Le potin derrière le bouquin.
Avant Marguerite (qui d'ailleurs ne s'appelait pas vraiment
Duras…), il y avait Claire, Duchesse de
Duras…
On doit à cette personnalité du début du XIXe siècle quelques oeuvres littéraires reconnues pour leurs thèmes et leur regard d'avant-garde comme
Ourika, sur l'émancipation amoureuse d'une antillaise, ou encore
Edouard, un amour transcendant les classes sociales.
Mais c'est
Olivier ou le secret, manuscrit posthume, et véritable feuilleton people du tout-Paris littéraire qui attira mon attention.
Par où commencer ? Peut-être vous dire que l'écrivain
Astolphe de Custine était promis à la fille de Claire de
Duras. Sa mère fit le tour des Salons de la Restauration pour tenter de refourguer, sans succès, son inverti de fils, y compris à la fille de Madame de Staël. Mais voilà qu'à quelques heures de la signature du contrat matrimonial, Custine rompt les fiançailles !
Un tel affront ne saurait rester impuni… la famille de
Duras contre-attaque, revendique la rupture de l'alliance, et accuse Custine… d'impuissance !
Sujet pour le moins audacieux qui inspira donc à
Claire de Duras un manuscrit, histoire de bien enfoncer le clou,
Olivier ou le secret, qu'elle renonce à publier après que celui-ci n'ait pas reçu un accueil très favorable dans son entourage…
Mais trop tard ! la rumeur court d'une rive à l'autre de la Seine,
Henri de Latouche, connu comme l'auteur du premier roman français traitant de l'androgynie, publie un faux “Olivier” et les ragots l'attribuent à
Madame de Duras, en dépit des démentis de Latouche.
Un jeune écrivain, très inspiré par
Madame de Duras, Henri Beyle veut à son tour pasticher ce mystérieux manuscrit dont on prétend que la duchesse donne des lectures clandestines. En effet, comment ne pas faire de parallèle entre l'argument d'Armance, le premier roman
De Stendhal, et le choix audacieux de Madame de
Duras. Octave devait même initialement s'appeler Olivier aussi, si
Prosper Mérimée n'en avait dissuadé
Stendhal. Comme Octave, Olivier est le roman de l'amour non consommé, de l'amour impossible et impuissant.
“On est enfant plus longtemps qu'on ne le pense Olivier, ne le serions nous pas encore ?”
Madame de Duras choisit le genre épistolaire pour dérouler son intrigue, un choix qui se révèle d'une redoutable efficacité. Sur la forme, les lettres offrent un accès plus direct, moins parasité, aux émois des personnages. Autant dire que les transports du comte de Sancerre et de la Duchesse de Nangis sont sans retenue, nous sommes au début du XIXe siècle et l'écrivaine n'échappe pas à l'influence du romantisme, les plaintes s'étalent de pli en missives.
On retrouve le romantisme également dans le rapport sensible à la nature environnante, on ressent la brume autour des tourelles des châteaux de pierres et de lierres, la bruine de la rosée qui mouille les chevilles dans les hautes herbes, et l'odeur du sous bois après la pluie, comme un ciel après l'orage dans un tableau de Turner…
Rien d'étonnant lorsqu'on sait que
Claire de Duras fut une intime
De Chateaubriand, elle entretiendra une correspondance et une amitié parfois contrariée avec l'immense écrivain romantique. “Une amitié comme la mienne n'admet pas le partage” écrit-elle, jalouse, à
Chateaubriand. Il est probable que les vaines espérances sentimentales de la duchesse pour
Chateaubriand se reflètent dans souffrances d'un amour impossible entre Louise et Olivier.
“Pour voir ce qui m'entoure, pour reprendre au plaisir, pour croire au bonheur ; je t'attends pour former des projets, pour goûter l'espérance, hélas ! je t'attends pour vivre”
C'est encore l'oeuvre
De Chateaubriand qui semble inspirer
Madame de Duras, notamment dans une allusion aux amours consanguins pour expliquer l'insurmontable obstacle au bonheur conjugal des deux âmes soeurs… ou serait-ce pour brouiller les pistes ? Certains critiques ont vu, dans Armance comme dans Olivier, l'impuissance comme un paravent pour dire l'inénarrable pour l'époque : l'homosexualité (on en revient au fameux Custine, vous me suivez toujours ?).
“tu me demandes mon secret, mais je ne puis te le dire, tout en moi se révolte à l'idée de le révéler, le désespoir, la honte, se partagent ma triste vie”
L'histoire est bien construite, si les élans et inspirations romantiques sont parfois prévisibles ils n'en restent pas moins émouvants, le récit compte son lot d'inattendu, enfin la langue est magnifique. On est assuré de passer un moment agréable, esthétique et touchant avec la plume de Madame de
Duras.
P.S : Je profite de boucler la boucle avec
Stendhal pour vous dire merci, ma première critique fut ici le Rouge et le Noir il y a dix ans, jour pour jour ! Depuis mes camarades babéliotes m'instruisent et m'inspirent par leurs lectures, leurs critiques et leur régularité, et m'obligent à faire de même, à doubler l'expérience de lecture, individuelle, solitaire d'une expérience partagée, collective, à doubler la lecture de l'écrit d'un avis, à rendre donc le moment plus grand que moi, et l'accompagnement du texte plus long aussi !