A l’intérieur ? Peut être l’essentiel, le lieu de l’écriture. Une vague sur le fracas du monde. S’agitent des bruits, des usages, des superflus, des choses tristement risibles. Des inutiles. Me parvient l’odeur désagréable d’une tâche renouvelée que rien ne lave. J’envisage une bonté, une trace, un pas, l’arbre plus sur que la saison. Et la boule qui tourne patiente. Et l’enfant qui jaillit. Toi tu dis : tu es la musique, le cristal en mouvement. Mais je ne sais pas. Je m’assois dans la vie et demande, qu’est ce qu’on fait là ?
C'est une poire d'hiver entre les terres blanches et les oliviers. Une attardée de sucre et d'eau, un sein offert qui fait claquer la langue. Indécente et promise, elle attend. Rougissante sur le tranchant de février, la rousse égarée fracture le froid. Elle attend la main, le compotier, la bouche. Une épingle ambrée broche son ciel. De vieilles feuilles suivent le même vent. Tout rêve est un poker, pour voir. Jusqu'à la dernière carte, que tu ne connais pas.
Mes phrases s'échappent de la page, je n'ai plus de mots. Si tu étais là, je ne dirais rien. Il y aurait des lumières de bouts de doigts, des mots à cueillir à la bouche, un parapluie de rêves plus grand que les questions. De ma nuque à mes reins, tu ferais le chemin d'une cambrure lente. Tu me tendrais les ciels, ce qui n'existe pas. Pour les étoiles, tu ouvrirais la mer. J'allumerais tes yeux.
Elle a aux yeux l'escarpée des pierrailles, les lilas de tombée de jour, l'herbe qui blesse, le froid des matins. Elle a la chaleur du rêve, l'aile du geste. Elle est de châtaigne et d'ortie, de feu et de terres. Elle serre la visite du moindre, ouvre les mains, souffle et le brouillon de la journée commence. Elle relaie les heures, distrait le silence, boit le café à la bouilloire de midi, et, jusqu'au soir, vérifie sa verticale. On ne tombe jamais que de soi. L'arbre est patient, pas elle qui veut tout et maintenant. Elle a aux yeux l'enfance d'une interrogation: tu m'aimes?
Des gestes, des soies, des laines, des vertiges, des qui n'existent pas. Un lieu avoué où les corps prennent souffle, et ces respirations où rougit la raison. Toi qui dénoues le ciel comme une chevelure, qui marques le passage d'une empreinte de sel, toi qui conduis l'espoir, le cri et l'écriture, pose ta main sur moi. Un mot sur la mer.
Le texte
"Je veux toi pour tisane. Le sucre de ta peau, ton goût de tabac d'arbre, le chat de ta gorge enroulé sur mon cœur, le chant de ton cœur déployé sur ma gorge, tes bras ouverts comme une table, tes pas de loup de nuit, ton sol précis sur mes graines de rêves, tes doigts sourciers sur mes glaises de soif, tes mers sur mes escales, tes bois à découvrir, mes rives à t'accueillir. Je veux tes mots revisités de fraises, tes mots rougis incendiés de neige. Je les veux qui enflamment qui touchent et qui m'existent. La sève de tes mains pour redevenir liane, l'arbre le fruit et la racine, le paysage en route, l'aimer à double tour d'où l'on ne sort jamais. Je veux le seringa troublé d'eau et de blanc, l'affolée de parfums de pollens et de miel, cette abeille innocente qui pille les corolles. Et plus que le désir, plus que le ciel à dire, plus que le tout à vivre, encore plus que le trop, je veux l'hiver épris des puissances d'été. Tes mains ouvertes, offertes pour les remplir de moi.
Mes mains ouvertes, offertes pour les remplir de toi. Pour me réinventer, je veux toi pour m'écrire et m'aimer sans boussole. Tes instances de vivre renversées sur mon souffle. Tes mots de pain nouveau accordé à ma faim. Tes yeux pour vêtement. Je veux toi pour tisane. Je veux toi au présent."
Extrait - Ile Eniger - Le bleu des ronces
Éditions Chemins de Plume
yrendunn
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