Un sandwich à Ginza n'est ni un roman, ni un essai sur l'art culinaire nippon, ni un livre de recettes, ni un récit autobiographique, ni... J'arrête là cette liste, pour dire en quoi consiste donc ce volume paru chez Picquier. L'auteure révèle à la fin qu'il s'agit de chroniques qu'elle a rédigées pour la revue All Yomimono. En les lisant, j'y ai surtout vu une déambulation gastronomique, une pérégrination gourmande entre Tokyo et Osaka, au fil des saisons.
Diplômée de sociologie et rédactrice d'essais littéraires et culinaires, Hiramatsu Yôko met ici son savoir au service d'une promenade dans la cuisine japonaise des différents quartiers de la capitale et de la grande ville du Kanto qu'est Osaka. Pour la plupart des Occidentaux, qui dit cuisine japonaise dit sushi. Éventuellement ramen et sashimi, plus une image du fugu au terrible potentiel mortel s'il est mal préparé. L'auteure nous fait découvrir combien plus vaste et diversifié est la gastronomie de l'archipel. Loin des restaurants "tendance", elle déroule ses visites dans de discrets mais anciens établissements, de petites gargotes introuvables dans le dédale tokyoïte si l'on ne connaît pas, des grands rendez-vous de restauration populaire, ... Nombre de ces endroits sont très spécialisés. Ainsi d'un spécialiste du nabe (équivalent à la cuisson de type pot-au-feu) de loches, de l'omelette garnie, de l'anguille grillée, etc.
Il se dégage de ces pages un délectable fumet et une sensualité palpable. L'auteure et ses commensaux se régalent, moi aussi par procuration. Bon, pour être tout à fait honnête, certains plats ne me tentent pourtant guère : les viscères d'holothuries en brochette, laitance de carpes à la vapeur par exemple - peut-être à tort. Ou encore l'expérience des cocons de vers à soie frits... avec naturellement le ver dedans. Une spécialité du Nord-est chinois qu'on trouve dans le quartier d'Ikebukuro où réside une grande partie de la diaspora chinoise dans la capitale japonaise. Car la gourmande Yôko n'est absolument pas une nationaliste du goût, bien au contraire
Cuisines occidentales - remaniées très souvent -, coréennes, chinoises, bières belges, ses baguettes et ses doigts voyagent partout pour le plus grand bonheur de ses papilles.
Les diverses chroniques n'ayant pas vraiment de lien suivi, il est possible de les picorer à sa convenance. Ou les engloutir à la suite. Cet ouvrage réjouissant est également très instructif. J'ai découvert encore plus l'étonnante diversité des ingrédients participant aux plaisirs de la table au Japon, végétaux, poissons, mammifères.
Hiramatsu Yôko dresse enfin, à travers ses anecdotes, le portrait de cuisiniers, serveurs, livreurs, qui se vouent à leur profession comme à un sacerdoce. Pas de renommée nationale ou internationale mais un respect pour chaque aliment, chaque préparation, chaque client. Souvent petits établissements familiaux, certains remontent jusqu'au XVIIIème siècle, ayant évité aléas économiques, ruptures généalogiques et bombardements lors du dernier conflit mondial. Un bel hommage est ici rendu à toutes ces "petites mains" actives et passionnées.
De quoi conclure ce compte- rendu de lecture de la même façon que les Japonais concluent leurs repas, par une formule de gratitude envers chaque aliment et ses préparateurs : "Gochisô sa ma deshita!"