« Tu as raison. Il n’y a aucune raison de parler. Parler, ça ne nous mène nulle part. Tous ces gens doivent avoir des mots dans leur tête. Des nuées de mots. Des mots qu’ils veulent vraiment dire et des mots qu’ils ne veulent pas vraiment dire et des mots dont ils ne savent pas ce qu’ils veulent dire.
Pour elle, il est clair que les dessins sont sa manière à lui de mettre de l’ordre dans le monde qui l’entoure pour s’y sentir en sécurité. S’il n’a pas de mots, pense-t-elle, au moins, il a ces images.
Dans le silence, ils entendent encore la pluie. Que peut-il dire ? Il y a eu le passé, et maintenant il y a ce présent qui n’est qu’une attente de l’avenir. Il se prolonge indéfiniment. Trop longtemps. Ils sont tous les deux si fatigués.
Elle a parlé avec audace, et sans une once de regret ; néanmoins, le regret semble résonner dans la pause qui suit. C’est un regret désincarné qui n’appartient ni au locuteur ni à l’interlocuteur, mais seulement au dénuement de l’histoire.
Un léger « Ti » sortit d’entre ses dents, le premier son du premier mot. Le doux souffle de « nu ». Voilà.
Il le sentit. Il leva la tête et plongea son regard dans le sien. Et, à ce moment précis, elle détourna les yeux.
Dans le monde de Safta, il y avait des sons, différentes strates de réalité, des distractions. Il y avait plus que Tinu.
Il y avait le soleil qui brillait de l’autre côté de la porte de la grange.
Le scintillement de la carrosserie d’une voiture qui approchait, entre les arbres.
Généralement, il aimait cet endroit, d’où il avait une vue complète panoramique sur la cour, le chemin d’accès, les allées et venues. Un rayon de soleil, le foin doré, des grains de poussière en suspension ; mais il resta là, morne, les bras ballants, les yeux rivés sur le plancher. Il refusait de lever les yeux, même pour Safta. Il avait ce pouvoir – lorsqu’il ne regardait pas, le monde n’existait pas.