Une idée, une formule, un nom.
Les musées vaudois de Lausanne, le MUDAC, dédié au design et le Musée de la main, axé sur la vulgarisation scientifique et médicale ont oeuvré pour proposer en 2019 deux expositions complémentaires, l'une centrée sur la création des parfums, l'autre sur la perception des odeurs. Outre la gageure de montrer une essence subjective à un public composite, les deux institutions muséales ont tenté d'en garder trace à travers un catalogue d'exposition inerte et inodore. Pourtant, le défi relevé semble gagné tant le livre est riche des treize entretiens de créateurs de parfums. Il apporte des clés pour approcher le monde raffiné des parfumeurs en particulier et de l'olfaction en général quand les odeurs s'innervent aux affects. L'agréable surprise à la lecture émane du propos du parfumeur quand ses mots retracent le cheminement, du concept à sa traduction olfactive via des matières premières naturelles et synthétiques c'est-à-dire la mise en formule d'une idée. On aborde alors au seuil d'un univers unique dont on saisit quelques bribes chatoyantes. Ainsi, lorsque
le parfumeur Fabrice Pellegrin se remémore quand il accompagnait sa grand-mère pour la difficile et délicate cueillette du jasmin (8 000 fleurs pour un kilogramme et 650 kg pour un litre d'absolue de jasmin) sur le terroir de Grasse, il sait que la petite étoile blanche se ramasse au matin : "La surprise, c'est l'odeur du jasmin qui évolue au fil des heures. À l'aube, la fleur exhale une odeur fraîche, pétalée, cristalline. Lorsque le soleil monte, c'est une senteur plus fruitée, presque confiturée. le soir, on y sent des notes animales, indolées, puissantes."
le parfumeur de chez Firmenich présente quelques unes de ses créations emblématiques. Je suis parti d'un patchouli auquel j'ai voulu donner de la lumière. Ce naturel est un parfum à lui seul, ma matière préférée. Au sujet de son parfum "Comme une fleur", Roos et Roos (2017), il dit : "Pour contraster son côté sombre, j'ai mis du néroli en tête, vert et floral. de la bergamote, pour faire sourire la fragrance. Ainsi qu'une trace d'iris, pour l'élégance". Chaque interview est riche d'enseignements et relate le travail de création en train de se faire. Pour
Jean-Claude Ellena : "Tout peut me parler : une odeur, bien sûr mais aussi un lieu, un paysage, une rencontre, une expression utilisée dans une discussion". La démarche de Cécile Ellena est proche : "Je suis artisan lorsque je suis dans mon laboratoire, que je pèse et ajuste mes formules comme un peintre qui voit la naissance de son tableau et décide de changer une couleur. Je suis artiste quand je sors marcher, que je fais l'expérience de la pensée.
le parfum est une expérience de la pensée.
Je fais corps avec mon environnement, j'ai des antennes que je déploie, partout et tout le temps". La deuxième partie du catalogue d'exposition est toute aussi instructive. C'est à l'intersection de disciplines telle l'histoire, la sociologie, la philosophie, la psychologie, la biologie, la médecine, les neurosciences que les liens entre émotions et olfaction peuvent s'approcher. La lecture des différentes contributions de scientifiques est éclairante. À la fin de l'ouvrage, le lecteur compose son propre tableau à l'aide des multiples apports qui agissent comme des touches impressionnistes. Même si l'image demeure évanescente et floue, l'odeur a pris corps.