Face aux dessinateurs de mangas qui sortent 48 pages en 2 semaines et face aux dessinateurs de comics qui sortent 48 pages en 2 mois, il est difficile de fidéliser un public avec des dessinateurs de bandes dessinées qui font 48 pages en 2 ans… Donc de plus en plus d'éditeurs ont opté pour la formule gagnante de la collection thématique où interviennent plusieurs auteurs (les puristes crient à l'hérésie, mais il fallait bien trouver une solution pour ne pas dépérir encore davantage face à la concurrence). C'est dans cette optique qu'après la collection "Sept" les éditions Delcourt ont continué à dégainer avec la collection "Jour J" dédié aux uchronies !
(mais il y a un truc chiant avec cette dernière, c'est qu'à chaque nouveau tome ne sait pas s'il s'agit d'un one-shot ou la première partie d'une minisérie)
Dans ce tome 23, intitulé "La République des esclaves", nous revivons la geste de Spartacus, héros de l'Antiquité qui s'est battu et qui est mort pour défendre la liberté, l'égalité et la fraternité ! Mais il s'agit peut-être moins d'une uchronie sur Spartacus que d'une uchronie sur Julius Caius César qui ici scelle son destin en deux temps. (La première fois en tuant des enfants, la deuxième fois en épargnant des enfants : les dieux sont joueurs, les dieux sont cruels…)
Le point de divergence se situe en 71 après J.-C., car ici les pirates de Cilicie ont choisi de ne pas trahir les esclaves révoltés et les ont fait passer en Sicile où ils ont pris le pouvoir pour fonder une nouvelle république qui a aboli l'esclavage. Nous nous retrouvons donc en 58 avant J.-C., et la République des affranchis est coincée entre une Rome revancharde et une province africaine de plus en plus rebelle… Dans le Game of Thrones romain, César et Crassus décident d'en finir avec elle pour avoir les mains libres d'affronter Pompée le Grand : le divin Jules n'ira donc pas en Gaule, mais en Sicile… Spartacus a été averti par les siens qu'un assassin a été envoyé pour l'éliminer, et il fait surveiller le jeune et courageux Magon qui fait les yeux doux à sa fille promise au jeune Titus, fils de Crixus.
Je suis un peu resté sur ma faim : difficile de raconter en 48 pages l'équivalent du film de Riccardo Freda (1953), du film de
Stanley Kubrick (1960), ou les quatre saisons de la série epicness to the max de Steven S. DeKnight (2010-2013). du coup l'uchronie n'est pas si différente de l'Histoire puisque la tragédie et la fin sont les mêmes, la Sicile remplaçant l'Italie du Sud et l'Etna remplaçant le Vésuve… Mais les auteurs ont eu l'intelligence de piocher dans les autres révoltes serviles de l'époque pour nourrir le récit et le background : celle d'Enus en Sicile (-140/-132), celle d'Aristonicos en Asie Mineure (-132/-129), et celle en Sicile encore de Salvius-Tryphon et d'Athénion (-104/-100)… Car passé un cap les inégalités sociales deviennent si importantes qu'elles tuent la foi en l'avenir, et les hommes se réfugient alors dans l'Utopie pour continuer à croire que demain peut être meilleur qu'aujourd'hui : tel était l'horizon des hommes et des femmes de la Mare Nostrum aux IIe et Ier siècles avant J.-C… (ceci est un message à caractère informatif : vu comment les homines crevarices qui dirigent le monde en ont rien à foutre des 7,5 milliards de personnes qui habitent notre planète, ça va forcément mal finir à un moment ou à un autre ! MDM)
Les dessins de Fafner ont choisi de suivre la voie du photoréalisme : ce style est toujours assez beau mais plus ou moins figé. On sent certes la série "Spartacus" dans le rétroviseur, mas je me suis surpris à reconnaître quelques modèles comme Henry Cavill pour Spartacus ou Ian McShane pour le chef des pirates ciliciens… Je suis moins convaincu par l'encrage et la colorisation qui rendent grimaçant certains personnages et qui donne une impression de pas fini à certaines cases. En fait j'ai trouvé les dessins un peu inégaux avec des cases super classes et des casses un peu brouillonnes…
Je suis sans doute plus sévère que d'habitude dans la notation avec cette BD, car j'en attendais beaucoup (voire beaucoup trop ?)…