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Critique de glegat


Le nombre de Shannon, soit 10¹²°, correspond au nombre de parties d'échecs possibles. Il est 1 milliard de milliards de milliards de milliards de fois plus grand que le nombre d'atomes présent dans l'univers.
Si vous avez déjà le vertige arrimez-vous fermement, car avec ce livre vous allez pénétrer dans un univers parallèle. Un univers au sein duquel navigue une catégorie bien particulière d'humain : les joueurs d'échecs.

En publiant ce livre, Livie Hoemmel fait une entrée fracassante dans la littérature, car il s'agit de son premier roman. Il vient de réaliser un coup de maître. En notation échiquéenne son opus mérite un double point d'exclamation. C'est le symbole que l'on utilise aux échecs pour décrire un coup remarquable, voire génial.

Dans l'univers, les trous noirs exercent des forces d'attraction extrêmes qui peuvent happer la matière et l'engloutir. Est-ce un tel phénomène qui est à l'origine de la disparition du célèbre champion du monde Bobby Fischer ? En 1972, en pleine guerre froide, celui qu'on a qualifié de meilleur joueur de tous les temps, doté d'un QI de 180, vient de remporter le Championnat du monde face à Boris Spassky. Ce joueur était le plus doué de cette génération couvée par le kremlin et formatée pour gagner la bataille idéologique contre les États-Unis. Mais après sa brillante victoire, vécue comme une humiliation insoutenable par l'Union soviétique, Bobby Fischer disparaît subitement des radars. Il se retire de toutes les compétitions. Il renonce à défendre son titre dans le match qui doit l'opposer à Karpov en 1975. À 29 ans Fischer tire un trait sur sa carrière internationale de joueur d'échecs sans donner d'explication. Il part en voyage autour du monde, se laisse pousser la barbe et les cheveux. À partir de ce moment, la légende commence.

Beaucoup d'hypothèses ont été émises. Selon certains, Bobby se sentait menacé par le KGB et craignait d'être empoisonné, pour d'autres son retrait était dû à une quête de spiritualité, il voulait rejoindre l'église universelle de Dieu. Mais d'autres encore ont pensé que Bobby Fischer avait peur de perdre, qu'il était aux portes de la folie, que les règles ne lui convenaient pas ou que la bourse de cinq millions de dollars n'était pas assez prestigieuse.

Depuis plus de 50 ans, des centaines d'enquêtes ont été menées. L'histoire de cet homme refait régulièrement surface dans les médias, comme celle du monstre du loch Ness, sauf que lui, Bobby Fischer, est bien réel et ce qui lui est arrivé dépasse toutes les fictions. C'est ce que nous révèle l'auteur de ce thriller que l'on pourrait tout aussi bien qualifier de roman-document, roman psychologique, d'aventure, d'amour, de roman policier ou de roman d'espionnage. C'est aussi un hommage à Bobby Fischer et une introduction au monde des échecs même s'il n'est pas nécessaire au lecteur de connaître les règles du jeu pour apprécier l'histoire. L'auteur s'appuie sur le témoignage d'un ami d'enfance de Bobby Fischer, un vieil homme qui vient se confesser au travers d'un manuscrit retrouvé miraculeusement par l'auteur et qui a échappé aux recherches des services secrets russes. Ce livre est un roman multiple, foisonnant, d'une incroyable richesse intellectuelle et émotionnelle. Il est aussi un prétexte pour aborder des thèmes philosophiques et littéraires et nous plonger dans le symbolisme du jeu d'échecs et la mythologie. Ce parcours qui va de Parménide à Shopenhauer, de la philosophie antique à la physique quantique est aussi un voyage littéraire jalonné par quelques citations extraites des oeuvres des plus illustres écrivains : Corneille, La Bruyère, Voltaire, Dostoïevski, Gogol, Dumas, Stendhal, Balzac et bien d'autres.

L'auteur parvient à nous restituer le mécanisme d'un complot fomenté dans le but de détruire l'ennemi public numéro un des Soviétiques : Bobby Fischer. de Brejnev à Poutine ce livre raconte le dispositif subtil mis en place par les agents du KGB et dénonce au passage un pouvoir fondé sur la propagande, le mensonge et la violation systématique des droits de l'homme. Pour détruire le roi des échecs, il fallait une femme de génie. Brejnev propulse Olga Komarova, une femme aux capacités intellectuelles hors norme, à la tête de la cellule Enigma chargée d'éliminer Bobby. Comment y parviendra-t-elle et quelles sont ses motivations réelles ? C'est l'un des nombreux secrets que vous révélera ce livre étonnant.

Cet ouvrage est une oeuvre polyphonique inspirée par le Mozart des échecs et qui se dévore comme un polar ou comme un essai sur les forces antagonistes qui gouvernent le monde. C'est aussi la réalisation de la promesse faite par un fils à son père de découvrir et de révéler au monde l'un des secrets les mieux gardés de l'histoire. Mais au terme de cette aventure, un doute subsiste sur l'identité de l'auteur du manuscrit révélant la vérité sur Bobby Fischer. J'avoue avoir mis mes neurones à l'épreuve pour démêler l'écheveau final malgré les révélations de l'auteur à la fin de l'ouvrage. Cet ultime dénouement d'une histoire complexe aux variantes exponentielles donne un aperçu des batailles qui se joue sur un échiquier. Après la lecture de ce livre le mystère qui planait autour de la vie de Robert James Fischer est-il résolu ? Oui, en grande partie, mais l'analyse post-mortem pourrait, nous révéler de nouveaux horizons comme la note finale d'un parfum qui perdure après la vaporisation. Peut-être qu'une suite est prévue ?

Pour ajouter à son mystère Bobby Fischer, est mort à soixante-quatre ans comme le nombre de cases sur un échiquier…

Ce livre ravira non seulement tous ceux qui pratiquent ce jeu millénaire, mais aussi tous les lecteurs qui apprécient les intrigues solidement documentées et comportant de multiples rebondissements.

— « Le sacrifice du roi », Livie Hoemmel, Plon (2023), 445 pages.
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