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Citations sur La belle vie (48)

La terre tournait. Arguéïev le sentit soudain dans ses jambes, dans son cœur : qu'elle tournait, qu'elle se ruait à travers l'espace, avec ses lacs, ses villes, ses hommes, et leurs espoirs, qu'elle tournait et se ruait, entourée d'aurores, à travers la terrifiante immensité. Et, sur cette terre, sur cette île, sous la lumière muette du ciel nocturne, il y avait lui, lui dont Vika s'éloignait. Ève quittait Adam, et il avait fallu que cela advienne non pas n'importe quand, mais à l'heure présente. Et c'était comme la mort, dont on peut se gausser tant qu'elle est loin, mais qu'il est intolérable d'évoquer, ne fût-ce qu'en pensée, quand elle est à côté de vous.

ADAM ET ÈVE.
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La nuit tombe de bonne heure, en septembre, au bord de la mer blanche, le crépuscule est bref, les nuits d'un noir d'ardoise, froides. Parfois, avant de se coucher, le soleil s'arrache aux nuages, jette un dernier rayon expirant sur la mer, la côte vallonnée, envoie un reflet jaune dans les petites fenêtres des hautes isbas, puis rougit aussitôt, s'aplatit et disparaît dans les flots.
Une bande crépusculaire d'un rouge sombre diffuse un éclat mat, le ciel haut et froid irradie une lumière faible, vacillante, tandis que la terre, les isbas du village, les pentes avec leurs pâtures bordées d'un hérissement de forêts aux petits arbres rabougris, tout, sombre dans l'obscurité et seules, près des bureaux, répondent à la chute du jour des billes de bois fraîchement écorcées et luisent des copeaux gras qui craquent sous le pied.
Quelques petits feux de bois vont s'allumer sur le rivage, tout près de l'eau : ce sont des gamins qui, assis à croupetons, se font rôtir des pommes de terre. Puis les fenêtres s'éclaireront… Mais bientôt tout s'éteindra, feux et lumières, et le village sombrera dans un long sommeil d'automne.

MARTHA L'ANCIENNE, I.
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— Je me dis souvent que vous autres, les femmes, vous n'aimez ni la chasse ni la pêche ; dommage, c'est si beau comme sentiment ! C'est pas seulement que vous n'aimez pas ça, mais on dirait même que vous ne le comprenez pas, comme si, dans ce domaine, il vous manquait quelque chose. Comment expliquez-vous ça ?
Dans la pénombre, il la vit bouger, rejeter les cheveux en arrière, se frotter le front.
— La chasse est un meurtre et la femme est mère, c'est pourquoi tout meurtre lui répugne doublement. Vous me parlez du plaisir que vous éprouvez à voir un poisson se débattre ; moi, cela me dégoûte. Pourtant, je vous comprends ; c'est-à-dire que je comprends que si vous allez à la chasse ou à la pêche, ce n'est pas par cruauté.

« REGARDEZ CE CHIEN QUI TROTTE ! ».
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— Quand le charpentier vient clouer le cercueil, il est trop tard pour aller à la danse, dit-elle avec un contentement visible.
Elle n'a pas peur de mourir. Elle est inébranlablement convaincue que la vie est juste et qu'il est juste et indispensable que la mort arrive.
— Voilà longtemps que ma tombe m'attend, dit-elle avec tendresse, comme si elle parlait de quelque chose de très agréable, en dirigeant son regard terne par-dessus ma tête. Mon père et ma mère y sont déjà couchés… Et tous mes garçons aussi, tous les miens. Ils se languissent de moi, pour sûr. Et moi — louée sois-tu, reine des cieux ! — j'ai fait mon temps.

MARTHA L'ANCIENNE, III.
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Iégor se réveille au moment où le soleil se couche et où tout s'emplit d'une moire brumeuse, tandis que la rivière se fige dans une immobilité dorée. Il bâille. Il bâille avec une peine exquise, il défaille, se redresse, puis s'étire presque à en avoir des crampes. Pour ainsi dire sans décoller les paupières, les mains molles et pressées, il roule une cigarette et l'allume. Puis il aspire la fumée, profondément, voluptueusement, bruyamment, comme un sanglot ; à moitié endormi, il tousse avec délices et, sous sa chemise, il se gratte vigoureusement la poitrine et les côtes de ses ongles forts. Ses yeux s'embuent, deviennent vagues, son corps d'une langueur douce et dispose.
Son envie de tabac satisfaite, il s'en va dans l'entrée boire, aussi avidement qu'il vient de fumer, un verre d'eau froide qui sent la feuille et les racines et laisse dans la bouche une saveur qui agace agréablement les dents. Après, il prend ses rames, ses fanaux à pétrole, et descend jusqu'à sa barque.

TRALI-LALI, I.
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Et, traînant sa canadienne derrière lui, il retourne à sa cabane,s'étend auprès d'Aliona, la réveille, se glisse contre elle, se serre contre elle, pitoyable et avide, ne sentant plus qu'elle, prêt à pleurer comme un enfant. Les paupières fortement serrées, il se frotte le visage contre son épaule, lui embrasse le cou, tout amolli de joie, de chaud amour et de tendresse pour elle, sentant ses réponses se poser sur son visage, baisers furtifs et doux, et il ne pense plus rien, il ne désire plus rien, sinon que cela dure toujours.
Après, bien que rien ne les empêche de parler à voix haute, ils chuchotent. Comme toujours, Aliona cherche à convaincre Iégor de se ranger, de cesser de boire, de se marier, d'aller chercher ailleurs un travail véritable où on le tiendrait en estime, où on parlerait de lui dans les journaux.
Pourtant, une demi-heure plus tard, tranquillisé, nonchalant, moqueur, Iégor ressasse son "trali-lali" favori, mais avec quelque chose de distrait, sans malice, car il souhaite, au fond de lui-même, qu'elle murmure, qu'elle murmure encore ces mots destinés à le convaincre de recommencer une vie nouvelle.
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Cependant, à minuit, il se fera une clarté subite. Les troncs élancés, frémissants, bondiront vers le zénith en un mouvement silencieux et terrible, échangeant leurs couleurs pâles reflétées par la mer, qui s'éteindront aussi vie qu'elles avaient surgi. Alors les ténèbres se refermeront sur la terre pour s'y maintenir longtemps, obstinément, jusqu'à ce que l'aube se lève à regret sur un lendemain maussade.
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La draisine s'ébranle, les phares s'allument, arrachant aux ténèbres des signaux, des pare-neige, des traverses empilées en croix, des sapins nus et solitaires. Des aiguillages s'enfuient. La draisine vibre aux jointures des rails, prend de la vitesse, fonce dans l'obscurité avec un grondement sonore. Les rares voyageurs se taisent, regardant par les fenêtres, embuant les vitres de leur souffle. Ils filent à présent au milieu d'un hurlement sinistre et de grands cahots. La forêt court sous leurs yeux, pareille à un mur compact et noir. Quelquefois un projecteur éclaire des entrepôts tout en longueur ou des percées dans la forêt. Alors ressortent sur les vitres des gouttes obliques, sinueuses.
Parce qu'il va bientôt revoir sa mère, qu'il fait chaud dans la draisine, que cela sent légèrement l'essence et les valises, que la pluie s'arrête - des lambeaux étoilés et violets commencent à se montrer dans le ciel -, Vassili est parfaitement heureux. Il s'est étalé tout à son aise sur son siège, les jambes largement écartées. Il aime le vieux Stépane, il aime le chauffeur, les passagers, la vitesse avec laquelle ils filent, et l'air pur du pays natal qui s'engouffre par une fente...
La draisine file toujours, envoie parfois un coup d'avertisseur nasillard. A l'avant, pointe la lueur d'incendie allumée par l'éclairage du combinat du bois. Stépane remue, tend le cou, regarde en avant, par-dessus l'épaule du chauffeur. Lui aussi, il a les idées roses. Ils vont bientôt arriver, la maison des Pankov en sera toute révolutionnée, les voisins vont défiler, après on causera, on distribuera les cadeaux...
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La nuit, lorsque la tempête se déchaîne sur la mer, que gronde le ressac tout près, à nos pieds, et que son hurlement envahit l'isba à en ébranler les plafonds et les murs, agenouillée dans un coin, Martha prie. Elle ne prie pas pour elle, mais pour ceux qui sont partis pêcher dans la mer de Barentz.
— Envoie-leur bon vent, Seigneur, murmure-t-elle en se prosternant et en se frappant le front contre terre. Épargne-les, Seigneur, prends-les sous ta garde, bon saint Nicolas !
J'éprouve à l'entendre une impression étrange, comme si c'était ma grand-mère qui priait, ma mère que j'entendais dans mon sommeil, tous mes ancêtres, paysans, laboureurs, couchés et oubliés par les cimetières qui, leur vie durant, de leur enfance à leur mort, ont retourné la terre et fauché des moissons, fait germer le grain et une vie nouvelle, que c'étaient eux qui priaient le dieu mystérieux des vieilles Écritures et le bon saint Nicolas, non pour eux-mêmes, mais pour le monde et pour la Russie.

MARTHA L'ANCIENNE, III.
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On aurait dit que le soleil s'était levé uniquement pour voir si la capitale superbe n'avait pas disparu, n'était pas tombée en poussières pendant la nuit. Ayant constaté qu'elle était toujours là, il s'était aussitôt entouré d'un écran de nuages. Ainsi commençait cette journée d'hiver à Saint-Pétersbourg, éblouissante au matin et aussitôt assombrie.

LA SONNERIE DU BRÉGUET, I.
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