« T'as le look, coco ! »
Comment associer le nudisme et le végétarisme pour un « avenir sans souci », loin du monde civilisé du début du vingtième siècle ? Se rendre dans une colonie de Nouvelle Guinée pour y fonder « l'ordre du soleil » dédié à la culture de la noix de coco !
Telle est l'histoire d'August Engelhardt, aventurier allemand à la recherche du « pouvoir suprême » -
Imperium – dont le Suisse
Christian Kracht nous narre la biographie (très romancée) dans un style mettant en évidence l'étendue de l'espace et la longueur du temps.
En effet, un « look » inédit, style et regard confondus, pour mettre en exergue la Cocos nucifera , « couronnement légendaire de la création, fruit de l'arbre cosmique Yggdrasil ! ». Impossible donc, d'adopter une écriture simple, un style passe-partout, pour raconter les bienfaits d'une plante salvatrice portée aux nues.
Je devrais dire « nus », car c'est l'association d'une végétation luxuriante (luxe et riante) vénérée dans le plus simple appareil qui permet d'atteindre la plénitude d'un ascétisme exacerbé. le style employé par l'auteur est par là-même inversement proportionnel à la façon de vivre du héros de l'histoire, qui végète après s'être planté.
Des phrases interminables, utilisant toute la panoplie des signes graphiques à disposition - virgules, tirets, parenthèses – pour exprimer l'emphase d'un monde idéalisé à construire. En somme, se mettre à nu en empilant des couches successives, de façon à passer inaperçu dans un monde qui ne comprend pas les extravagances des illuminés solitaires.
En voici un exemple.
« Et comme celui-ci lui répondait par la négative, il sortit de son sac quelques pamphlets qu'il posa timidement à côté de lui, sur le banc – les écrits de ce swami indien dont les idées originales et le talent rhétorique venaient de faire sensation dans le Nouveau Monde - , ainsi que, miméographié et attaché avec un ruban (la reliure franconienne s'était décollée dès l'arrivée en mer Rouge, à Aden, sous l'effet de la chaleur), le traité qu'il avait lui-même rédigé et qui parlait de la puissance curative du cocovorisme, malheureusement en allemand, de sorte qu'Engelhardt pouvait certes faire état de l'objet, mais non familiariser son nouvel ami avec ses réflexions, formulées par écrit avec un savoir-faire nettement supérieur ».
Il va sans dire que si le livre avait dépassé les 180 pages j'aurais sans doute capitulé avant la fin de l'histoire. J'ai en effet passé la moitié du temps de lecture à revenir sur chaque phrase, au demeurant très bien écrites et sans fausse note, pour m'imprégner de l'ambiance décrite. Une mention particulière à la traductrice
Corinna Gepner, qui a dû jongler avec ce style si particulier.
Aussi, je ne saurai dire si j'ai passé un bon moment avec ce roman d'aventures singulier, pétri de grandiloquence et de démesure, qui décrit l'impérialisme décadent d'un occident qui sombra quelques années plus tard dans un fascisme dévastateur. Ce livre fourmille de références et de rencontres, toutes aussi indispensables qu'anecdotiques. Je n'ai pas envie de vous révéler le déroulement de cette histoire véridique, faite de petits riens étirés à l'extrême, sorte d'exil onirique. Il y a du Conrad et du
Rabelais dans le procédé narratif, agrémenté de sauce proustienne. Un cocktail à la noix.
« T'as le look, coco ! »