Patrice Jean écrit des livres très drôles où il se moque comme il convient du wokisme et des wokistes, ce qui est tout à son honneur. Son chef d'oeuvre est sans doute
L'homme surnuméraire, pour des raisons que je dirai.
Mais voici son premier livre,
La France de Bernard, que je n'avais pas lu jusqu'ici ; maintenant je l'ai lu, et mon sentiment est mitigé ; bien sûr, le livre est drôle. Son héros (si l'on peut dire), comme souvent chez l'auteur, est un imbécile, comme celui du Parti d'Edgar Winger, ou de
Rééducation nationale ; échappe cependant à la règle celui de
l'Homme surnuméraire, aimable ludion qui me fait penser au personnage incarné par
Romain Duris dans l'Auberge Espagnole ; celui-là n'est pas bête du tout, et il y a deux ou trois autres personnages sympathiques, raison pour quoi peut-être j'apprécie particulièrement ce livre ; pourtant d'habitude la méchanceté en littérature ne me dérange pas trop;peut-etre que je vieillis (sûrement que tu vieillis, Dominique!)
En revanche, je digresse toujours autant ; suffit !
Donc notre héros, Bernard Michaud, est un imbécile ; il est cadre moyen dans une grande entreprise. Un jour à la suite d'une remarque d'une collègue (pour la remarque, reportez-vous à la quatrième de couverture), il décide qu'il est philosophe ; d'ailleurs pourquoi pas ? de nos jours, on trouve des philosphes auto-proclamés à tous les coins de plateau de télévision ou de radio ; un des plus ineffables et Charles pépin, que je me suis payé sur le site.
Ce n'est pas difficile d'être philosophe, il suffit d'une année de fac ou deux, voire d'un bac philo, comme on disait de mon temps, voire de rien du tout. Dans ce domaine, le langage est prescriptif ; on dit qu'on l'est et on l'est. Et pourquoi pas ? Qu'est-ce que la philosophie sinon, comme l'a dit Huxley, l'art de trouver de mauvais raisons à ce que l'on croit, en vertu d'autres mauvais raisons ? Ou encore un jeu sur le langage. Bon, je déteste la philo, mais j'ai des circonstances atténuantes : j'ai eu un prof de philo marxiste (pléonasme à cette époque) et très méchant.
Et alors, Bernard Michaud ?
J'y viens, j'y viens !
Par le truchement de sa supérieure hiérarchique, dont le mari est prof dans le supérieur, il pénètre dans différents cercles où l'on pratique la philosophie, et surtout la bonne conscience de gauche, tendance canal historique Télérama ; parce que tout ce peit monde est cultivé, lit les livres qu'il faut lire, voit les pièces et les films qu'il faut voir, admire les artistes qu'il faut admirer, et parle, parle, parle, et déparle, comme on dit dans mon
Sud-Ouest ; Télérama, justement, l'auteur nous en dit qu'il s'est beaucoup inspiré pour ses dialogues du courrier des lecteurs de ce magazine ; je veux bien le croire ; hélas le courrier susdit a disparu (le livre a été écrit en 2013).
Je le sais parce que, j'ose à peine le dire, je lis moi-même Télérama ; eh oui, Télérama a au moins un lecteur réac ;leurs critiques télévision sont parfois très drôles, il suffit de ne pas lire le reste, et de se garder surtout d'aller voir les films burkino-modalves en version originale sous-titrée qu'il conseillent
Un peu largué, il décide de se cultiver par lui-même, et se lance dans les grands auteurs ; il s'essaie même à rédiger un dialogue à la manière de
Platon, son idole, et quand on y pense, ce n'est guère plus faux et de mauvaise foi que l'original ; à débattre avec soi-même, on triomphe aisément et le dialogue est la forme littéraire le plus malhonnête.
Et Bertrand pénètre aussi dans d'autres icercles de l'enfer cultureux, notamment les cafés philosophiques ; mais sont-ils vraiment plus philosophiques que les vrais cafés ?
J'en doute ; lors de son odyssée culturelle, un peu dépité de la culture, Bertrand passe quelques soirées dans un vrai café populaire, à l'ancienne.
Mais ce passage, je l'ai détesté, parce que l'auteur en peint la clientèle dans la meilleure tradition du mépris pour le peuple des soi-disant élites intellectuelles ; affreux, sales et méchants, voilà comment sont les consommateurs, pour reprendre le titre d'un film de Risi que j'ai détesté pareillement.
Et voilà comment ils voient le peuple, ces cultureux qui se pâment devant les Bidochon et les Beaufs de
Cabu. Mais le peuple pense mal, n'est-ce pas ? Alors il faut en changer.
En tout cas, je préfère de beaucoup passer un moment dans un tel café que dans un café philosophique, où je ne mettrais d'ailleurs les pieds que contre une somme à six chiffres
Ce passage m'a fait me demander d'où l'auteur parle vraiment, et c'est pour cela que mon sentiment sur le livre demeure mitigé.
Patrice Jean taille aussi chemin faisant une veste, et même un costume trois pièces à
Onfray ; j'en ai été surpris, car il ce dernier ne ressemble pas aux autres têtes de turcs du livre ; et puis je me suis dit que c'était le
Onfray de l'époque, celui de l'Université Populaire de Caen, pas le
Onfray d'aujourd'hui, ce merveilleux imprécateur héritier de
Bernanos, qui dénonce comme aucun autre les monstruosités de notre époque, ce chrétien qui croit qu'il est athée, cet homme de droite qui croit qu'il est de gauche (je lui souhaite de le comprendre un jour, et cela viendra sans doute. Il y a plus de joie dans la maison du Père pour un pêcheur repenti.que pour cent juste de)alors Jean a raison, on ne peut lui reproche de n'être pas prophète.
Notre pauvre Bernard, finalement, qui est bête mais pas méchant, à la différence de la plupart des intellectuels qu'il rencontre au cours de son odyssée, finira assez bien, à peu près comme le Romain du Parti d'Edgar Winger, auquel il ressemble.
Alors, un bon livre ? Oui, quand même.
Et puis il nousdonne une raison d'espérer : finalement le wokisme d'aujourd'hui n'est pas pire que celui d'il y a onze ans ; il faut croire que la bêtise n'a pas progressé ; c'est toujours çà.