Je ne me suis jamais senti le droit d'exiger le monopole de l'amour, tout juste celui d'être actionnaire majoritaire.
Le travail de réviseure, bien qu'il soit parfois carcéral, me va comme un gant. J'aime la logique des mots, des accents et des virgules et je ne suis jamais aussi rassurée que lorsque tout ce petit monde trouve sa place.
Les poèmes courant comme des assoiffés vers un ruisseau. Des mots pleins de solitude couvraient les pages d’un souffle forcené. Des mots qui marchaient dans le noir et que Daphnée n’avait sans doute encore laissés s’échapper pour personne. Des mots fatigués, mais qui rayonnaient d’un élan majestueux, comme une brûlure.
Matteo s'était défilé pendant que je dormais et, trente-quatre jours d'affilée, je suis tombée d'un centième étage en agitant les bras.
« A l’hôpital, ils ont examiné Francesca de long en large. A soixante-dix-neuf ans, les causes de la perte d’équilibre sont infinies, m’a expliqué gentiment une infirmière aux yeux très bleus pendant que je patientais dans le couloir du service radiologique. J’essayais de rester zen et, pour une fois, je bénissais Feng Shui de m’avoir collé un catalogue médical le mois précédent parce que la moitié des mots qui sortaient de la bouche du personnel avaient plus de quinze lettres, ce qui leur conférait un aspect redoutable. » (p. 35)
-Et qu'est-ce-que j'inscris sur le formulaire d'absence?
-Inscrivez que j'ai avalé trois comprimés de cyanure par mégarde.
J’ai révisé de fond en comble ma définition du malheur. Pendant que la Somalie se qualifiait au record mondial de la barbarie, je mesurais ma chance. Contrairement à celle d’Aisha, ma vie ne s’était jamais tout à fait décousue, il y avait toujours eu un moment où le fil trouvait un nœud qui empêchait le tissu de se défaire complètement.
Jusqu'où peut porter le cri d'une âme ?
« Chez nous, pas le plus petit morceau de famille dysfonctionnelle qui m’aurait fait disjoncter, même pas pendant un quart d’heure. Pas de cris, pas de crises. J’ai moi-même participé à cette harmonie intergénérationnelle en n’ayant aucun bouton d’acné sur la figure pendant l’adolescence. » (p. 140)
« J’ai eu peur qu’il meure tout seul, sans sa femme, ses enfants, un cousin, quelqu’un qui lui tiendrait la main et lui soufflerait à l’oreille qu’il avait compté. Le policier qui, le premier, s’était trouvé sur le lieu de l’accident de mes parents m’avait expliqué, en baissant la voix et sans savoir qu’il m’offrait un puits de consolation, qu’on avait dû les sortir ensemble de la voiture parce qu’ils étaient si fort serrés l’un contre l’autre qu’on n’arrivait plus à les dénouer. » (p. 41)