Le sûfî est donc l’initié parfait, le yogî de la tradition hindoue, l’être qui a réussi à remonter l’arc de la manifestation divine et est « parvenu à Dieu » (wâsil). Selon une image de Rûmî, il a transformé le cuivre dont est fait l’homme en or.
Surnommé par ses disciples Mawlanäâ (« notre
maître », Mevlana en turc), Jalâl al-Dîn Rûmi (m. 1273)
reste à ce jour le mystique musulman le plus connu en
Occident. Il personnifie la voie de l’amour et de l'ivresse
dans le soufisme, tandis qu’Ibn ‘Arabî représente la voie
de la gnose, de l’intellectualité métaphysique. Cette distinction, rappelons-le, n’a qu’une valeur toute relative :
le maître andalou « aussi, ou, mieux, est d’abord un spirituel éperdu d’amour ».
Rûmî rencontre
son maître, en la personne de Shams de Tabrîz, le
«soleil» (shams) de Rûmî. Derviche errant, Shams est
loin d’être illettré, comme on l’affirme souvent. Il attend
seize ans avant de parler à Rûmî. Transmutation :
« J'étais cru, j'ai été cuit, puis calciné », dira Rûmf après
cette expérience. Plus qu’une relation initiatique, les
deux hommes vivent une passion extatique, qui les
transforme l’un et l’autre.
Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas Rûmî qui
a instauré la fameuse danse giratoire caractéristique de
son ordre. Celle-ci se pratiquait déjà au cours de séances
de musique spirituelle, parmi d’autres mouvements spontanés. Au cours de ces séances, on écoute des
poèmes mystiques déclamés avec ou sans instruments,
qui transportent d’extase l’assistance.
La célèbre somme poétique de Rûmi, le Marhnawi,
s’ouvre sur la plainte du roseau — la flûte — arraché à sa
terre natale, le monde divin, et aspirant à y retourner.
Rûmî perçoit ce bas-monde comme une prison — ce qui
est conforme à une parole du Prophète” — et comprend
donc Hallâj qui cherchait à anticiper sa mort. Il professe
à sa manière, extatique, l’unicité de l'Être (wehdat alwoujud) : « Dieu et le monde, les créatures et le Créateur
ne font qu’un. Croire à un Dieu séparé du monde n’est
qu’un dualisme, opposé au Tawhid (Unicité divine). La
multiplicité n’est qu’une apparence, une illusion. Le
monde, le macrocosme, est semblable à l’être humain
(microcosme), l’esprit universel est son âme et le monde
matériel est son corps”. » D'où l’universalisme de Rûmi,