Et dire que j'ai eu quelques réticences à commencer ce récit. Un tel titre me semblait de mauvaise augure. J'avais peur d'être déçue, de ne pas retrouver ce que j'avais aimé lors de mes précédentes lectures de cet auteur («
Je me souviens de tous vos rêves », «
Les vivants au prix des morts », etc.).
Je craignais que la compagnie de «
la fiancée des corbeaux » soit plus sombre que lumineuse. de ces mauvaises croyances qui remontent à l'enfance, je présupposais qu'un croassement de corbeau n'aurait pas la même mélodie que le chant d'un rossignol ou d'un rouge-gorge.
Et pourtant, encore une fois, la magie a opéré. Les déceptions, la tristesse, les coups au coeur, on connait tous. Et
Frégni n'est pas en reste et ne nous cache pas ces humeurs et états d'âme. Mais, s'il connait la noirceur humaine, ce qu'on retient à chaque fois de ses récits, ce qui s'imprègne véritablement en nous, c'est la lumière et la beauté.
Avec
Frégni, c'est une atmosphère qu'on retrouve et qui nous enveloppe avec douceur. Ce sont des mots noircis sur un cahier qui s'infiltrent en nous, se propagent, nous réchauffent. Dans ses récits,
René Frégni ne nous invente pas toujours des histoires. Il nous invite surtout à aller à la rencontre de moments forts qui rendent notre histoire personnelle plus intense. Il nous parle tout simplement de la vie, de la beauté à l'état brut.
Il sait observer ces petits riens du quotidien capables d'illuminer nos journées brumeuses. C'est presque étonnant qu'il puisse arriver comme ça, presque ‘'en si peu de choses'', à nous capter sans même avoir forcément besoin de raconter une histoire romancée, d'inventer des personnages, de dérouler une intrigue. Presque étonnant que ça nous presse le coeur et nous emporte de la sorte. D'ailleurs, ce n'est pas forcément l'histoire que je garde en tête en refermant le livre, c'est tout un univers de sensations et d'émotions.
En quelques lignes, on calque notre rythme sur celui de l'écrivain. Lorsqu'il nous parle de ce qu'il aime, on s'apaise, on sourit.
Il y a un je-ne-sais-quoi qui nous fait nous sentir bien. En réalité, on sait bien de quoi il s'agit -même s'il reste une grande part de mystère-, c'est le calme, le silence, la quiétude, la liberté, la nature qu'il nous offre à chaque page.
On pourrait finir par se dire, livre après livre, que c'est encore la même chose -un peu comme
Modiano qui nous ressort toujours son histoire de mémoire, d'oubli, d'identité et qu'on ne va pas se faire avoir encore une fois-. Et bien si, on se fait encore avoir, on se laisse encore embarquer, on n'en a pas assez. Il ne se répète pas dans ses répétitions d'éblouissement, lorsqu'il nous parle encore de ses plaisirs à regarder la nature autour de lui, lorsqu'il nous parle des arbres, des vignes, des oiseaux, des corbeaux, de son amour pour sa fille Marilou ou pour la belle Isabelle, de son affection pour Lili, des gens qu'il croise, de ses jeunes femmes aux robes légères, des mots qu'il aime coucher sur un cahier dans son appartement de Manosque. Allez, Monsieur
Frégni, répétez-nous encore que la montagne est belle*, qu'
il y a un petit bois charmant sur la colline**…
Il continue à s'émerveiller de ces choses-là et nous, on en redemande. Il a cette générosité de nous les faire partager et cela nous enchante. Il suffit de quelques lignes pour qu'il change notre état d'âme, pour qu'il nous influe de la douceur, une douce mélodie.
Il y a dans ses mots, dans une simple phrase, tout un champ de beauté, de poésie et d'humanité. Il nous renvoie à l'essentiel, à cette poésie qui est dans toute chose pour celui qui sait regarder. Il nous (re)montre le chemin de ce qui est vraiment important.
Avec lui, on apprend à ralentir le pas, le temps ; à retrouver un nouveau souffle. On prend le temps de vraiment observer comme il sait tant le faire, de regarder tout autour de nous. On se rappelle qu'
il y a des choses si belles, on fait attention au chant des oiseaux, on sourit à la petite vieille qu'on croise et qui nous rappelle notre grand-mère, on se promène près des étals du marché en admirant les formes et les couleurs des légumes, la courbure d'une gousse d'ail, l'éclat d'une aubergine, on se dit qu'on n'a pas fait de tartes aux mirabelles ou aux myrtilles depuis longtemps, que cela nous ferait du bien d'aller se promener sur la plage et de regarder la mer, et surtout, on se rappelle qu'
il y a des petits riens qui sont tellement magiques… des petits riens qui nous enrichissent profondément.
Monsieur
Frégni, je veux encore rester dans cette douce atmosphère, m'éblouir encore pour une phrase, une image, les lumières enivrantes du Sud, ressentir en moi cette sorte d'apaisement que vous m'apportez lorsque je me plonge dans vos récits, un bien-être que je ne veux pas perdre en refermant ce journal, une émotion dont j'aimerais faire mon quotidien.
Graver en moi ces mots qui m'ont touchée et me rappeler qu'on peut croiser de la beauté partout et ce ne sont sûrement pas les corbeaux qui viendront me contredire.
(*
Jean Ferrat / **
Apollinaire)