Pierre Goldman est né en 1944, moi en 1953, ce qui fait qu'étant mon aîné, il a été mon contemporain et que toute l'effervescence médiatique suscitée par son nom et ce que ce nom a pu entraîner dans son sillage, je l'ai suivi avec beaucoup d'intérêt et beaucoup d'assiduité.
D'autant qu'à l'époque où lui était ce qu'on qualifiait de révolutionnaire d'extrême-gauche, de guérilléro "sud-américain", j'empruntais des chemins proches ; la différence étant que j'ai eu moi le temps de "tiédir"... pas lui !
Ses procès et ses soutiens de gens de gauche célèbres comme
Simone Signoret, je les ai suivis mais sans chercher à lire son bouquin, mélange d'autobiographie, de contre-enquête et de narration du procès qui l'a vu être condamné à la réclusion à perpétuité.
Si je ne l'ai pas lu, c'est que j'étais persuadé au coeur de ces années 70 de l'innocence de Goldman.
Et je m'en contentais.
Je ne serais d'ailleurs pas étonné avoir signé une pétition ou deux pour exiger sa libération...
Cinquante ans plus tard, c'est la lecture du livre de
Nathalie Zajde -
Enfants de survivants -, dans lequel cette psychologue se pose la question - et cherche à y répondre - " Pourquoi dans les familles juives, les enfants des rescapés de l'extermination nazie font-ils les mêmes rêves que leurs parents alors que ceux-ci ont gardé le silence sur le traumatisme qu'ils ont vécu ?-...er que parmi d'autres exemples, elle cite le nom et le "cas" de Pierre Goldman, c'est ce livre et son contenu qui m'ont convaincu qu'il fallait que je lise enfin cet ouvrage au titre si parlant et si questionnant à la fois –
Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France -.
Comme je l'ai dit précédemment,
Pierre Goldman est né en 1944, soit presque un an avant la fin de la guerre. D'Alter Mojszet Goldman né en Pologne à Lublin, et de Janine Sochaczewska, née elle aussi en Pologne à Lodz.
Ses parents, qui se sépareront assez vite, sont tous les deux des membres actifs de la Résistance et du PC lyonnais.
Son père et sa mère séparés, le jeune Goldman va être élevé par sa tante, puis sera repris quelques années plus tard par son père remarié, ne verra sa mère retournée en Pologne, qu'à de rares occasions.
Instable, se faisant renvoyer des lycées ou internats où il est placé,
Pierre Goldman va très tôt emprunter un itinéraire politique ; révolutionnaire est le qualificatif qui le définit le mieux.
C'est d'abord l'UEC ( Union des étudiants communistes ), puis l'UNEF ( Union nationale des étudiants de France ) dans lesquels il lutte contre l'extrême-droite.
Dans le même temps, après avoir obtenu son bac, il s'inscrit en philo à la Sorbonne...dont il ne suit les cours que par correspondance.
Peu à peu il délaisse ses études, fréquente des lieux "interlopes", joue du couteau.
Arrivent les années sud-américaines.
Fasciné par la révolution cubaine, il s'embarque sur un cargo en Norvège, rejoint les USA, tente de passer la frontière mexicaine...avant d'être rapatrié manu militari ( premier séjour en prison ) au port où il rembarque pour l'Europe.
Après être passé volontairement à côté de Mai 68 ( c'est lui qui l'affirme ...), il parviendra à séjourner à Cuba avant de vivre une année parmi les guérilléros vénézuéliens.
De retour en France, il va entrer dans la délinquance et le banditisme.
Lourdement armé de deux pistolets, il commettra trois braquages avant d'être soupçonné de la tuerie de ce qu'on a appelé " L'affaire Richard-Lenoir ".
Une pharmacie est attaquée, les deux pharmaciennes sont abattues de sang-froid, deux témoins sont grièvement blessés.
Dénoncé ( dit-il ) par un indic, il est arrêté et incarcéré.
Commence "L'affaire Goldman."
Dans son bouquin,
Pierre Goldman, sans se livrer totalement, explique son obsession permanente de la mort, son manque d'amour pour la vie, sa relation à ses parents juifs, sa propre judéité.
Son parcours révolutionnaire et son entrée dans le monde du grand banditisme.
Puis il y a toute la partie consacrée à " L'affaire Richard-Lenoir -, dans laquelle il affirme son innocence et tente de démonter dans le détail tous les témoignages de ses accusateurs.
Ma surprise a été grande de réaliser en cours de lecture que je ne le "croyais plus"...
Vous vous ferez votre avis, mais une fois l'impression de puzzle rassemblé autour des faits, ma conviction intime, dont Goldman disait qu'elle était " l'implacable rouage de la machine qui juge, laquelle n'est seulement que l'apologie et la logique idéologiques des préjugés moraux, culturels, politiques, sociaux...", j'ai plus que douté de l'innocence de celui qui fut, à son deuxième procès, innocenté.
Mais son ami
Régis Debray n'a-t-il pas dit en 1992 : " Quand on s'est rêvé Manouchian, on ne peut se voir affubler la peau d'un petit malfrat butant deux pharmaciennes pour piquer dans la caisse, sans se faire porter absent. Goldman ne pouvait pas plus se supporter coupable que disculpé."
Michaël Prazan, n'a-t-il pas lui-même mis cette innocence en doute dans son livre intitulé -
Pierre Goldman, le frère de l'ombre -...
Et ce que j'ignorais, c'est la confession de son principal témoin, Joël Lautric qui, dans son livre - Mémoires d'un parjure – confesse "avoir livré un faux témoignage lors du procès d'Amiens : Goldman l'aurait quitté ce jour-là à 18 h et non à 20 h."
Plus que troublants, et ce ne sont pas les seuls...
Je suis ravi d'avoir fait une incursion dans les années de ma jeunesse, retrouvé cette énigme qu'est
Pierre Goldman, truand, ( assassin ?), révolutionnaire.
Retrouvé celui qui, comme Mesrine, rêvait et a projeté d'enlever
Jacques Lacan,
Jean-Edern Hallier...
Avait planifié la guérilla urbaine à la façon d'Action Directe, mais qui reste un enfant de la guerre, un "enfant de survivants", comme les appelle
Nathalie Zajde, un homme qui disait " vouloir se libérer de la meurtrissure d'être juif ", qui affirmait "avoir fait le pacte de rater sa vie ", souffrir d'une obsession maladive de la mort.
Pierre Goldman a été assassiné le 20 septembre 1979... sans qu'on sache exactement si le commando de tueurs était composé de sbires de la police d'extrême-droite, des services secrets français, du GAL, du SAC, de la DST, des RG ou du "milieu"...
Quoi qu'il en soit, Godman reste à l'image de ces années d'OAS, de 68, et des années 70 où un Mesrine faisait autant parler de lui que les membres d'Action Directe ou d'un certain
Robert Boulin... une ombre questionnante.
Une lecture intéressante dans le cadre dont j'ai parlé. L'homme et l'auteur sont brillants, d'une extrême intelligence, pas forcément convainquants et quelquefois un peu "intellectualisants".
Notons que durant son incarcération,
Pierre Goldman a obtenu une maîtrise d'espagnol, une licence de philosophie et qu'il avait comme horizon universitaire un doctorat de philosophie.