contenté de lui dire son soulagement quand à seize ans l’usine le priva pour toujours de la présence poisseuse de cet homme.
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Il n'y a que les mots qui peuvent tirer les hommes de l'obscurité. Les mots que l'on lit et que l'on grave sur l'écorce des chênes. Car ne faire que parler c'est peut-être rester dans les ténèbres. Parler a longtemps suffi à réchauffer Léo. (p. 147-148)
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Il ne s'est jamais senti aussi vide que depuis qu'il a commencé à aimer Sybille. Vide de mots, de toutes ces choses essentielles à dire afin qu'elle sache. Il faut faire vite. Un autre garçon plus habile que lui prendra bientôt la main de cette fille et saura lui conter ce qu'elle veut entendre. Pire encore: il le lui écrira. Et comme les femmes aiment les lettres d'amour, elle se donnera au premier courrier. Il pense que le monde se compose de deux catégories d'individus: il y a ceux au clair avec les signes-sachant faire l'amour aussi- et ceux en dehors du langage et du cœur des femmes. (p. 161)
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Ses fesses sont des quartiers de lunes impudiques soudées aux reins, dont la souplesse reptilienne révèle l'impertinent sourire de deux fossettes.
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La journée passe comme un dimanche, c'est-à-dire à la vitesse d'un gastéropode traversant une nationale.
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Page 85 – 86
La narration de Bébel rend Léo malade chaque fois qu’il l’entend. Evidemment que la culture n’empêche pas de devenir un salaud, il y a cependant tout à parier sur elle. Léo explique à Bébel qu’il n’y avait pas de livres dans le mobile home, que sa grand-mère est analphabète, et qu’il ne se souvient pas de ses parents lui ayant fait une seule fois la lecture avant de s’endormir. Puis il ajoute que tout gosse il eut la chance de mettre la main sur ces cassettes audio, où étaient enregistrées des œuvres qu’il écoutait en boucle. Grâce aux enregistrements, la musique de la langue, les images accrochées à la portée, les rythmes induits par les images font désormais partie de lui. Il en connaît même certains passages par cœur. – Et tu sais ce que cela veut dire connaître par cœur ? – Sais pas. – C’est avoir dans le cœur. Les mots qui sont là, sous la peur, personne pourra les arracher. Quand je vais devant Winkler pour vous défendre, ce sont des phrases entières qui reviennent comme une vague immense qui me porte et me grandit.
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