Certains mangent pour vivre, d’autres vivent pour manger. Quel que soit le groupe auquel vous appartenez au départ, si vous avez perdu votre sens de l’odorat, vous êtes réduit à faire partie du premier. C’est pourquoi les
personnes anosmiques, sont le plus souvent persuadées d’avoir également perdu le goût. En réalité, ce dernier est intact, mais leur expérience de la nourriture est à ce point diminuée qu’ils sont devenus
incapables de le percevoir. Sans odorat, Sprite et Coca ont exactement le même goût, une pêche est réduite à son sucre plus un peu d’amertume, et le steak n’est plus qu’un morceau de sel.
Notre réaction la plus immédiate à une odeur est un jugement bon ou mauvais – approcher ce qui sent bon, éviter ce qui sent mauvais. Les émotions colportent un message similaire. Lorsqu’elles sont positives, joie ou intérêt par exemple, elles nous « disent » d’approcher, demandent à être reproduites – et en fin de compte aboutissent à la procréation et à notre survie. Lorsqu’elles sont négatives – colère, peur ou dégoût –, elles nous enjoignent de la même manière de reculer et facilitent notre survie en suscitant une réaction de fuite, ou de combat. Nos émotions transmettent les mêmes codes d’approche et de fuite que les odeurs pour les animaux.
Un « parfum d’hôpital » n’est pas nécessairement composé des mêmes ingrédients en tout lieu et en tout temps ; la seule exigence est que l’arôme vous soit étranger avant votre visite. L’odeur en elle-même n’est ni bonne ni mauvaise, mais le contexte dans lequel vous êtes plongé est pour vous
négatif, si bien que vous allez projeter cette négativité sur l’effluve objectivement neutre qui vous parvient – tel est le point central. Ainsi, « l’odeur d’hôpital » est vite associée aux sentiments que l’établissement génère et, via cette correspondance émotionnelle, elle acquiert une valeur déplaisante.
La richesse émotionnelle propre à l’odorat est particulièrement perceptible par ceux dont la vie est déjà intensément pleine de plaisirs. Être attentif, savoir
apprécier les odeurs accroît de fait notre capacité à les percevoir.
L’odorat est tout simplement essentiel – émotionnellement, physiquement, sexuellement et socialement. Sans lui, notre capacité à nous connaître ou à connaître les autres s’obscurcit, notre monde émotionnel est brouillé ou
anesthésié, notre capacité au plaisir de la nourriture est perdu, notre santé s’en ressent et notre désir sexuel, voire notre capacité à identifier le ou la partenaire les plus adéquats pour faire un enfant, sont sévèrement atteints.