Avec un postulat riche de possibilités,
Lilia Hassaine imagine une société, à l'horizon 2050, qui choisirait la Transparence comme modèle. Tout commence par un nouvel urbanisme qui va détruire les murs, abattre les cloisons, bannir les recoins et faire en sorte que chacun vive exposé aux yeux de ses voisins, selon le principe populiste que les gens honnêtes n'ont rien à cacher.
" Les viols, la maltraitance, les abus, les agressions, toutes les violences commises envers les humains ou les animaux, ont un point commun : ils se déroulent à l'abri des regards, derrière les murs, dans les chambres des maisons et dans les ascenseurs des entreprises. Les espaces clos sont dangereux. Les murs sont menaçants. Chacun d'entre nous, et pour le bien de tous, devrait accepter de renoncer à une part d'intimité ; il en va de la paix civile. "
Lila Hassaine a lu Foucault et connaît l'architecture panoptique dans laquelle chacun intériorise le sentiment d'être surveillé, sauf qu'ici chacun est aussi le geôlier de l'autre. Ceux qui valident cette société de surveillance à double sens sont les classes moyennes et les élites qui aspirent à la sécurité, alors que dans le quartier des Grillons qui n'a pas été reconstruit, vivent dealers, marginaux et résistants.
Toutefois, ce renoncement à l'intimité relève du choix et d'un "pacte citoyen fondé sur la bienveillance partagée et la responsabilité individuelle".
Outre l'architecture, la Transparence s'exerce aussi au niveau des institutions, et tout particulièrement de la Justice. Les lois et les décisions de justice appartiennent aux citoyens qui votent sur Internet après avoir visionné l'émission "Présumé coupable".
En donnant ici dans la caricature, l'auteure ne laisse aucune chance à la démocratie horizontale. D'autant plus qu'elle date son origine de la "Revenge week", semaine sanglante au cours de laquelle les victimes ont tué leurs bourreaux.
Puisque
Lilia Hassaine ne me semble pas du style à faire l'apologie de la violence et de la vengeance, il paraît pour le moins maladroit d'attribuer la responsabilité de cette insurrection aux femmes victimes de violence conjugale, de viol ou de harcèlement.
Loin d'un discours féministe, le personnage d'Hélène l'enquêtrice est empêtrée dans une relation toxique qui n'est jamais décrite comme telle par l'auteure. Elle se réjouit de vivre dans une maison transparente parce que cela a obligé son mari " de s'assagir" puisqu'il ne pouvait plus utiliser l'alibi du travail au bureau. En même temps, elle reconnaît : "Je ne craignais plus de le perdre, mais nous n'avions plus rien à nous dire". Quant à lui, il l'insulte en souriant puis la quitte pour une jolie Instagrammeuse. On nage d'autant plus en plein stéréotype lorsque, repue après l'avoir retrouvé, elle comprend avec extase que le motard masqué qui la suivait, était en fait ce mari-prédateur qu'elle ne peut oublier. Waouh il faut oser !
L'ensemble du roman est une totale déception alors que les premières pages laissaient présager une réflexion intéressante sur notre modèle de société et sur les relations de classe. Sous couvert du diagnostic auquel une dystopie peut prétendre, l'auteure n'exprime que des lieux communs sur une société du paraître, sur les menaces envers les libertés individuelles et la disparition de l'intimité.
Comme il est de bon ton, elle condamne les influenceuses qui monnayent leur image sans s'interroger sur la violence qui les pousse à agir.
Si la première partie semble construite, la deuxième partie est totalement bâclée. Comme si l'auteure avait dû se hâter pour pouvoir proposer son roman dans la rentrée littéraire. Les chapitres sont de plus en plus courts, la syntaxe minimimaliste et l'écriture d'une totale platitude. Les personnages déjà réduits à une mince enveloppe perdent toute crédibilité à mesure que l'histoire se dénoue. Il aurait au moins fallu, pour que l'ensemble soit cohérent développer cette idée, peu originale certes, que ceux qui font les lois sont aussi ceux qui savent le mieux les détourner.