Baygon jaune, Baygon vert.
Michel Leeb, sors de ce corps !
Entomologiste de cette drôle de bestiole qu'est l'humain, Kafka, qui a su transformer ses déprimes en chefs d'oeuvres, n'est pourtant pas à l'origine de l'expression avoir le cafard. Je vais cafarder, mais le mot vient de l'arabe « Kafir » qui désignait un mécréant, et c'est
Baudelaire, le roi du spleen, un autre sacré comique, qui a usé de la métaphore pour imager ses idées noires.
C'était l'incipit Wikipédant pour étaler ma science… de copiste.
Cette nouvelle, non relue depuis le lycée dans le cadre de ma propre métamorphose acnéique, c'est l'incarnation absolue du cauchemar. Alors que le petit jour délivre normalement des mauvais rêves Grégor Samsa, voyageur de commerce qui habite dans un appartement avec ses parents et sa soeur, se réveille dans le corps d'un insecte monstrueux, et il ne s'agit pas des effets secondaires d'une gueule de bois d'anthologie. C'est de la magie littéraire, un postulat posé dès la première phrase.
Fils nourricier et dévoué d'une famille de parasites, Grégor va devenir le parasite de sa famille. Reclus dans sa chambre, humilié et répugnant, Grégor est peu à peu rejeté par les siens qui ne l'incite pas à sortir de sa carapace et finit comme un rebus.
La soeur docile et serviable se transforme en ingénue, le père retrouve un travail et une autorité débonnaire et la mère théâtralise ses émotions à outrance pour endosser le rôle de victime et immuniser son fils de tout conflit oedipien.
Si la cellule familiale brille davantage par sa honte que par sa compassion, que les liens du sang semblent solubles dans la dépendance,
la Métamorphose constitue également une extraordinaire critique de l'aliénation de l'individu par le travail. Grégor se lamente moins de son sort que des conséquences immédiates de son absence à son poste. Ses tentatives pathétiques pour sortir de son lit et de sa chambre pour aller au turbin sont d'extraordinaires trouvailles kafkaïennes.
Dans le génie de l'absurde, je place
La Métamorphose au panthéon de la nouvelle avec le Bartleby de Melville.
Côté construction, c'est tout simplement parfait. Pas une ligne de trop, une histoire taillée sur mesure pour une nouvelle, des passages inoubliables, pas de temps faible.
Bizarrement, malgré l'immense pitié qu'inspire Grégor, la réputation des blattoptères ne s'est pas améliorée depuis l'écriture de ce grand classique en 1912. A ma connaissance, aucune association ne milite pour la préservation des cafards. Pas de trace du club « Les amis des blattes » ou du slogan « Sauvons les cancrelats ». Pas un défenseur de la cause animale ne semble prêt à adopter une petite colonie de ces innocents insectes. Pourtant, ce n'est pas plus moche qu'un Chihuahua ou un chat sans poil. Ni plus bête. Quels snobs !
Cette lecture peut soigner les phobiques des insectes mais le risque est de développer une allergie à leurs congénères.
D'ailleurs cette nuit, I have a dream. Et si certains cafards se réveillaient en hommes ?
Je vais enchainer par une rediffusion de « La Mouche » de
David Cronenberg et offrir mon corps à quelques moustiques tigres jaloux de ma considération pour d'autres nuisibles.