La Guerre de Troie n'aura pas lieu est un des plus beaux pamphlets de la
littérature française contre la guerre, contre toutes les guerres.
N'en déplaise à
Jean Giraudoux son auteur, la Guerre de Troie eut bien lieu et tant d'autres après. Mais après, c'est quand ? Est-ce dans la traversée des vingt-cinq siècles qui nous séparent de cette guerre antique ou bien depuis 1935, date à laquelle
Jean Giraudoux écrivit cette pièce de théâtre devenue elle aussi une oeuvre mythique.
Qu'importe ! Toutes les guerres se ressemblent, tous les champs de bataille aussi, qu'on soit sur la grande plaine de Troie ou dans les rues de Marioupol... Et les hommes qui font les guerres n'ont pas changé eux non plus... Ils sont à la fois misérables et grandioses dans leurs gesticulations tragiques et presque vaines...
Pourquoi ce récit de la mythologie antique, ce péplum extraordinaire vieux de plus de deux-mille cinq ans raisonne-t-il à nos oreilles avec tant de modernité ?
La Guerre de Troie n'aura pas lieu nous plonge dans les coulisses de la diplomatie qui tente par tous les moyens d'éviter la guerre. Ils sont là ces personnages entrés dans la légende, Priam, Cassandre, Andromaque, Hector, Pâris, Hélène... Bientôt Ulysse en émissaire venu
De Grèce les rejoindra... Tout se joue dans ce huis-clos pour espérer encore, éviter l'innommable.
«
La guerre de Troie n'aura pas lieu, Cassandre ! », dit Andromaque quand le rideau s'ouvre sur la terrasse du palais de Priam.
Cassandre, la prophétesse que nul ne croit jamais, pour une fois verra juste.
On dit toujours que c'est la der des der, Andromaque et Hector le disaient bien pourtant et tout le monde les écoutait avec émotion, elle attendant le fils qu'Hector allait lui donner. Quel couple ! Hector en vaillant guerrier connaît les affres de la guerre et ne veut plus vivre cela, à présent qu'il s'apprête à devenir un père... À eux deux ils offrent un couple étreint d'amour bien plus digne que celui qui sera la cause de ce gâchis épouvantable, à venir.
Mais justement, venons-en... Ce huis-clos nous ramène aux origines de cette guerre. Dire que celle-ci repose sur un malentendu serait un doux euphémisme, si le mot doux peut se prêter au vocabulaire belliqueux...
Bon, je ne vous apprendrai rien sur ce qui a déclenché les hostilités. Pâris fils de Priam roi de Troie, lors d'un périple, a eu l'idée inspirée d'enlever la belle Hélène femme de Ménélas, roi de Sparte. Pâris ici m'est apparu comme un jeune
bellâtre et Hélène une reine plutôt écervelée. Tout ça pour ça, me direz-vous ? C'est ce que pense aussi Andromaque, pour qui vous l'aurez compris, j'ai la plus grande admiration. Tout ça pour ça, d'autant plus que les deux tourtereaux ne sont même pas sûr qu'ils s'aiment encore ou qu'ils se sont même aimés un seul instant depuis le fameux enlèvement. Tout ça pour ça, une amourette sans gloire, les guerres tiennent à peu de choses, il est parfois vain d'y trouver une raison profonde...
Tout le monde s'accorde à dire que la guerre est le pire fléau du monde, mais quelle injustice lorsqu'elle repose sur des sables mouvants !
En plus, nous avons une petite longueur d'avance, je dis ça pour celles et ceux qui ont lu l'Illiade, l'opinion d'
Homère est clair sur le sujet, ces deux-là dans leur amourette de pacotille ne sont que deux pions sur l'échiquier des dieux qui se jouent des hommes comme de vulgaires marionnettes...
Tiens, les dieux, parlons-en ! Ils sont peu présents dans le récit, sauf dans un échange entre Andromaque et Hélène où cette dernière lui dit : « Si vous avez découvert ce qu'ils veulent, les dieux, dans toute cette histoire, je vous félicite. » Et la réplique d'Andromaque est à la fois belle et cinglante : « Je ne sais pas si les dieux veulent quelque chose . Mais l'univers veut quelque chose. Depuis ce matin, tout me semble le réclamer, le crier, l'exiger, les hommes, les bêtes, les plantes... Jusqu'à cet enfant en moi... »
Andromaque est dans ce récit d'une beauté douloureuse.
L'homme est-il libre de ses choix ou doit-il obéir à son destin qui lui est dicté quelque part plus haut que lui ?
Jean Giraudoux se moque des dieux et renvoie la décision finale aux seuls personnages de ce huis-clos.
C'est la malédiction de la guerre, avec Ulysse qui entrouvre la possibilité d'échapper peut-être à celle-ci. Il se moque bien de savoir si Hélène et Pâris s'aiment. Pour l'honneur de Ménélas, la question est de savoir si l'amour a été consommé entre Hélène et Pâris. Cette interrogation lancinante offre l'occasion de savourer l'humour de
Jean Giraudoux dans ce passage où est évoqué le retour en bateau des deux amoureux vers Troie. Trois jours et trois nuits sur le ponton d'un navire... Qu'ont-ils donc pu faire ? Parler du ciel, des étoiles ? Évoquer des lectures communes ? M'est avis que j'ai une petite idée sur le sujet...
Ici la grandeur des héros avant le combat est qu'ils se parlent, cherchent des solutions, personne ne veut de cette guerre. Ô combien certains soi-disant grands de ce monde pourraient aujourd'hui en être inspirés !
La diplomatie va bon train, même si elle échouera.
Le rideau se referme et je pleure contre l'épaule d'Andromaque, connaissant avant elle le sort qui sera offert au père de cet enfant qu'elle attend.
Comme ce texte est beau, sublime !