Grâce à quelques expositions récentes, on a montré au public français les merveilles d'art et de culture de la longue civilisation mésopotamienne, bien que nos penchants culturels, depuis
Bonaparte et
Champollion, nous aient rendu l'égyptologie plus familière. Ce livre-ci, qui vient de paraître, "La Mésopotamie - de
Gilgamesh à Artaban", est donc très bienvenu car il mettra à la portée du lecteur curieux de nombreuses études anglo-saxonnes, dans une synthèse remarquable. Cette synthèse est d'autant plus nécessaire que l'histoire antique de la Syrie et de l'actuel Irak est à la fois très longue (plus de trois mille ans) et très agitée, confuse et difficile à appréhender comme un ensemble : les grands états centralisés n'ont jamais duré plus d'un siècle ou deux, à l'opposé de l'Egypte pharaonique. Les auteurs de cette somme de mille pages, étudient en profondeur chaque lieu et période, dans la mesure où la documentation le permet, sans jamais perdre de vue leur projet global, qui est de décrire une civilisation pérenne, assimilatrice, très individualisée et finalement peu connue. Un des grands avantages de cette lecture sera de nous faire réfléchir à partir de cas concrets à la naissance de l'état, à sa nature et à sa nécessité. L'iconographie est riche, belle, mais assez traditionnelle : avec le pillage par les Irakiens de leurs propres grands musées, la multiplication des fouilles clandestines (qui sont des catastrophes archéologiques) alimentant le marché privé des antiquités, et les destructions musulmanes au bulldozer des plus belles villes antiques de Syrie et d'Assyrie, au nord, les recherches sur le terrain sont quasiment arrêtées. Heureusement, des missions récentes ont été envoyées à l'extrême sud - l'ancien Sumer-, tenu par les chiites et assez calme, et dans les territoires kurdes libérés des "islamistes" , au nord. Donc il y a peu d'images nouvelles (parfois la légende d'un objet ou d'un monument connus nous rappelle leur triste sort), mais on lira de nombreux textes anciens diffusés pour la première fois, à partir des traductions de spécialistes anglophones. Des plans, des cartes et des tableaux chronologiques bienvenus, éclairciront les idées et compléteront les données du petit et dense "
Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne" de
Francis Joannès, plus philologique (cette dimension manque un peu ici).
Ce livre magnifique n'a pas été retenu par Babelio dans sa liste de rentrée littéraire, ce qui est un indice du niveau culturel de ce site, alors que l'ouvrage procure à la fois la distraction et l'évasion dans un passé inconnu, et le plaisir savant d'apprendre quelque chose sur nos origines (en exergue, il y a cette citation de
Lucien Jerphagnon : "L'Antiquité n'est pas ce qui est passé, c'est ce qui ne peut pas mourir"). On pourra toujours lire ce livre de la première à la dernière page, depuis la "sortie" de la préhistoire jusqu'aux tout derniers temps, ceux de la dernière tablette cunéiforme datable, à l'époque parthe, au début de l'ère chrétienne. Mais le grand public curieux peut aussi (et c'est ce que je conseillerais) traiter cette somme comme un dictionnaire historique, et aller d'article en article, de manière un peu capricieuse et au gré des belles images, des noms et des séductions.