À certains égards, l’observation de ce qui se passe dans les milieux spirites peut fournir, pour les raisons que nous venons d’exposer, des indications assez nettes sur les tendances qui prédominent à un moment donné, par exemple dans le domaine de la politique. Ainsi, les spirites français demeurèrent longtemps, en grande majorité, attachés à des conceptions socialistes fortement teintées d’internationalisme ; mais, quelques années avant la guerre, un changement se produisit : l’orientation générale fut alors celle d’un radicalisme à tendances patriotiques accentuées ; il n’y eut que l’anticléricalisme qui ne varia jamais. Aujourd’hui, l’internationalisme a reparu sous des formes diverses : c’est naturellement dans les milieux de ce genre que des idées comme celle de la « Société des Nations » devaient susciter le plus d’enthousiasme ; et, d’autre part, parmi les ouvriers qui sont gagnés au spiritisme, celui-ci est redevenu socialiste, mais d’un socialisme à la mode nouvelle, bien différent de celui de 1848, qui était ce qu’on pourrait appeler un socialisme de « petite bourgeoisie ». Enfin, nous savons qu’on fait actuellement beaucoup de spiritisme dans certains milieux communistes3, et nous sommes persuadé que tous les « esprits » doivent y prêcher le bolchevisme ; sans cela, d’ailleurs, ils ne sauraient y trouver le moindre crédit.
On sait que c’est en Amérique que le spiritisme, comme beaucoup d’autres mouvements analogues, eut son point de départ : les premiers phénomènes se produisirent en décembre 1847 à Hydesville, dans l’État de New-York, dans une maison où venait de s’installer la famille Fox, qui était d’origine allemande, et dont le nom était primitivement Voss. Si nous mentionnons cette origine allemande, c’est que, si l’on veut un jour établir complètement les causes réelles du mouvement spirite, on ne devra pas négliger de diriger certaines recherches du côté de l’Allemagne ; nous dirons pourquoi tout à l’heure. Il semble bien, d’ailleurs, que la famille Fox n’ait joué là-dedans, au début du moins, qu’un rôle tout involontaire, et que, même par la suite, ses membres n’aient été que des instruments passifs d’une force quelconque, comme le sont tous les médiums. Quoi qu’il en soit, les phénomènes en question, qui consistaient en bruits divers et en déplacements d’objets, n’avaient en somme rien de nouveau ni d’inusité ; ils étaient semblables à ceux que l’on a observés de tout temps dans ce qu’on appelle les « maisons hantées » ; ce qu’il y eut de nouveau, c’est le parti qu’on en tira ultérieurement. Au bout de quelques mois, on eut l’idée de poser au frappeur mystérieux quelques questions auxquelles il répondit correctement ; pour commencer, on ne lui demandait que des nombres, qu’il indiquait par des séries de coups réguliers ; ce fut un Quaker nommé Isaac Post qui s’avisa de nommer les lettres de l’alphabet en invitant l’« esprit » à désigner par un coup celles qui composaient les mots qu’il voulait faire entendre, et qui inventa ainsi le moyen de communication qu’on appela spiritual telegraph. L’« esprit » déclara qu’il était un certain Charles B. Rosna, colporteur de son vivant, qui avait été assassiné dans cette maison et enterré dans le cellier, où l’on trouva effectivement quelques débris d’ossements. D’autre part, on remarqua que les phénomènes se produisaient surtout en présence des demoiselles Fox, et c’est de là que résulta la découverte de la médiumnité ; parmi les visiteurs qui accouraient de plus en plus nombreux, il y en eut qui crurent, à tort ou à raison, constater qu’ils étaient doués du même pouvoir. Dès lors, le modern spiritualism, comme on l’appela tout d’abord, était fondé ; sa première dénomination était en somme la plus exacte, mais, sans doute pour abréger, on en est arrivé, dans les pays anglo-saxons, à employer le plus souvent le mot spiritualism sans épithète ; quant au nom de « spiritisme », c’est en France qu’il fut inventé un peu plus tard.
Le mot fakir, qui est arabe et signifie proprement un « pauvre » ou un « mendiant », est appliqué dans l’Inde à une catégorie d’individus qui sont fort peu considérés en général, sauf des Européens, et qu’on ne regarde que comme des sortes de jongleurs amusant la foule par leurs tours. En disant cela, nous ne voulons pas dire que l’on conteste le moins du monde la réalité de leurs pouvoirs spéciaux ; mais ces pouvoirs, dont l’acquisition suppose un entraînement long et pénible, sont d’ordre inférieur et, comme tels, jugés peu désirables ; les rechercher, c’est montrer qu’on est incapable d’atteindre des résultats d’un autre ordre, pour lesquels ils ne peuvent être qu’un obstacle
N’éprouvant aucun respect pour les préjugés de la science officielle, nous n’estimons point que nous ayons à nous excuser de l’apparente étrangeté de quelques-unes des considérations qui vont suivre ; mais il est bon de prévenir ceux qui, en raison des habitudes acquises, pourraient les trouver par trop extraordinaires. Tout cela, encore une fois, ne veut point dire que nous accordions aux phénomènes psychiques le moindre caractère « transcendant » ; d’ailleurs, aucun phénomène, de quelque ordre qu’il soit, n’a en lui-même un tel caractère, mais cela n’empêche pas qu’il y en ait beaucoup qui échappent aux moyens d’action de la science occidentale moderne, qui n’est point si « avancée » que le croient ses admirateurs, ou qui du moins ne l’est que sur des points très particuliers. La magie même, du fait qu’elle est une science expérimentale, n’a absolument rien de « transcendant » ; ce qui peut par contre être regardé comme tel, c’est la « théurgie », dont les effets, même lorsqu’ils ressemblent à ceux de la magie, en diffèrent totalement quant à leur cause ; et c’est précisément la cause, et non pas le phénomène qu’elle produit, qui est alors d’ordre transcendant.
Du reste, nous avons déjà dit que l’adhésion même de certains savants plus ou moins « spécialistes » ne prouve pas davantage à nos yeux, parce que, dans les choses où la compétence leur fait défaut, ils peuvent se trouver exactement sur le même plan que le vulgaire ; et encore ce ne sont là que des cas exceptionnels, la très grande majorité de la clientèle spirite étant incontestablement d’un niveau mental extrêmement bas. Certes, les théories du spiritisme sont à la portée de tout le monde, et il en est qui veulent voir dans ce caractère une marque de supériorité ; voici, par exemple, ce que nous lisons dans un article auquel nous avons fait allusion précédemment : « Posez devant un ouvrier qui n’a pas eu le bonheur de faire des études approfondies un chapitre d’un traité métaphysique sur l’existence de Dieu, avec tout le cortège des preuves ontologiques, physiques, morales, esthétiques2. Qu’y comprendra-t-il ? Rien du tout. Avec de semblables renseignements, il sera condamné sans rémission à rester dans l’ignorance la plus complète… Au contraire, si on le fait assister à une séance de spiritisme, si même on lui raconte, s’il lit dans une revue ce qui s’y passe, il saisira de suite, sans aucune difficulté, sans besoin d’explication… Grâce à sa simplicité lui permettant de s’étendre partout, le spiritisme recueillera des admirateurs nombreux… Le bien progressera toujours, si tout le monde comprend la véracité de la doctrine spirite ». Cette « simplicité » qu’on nous vante et qu’on trouve admirable, nous l’appelons, pour notre part, médiocrité et indigence intellectuelle ; quant à l’ouvrier qu’on juge bon de mettre en scène, à défaut d’une instruction religieuse élémentaire dont on se garde prudemment d’envisager la possibilité, nous pensons que même « l’ignorance la plus complète » vaudrait encore beaucoup mieux pour lui que les illusions et les folies du spiritisme : celui qui ne sait rien d’une question et celui qui n’a que des idées fausses sont pareillement ignorants, mais la situation du premier est encore préférable à celle du second, même sans parler des dangers spéciaux au cas dont il s’agit.
Spiritualité Islamique, l'Apport de René Guénon