Citations sur Annapurna Premier 8 000 (92)
Une joie m'étreint ; je ne peux pas la définir. Tout ceci est tellement nouveau et tellement extraordinaire ! Ce n'est pas une course comme j'en ai fait dans les Alpes, où l'on sent une volonté derrière soi, des hommes dont on a une obscure conscience, des maisons qu'on peut voir en se retournant. Ce n'est pas cela. Une coupure immense me sépare du monde. J'évolue dans un domaine différent : désertique, sans vie, desséché. Un domaine fantastique où la présence de l'homme n'est pas prévue, ni peut-être souhaitée. Nous bravons un interdit, nous passons outre à un refus, et pourtant c'est sans aucune crainte que nous nous élevons.
Le sommet est à nos pieds. Au-dessus de la houle dorée des nuages, d'autres sommets s'érigent dans l'azur et l'horizon s'étend à l'infini.
Le sommet atteint n'est plus le Sommet. L'accomplissement de soi-même, est-ce la fin, est-ce bien la dernière réponse?
Préface - Lucien Devies
Le cirque où nous sommes est d'une sauvagerie intégrale. Aucun homme n'a jamais contemplé ces montagnes qui nous entourent. Aucun animal, aucune plante n'a droit de cité dans ces lieux. Dans la pureté du matin, cette absence de toute vie, cette misère de la nature ne font qu'ajouter à notre force intérieure. Qui comprendra l'exaltation que nous puisons de ce néant alors que les hommes s'éprennent des natures riches et généreuses ?
L'Annapurna, pour chacun de nous, est un idéal accompli : dans notre jeunesse nous n'étions pas égarés dans des récits imaginaires ou dans les sanglants combats que les guerres modernes offrent en pâture à l'imagination des enfants.La montagne a été pour nous une arène naturelle où, jouant aux frontières de la vie et de la mort, nous avons trouvé notre liberté qu'obscurément nous recherchions et dont nous avions besoin comme du pain.
La montagne nous a dispensé ses beautés que nous admirons comme des enfants naïfs et que nous respectons comme un moine l'idée divine.
L'Annapurna, vers laquelle nous serions tous allés sans un sou vaillant, est un trésor sur lequel nous vivrons. Avec cette réalisation c'est une page qui se tourne... C'est une nouvelle vie qui commence.
Il y a d'autres Annapurna dans la vie des hommes ...
Un jour, à Putliket, sur une verte pelouse, Oudot se livre sur moi à ses opérations habituelles :
" Mais, ne crie pas comme ça ! me dit-il.
- Doucement, mon vieux Oudot...
- Je vais le plus doucement possible. Attention !... Ça te fait mal ? "
Je me contracte de toutes mes forces devant la douleur et les dent serrées :
" Ça peut aller, je n'ai rien senti.
- Ah bon !" dit Oudot, et il donne un bon coup de ciseau.
" Ah ! "
J'ai senti une percussion dans tous mes os et Oudot m'annonce :
" Première amputation ! Le petit doigt ! "
J'ai un coup au cœur. Un petit doigt, cela ne sert pas à grand-chose, mais tout de même j'y tenais.
Bien ! Première amputation ! Pour un peu j'irais encore de ma petite larme. Oudot a saisi le petit doigt entre l'index et le pouce et me le montre :
"Tu veux peut-être le garder à titre de souvenir ? "
Brusquement s'ouvre devant moi la vie des hommes. Ceux qui s'en vont pour toujours ne sont jamais seuls. Adossé à la montagne qui me veille, je découvre des horizons que je n'avais jamais vus. Là-bas, à mes pieds, dans ces plaines immenses, des millions d'hommes vivent un destin qu'ils n'ont pas voulu.
Nous restons bouche bée devant cette colossale montagne dont le nom, mille fois évoqué, est familier à nos oreilles, mais dont la réalité produit sur nos esprits un choc qui nous rend longtemps muets.
Que signifiaient-elles au juste, ces lumières de l'Annapurna?
Depuis hier, nous n'avons rien mangé, pourtant notre activité depuis lors n'a eu de cesse. Les ressources des hommes devant la mort sont inépuisables. Alors que tout me semble fini, il reste encore des réserves, mais il faut la volonté d'y faire appel.
Le cirque où nous sommes est d'une sauvagerie intégrale. Aucun homme n'a jamais contemplé ces montagnes qui nous entourent. Aucun animal, aucune plante n'a droit de cité dans ces lieux. Dans la pureté du matin, cette absence de toute vie, cette misère de la nature ne font qu'ajouter à notre force intérieure. Qui comprendra l'exaltation que nous puisons de ce néant alors que les hommes s'éprennent des natures riches et généreuses ?