En empathie avec les personnes qu'elle photographie,
Dorothea Lange est une militante qui veut transmettre son émotion face au désastre humain qu'engendre une crise économique.
Elle quitte son travail de portraitiste et part sur les routes à la rencontre des petits fermiers américains qui, expropriés de leurs terres pendant la grande dépression, furent poussés par la sécheresse et la ruine, sur les routes de l'ouest à la recherche d'un eldorado qu'il ne trouveront pas. Parqués dans des tentes de fortune ils essaient de survivre parmi une population autochtone hostile qui ne voit pas leur arrivée d'un bon oeil.
Dorothea Lange abolie toute distance avec le sujet qu'elle photographie en noir et blanc, en choisissant un cadrage serré. Mais elle ne se contente pas de photographier les gens qu'elle rencontre, elle fait aussi entendre leurs voix :
- «Nous avons bien vécu quand il y avait du coton à récolter. Mais nous n'avons plus de travail depuis mars. Quand nous n'avons plus rien, il faut bien manger quand même. le pire que nous avons fait, ça été de vendre la voiture, mais il fallait bien manger, et maintenant nous ne pouvons plus partir d'ici. Nous serions morts de faim si ma soeur, à Enid ne m'avait pas envoyé de l'argent. En Avril dernier, quand il a neigé, nous avons dû brûler des haricots pour nous chauffer. Ici, on n'obtient aucune aide tant qu'on est pas resté au moins un an. Ce pays est rude. On ne vous enterre même pas. Si vous mourez, vous êtes mort, voilà tout.»
«Femme des hautes plaines 1938»
Si je devais choisir deux ou trois photos dans ce bel album aux reproductions de grande qualité je retiendrais :
- «La crise, bas reprisés, sténographe, San Francisco» de 1934; qui représente un gros plan sur les jambes d'une femme aux bas reprisés de partout, «qui pour préserver une dignité dans son apparence» préfère «être vue avec des bas reprisés que sans bas du tout»
- «Migrant Cotton Picker, Eloy, Arizona» de 1940, gros plan du visage d'un homme, la main devant la bouche pour masquer le mauvais état de ses dents.
- «Mère migrante, Nipomo Californie» de 1936, la plus célèbre d'une série de six photos qu'elle commentera : « Je ne lui ai pas demandé son nom, ni ce qu'elle avait enduré. Elle m'a dit qu'elle avait 32 ans, et qu'ils se nourrissaient des légumes gelés ramassés dans les champs, et des oiseaux que les enfants parvenaient à tuer. Elle venait de vendre les pneus de sa voiture pour acheter de la nourriture. Elle se tenait là, sous cette tente, avec ses enfants blottis contre elle, consciente que mes photos pourraient peut-être l'aider ; et c'est pourquoi elle m'a aidée. Il y avait une sorte d'égalité dans notre rapport. »
- Où encore cette photo très ironique, de deux hommes qui marchent, valise à la main sur le bas-côté poussiéreux de la route, "entrain" de dépasser un immense panneau publicitaire sur lequel est écrit : Next time try the train Relax. «Toward Los Angles» 1937
Je retiendrais également ce commentaire de
Paul Taylor «An American Exodus» :
A leur arrivée dans les vallées fertiles de l'ouest, ces migrants en guenilles sont la catégorie la plus méprisée, la plus affamée, la plus négligée de notre population. Ces miséreux sont l'objet des sarcasmes de ceux qui regardent de haut les «vagabonds ramasseurs de fruits». Malgré cette misère, ils gardent le moral et une réelle volonté de travailler. Ces gens ne sont pas un ramassis de ratés. Ils forment un matériel humain que l'érosion humaine a cruellement disloqué. Ils ont été dispersés comme les copeaux de bois après le passage du rabot, ou comme la poussière de leurs fermes, littéralement soufflés par la tempête. Et ils marchent vers l'ouest, ces américains blancs, à la suite d'une longue procession d'immigrants, des chinois, Japonais, Coréens, Noirs africains, Hindous, Philippins, pour travailler aux récoltes au profit des fermiers.»
Un magnifique document de
Mark Durden paru aux éditions Phaidon. Reproductions de belle qualité. Simplicité de la mise en page. Jolie couverture. Cela donne vraiment envie de se plonger dans leur catalogue.