Treize ans. Quatorze ans dans trois mois. Et après c’est quinze, et après c’est seize ans, et après c’est dix-sept. Un bail. Je crois pas que je serai encore vivante à dix-sept ans. Je serai déjà morte de vieillesse, à la vitesse où on grandit.
Je me suis réveillée à l’hosto. Y’avait ma mère et ma petite sœur. Frankie avait raison. Depuis Jésus, les pères ne se déplacent plus.
Quand j’ai vu comment ça tournait, j’ai même pas cherché à récupérer mes affaires de lycée. De toute façon, le français ça sert à rien, l’espagnol est en faillite, et les déchets à trier, c’est nous.
L'eau glacée me faisait renaître. J'ai mis ma tête carrément sous le jet. J'ai hurlé tellement c'était froid. Tellement c'était bon. Je voyais Frankie sur le banc à travers la cascade. J'en ai bu de l'eau encore et encore froide et pure elle était bénite.
Lui et moi, on était inséparables. On était une seule personne. Un seul animal. Je sais où on va aller, Didrie. J'ai demandé, où. Frankie m'a dit qu'on allait se cacher dans le pays où y'avait le plus de vent. J'ai pas demandé ce que c'était comme pays ce pays plein de vent. Avec Frankie, tous les pays m'allaient. J'ai enroulé mes bras sur son ventre. On a quitté le bled au moment où la cloche sonnait huit heures pour une putain de cavale vers le pays du vent.
La vie se refermait encore. Pourquoi la vie se referme toujours tout le temps. La vie va de là à là. Elle serpente dans la mousse. La vie qui va là et qui disparaît entre la mousse et les cailloux comme du pipi.
J'entendais des poules qui caquetaient. Elles se sont énervées quand au loin un coq s'est remis à chanter et que le coq de la cour lui a répondu
J'ai fait dans le fossé, accroupie dans les herbes comme une petite bestiole. Je me suis torchée avec des feuilles mouillées. Je pleurais et je riais en même temps comme une débile tellement j'avais froid au cul. Ça m'aurait plu d'être une bête dans les bois la nuit. De ne plus vivre avec les gens plus jamais.De vivre que avec les animaux.
Dommage que je sois née là où je suis née. J'aurais fait une petite paysanne, pleine de bouses aux pieds, qui picole du pinard dans la grange et qui dort dans le foin. Je ferais la sieste au soleil sur le tas de fumier. Ça m'aurait pas gênée de tuer les canards pour les vendre sur les marchés. Je foutrais des coups de fusil aux voisins qui m'emmerdent.
La fleur s'était refermée. J'y pouvais rien. J'étais pas malheureuse. La vie, personne va jamais au bout.