Vaincre le désespoir nous engage souvent dans des directions insensées.
L'homme que j'ai aimé comme un frère,dont le coeur a toujours débordé d'affection et d'amitié ne peut pas s'associer,même passivement,au massacre de gens innocents.Je garde confiance en toi,et je prie pour que mon hypothèse soit la bonne;il te suffit de me le confirmer par lettre par un simple "oui",à l'exclusion de tout autre commentaire qui serait dangereux pour toi.
L'homme électrise littéralement les foules; il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d'un fanatique. Mais je m'interroge : est-il complètement sain d'esprit?
Ses escouades en chemises brunes sont issues de la populace. Elles pillent, et elles ont commencé à persécuter les Juifs. Mais il ne s'agit peut-être là que d'incident mineurs : la petite écume trouble qui se forme en surface quand bout le chaudron d'un grand mouvement.
Martin, au sujet du Führer et de ses premiers pas à la tête de l'Allemagne
Tu dis que nous persécutons les libéraux, que nous brûlons les livres. Tu devrais te réveiller : Est-ce que le chirurgien qui enlève un cancer fait preuve de ce sentimentalisme niais? Il taille dans le vif, sans états d'âme. Oui, nous sommes cruels. La naissance est un acte brutal. Notre re-naissance l'est aussi. Mais quelle jubilation de pouvoir enfin redresser la tête ! Comment un rêveur comme toi pourrait-il comprendre la beauté dégainée ?
« Franchement, Max, je crois qu’à nombre d’égards, Hitler est bon pour l’Allemagne, mais je n’en suis pas sûr; […] il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d’un fanatique. Mais je m’interroge : est-il complètement sain d’esprit ? »
Il existe un havre où l'on peut toujours savourer une relation authentique : le coin du feu chez un ami auprès duquel on peut se défaire de ses petites vanités et trouver chaleur et compréhension.
Cher vieux max,
Tu as certainement entendu parler de ce qui se passe ici, et je suppose que cela t'intéresse de savoir comment nous vivons les événements de l'intérieur. Franchement, Max, je crois qu'à nombre d'égards Hitler est bon pour l'Allemagne, mais je n'en suis pas sûr. Maintenant, c'est lui qui, de fait, est le chef du gouvernement. Je doute que Hindenburg lui-même puisse le déloger du fait qu'on l'a obligé à le placer au pouvoir. L'homme électrise littéralement les foules ; il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d'un fanatique. Mais je m'interroge : est-il complètement sain d'esprit ? Ses escouades en chemises brunes sont issues de la populace. Elles pillent, et elles ont commencé à persécuter les Juifs. Mais il ne s'agit peut-être là que d'incidents mineurs : la petite écume trouble qui se forme en surface quand bout le chaudron d'un grand mouvement. Car je te le dis, mon ami, c'est à l'émergence d'une force vive que nous assistons dans ce pays. Une force vive. Les gens se sentent stimulés, on s'en rend compte en marchant dans les rues, en entrant dans les magasins. Ils se sont débarrassés de leur désespoir comme on enlève un vieux manteau. Ils n'ont plus honte, ils croient de nouveau en l'avenir. Peut-être va-t-on trouver un moyen pour mettre fin à la misère. Quelque chose - j'ignore quoi - va se produire. On a trouvé un Guide ! Pourtant, prudent, je me dis tout bas : où cela va-t-il nous mener ? Vaincre le désespoir nous engage souvent dans des directions insensées.
Heureusement qu'il existe un havre où l'on peut toujours savourer une relation authentique : le coin du feu chez un ami auprès duquel on peut se défaire de ses vanités et trouver chaleur et compréhension ; un lieu où les égoïsmes sont caducs et où le vin, les livres et la conversation donnent un autre sens à la vie.
Le 12 novembre 1932
Mon cher Martin,
Te voilà de retour en Allemagne. Comme je t'envie... Je n'ai pas revu ce pays depuis mes années d'étudiant, mais le charme d'Unter den Linden agit encore sur moi, tout comme la largeur de vue, la liberté intellectuelle, les discussions, la musique, la camaraderie enjouée que j'ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l'esprit hobereau, l'arrogance prussienne et le militarisme. C'est une Allemagne démocratique que tu retrouves, une terre de culture où une magnifique liberté politique est en train de s'instaurer. Il y fera bon vivre.
Tu es un sentimental. Tu ignores que les hommes ne sont pas tous faits sur le même modèle que toi. Tu leur colles une gentille petite étiquette de "libéral", et tu t'imagines qu'ils vont agir en conséquence. Tu te trompes. Moi, un libéral quasiment américain ? Jamais ! Un patriote allemand.