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Ce livre représente pour moi un présent précieux et délicatement dédicacé de la part de son auteur. À ce titre il occupe une place particulière dans ma bibliothèque. Celle réservée à ces « alliés substanciels » comme les appelait René Char dans une belle formule reprise par Linda Lê dans Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau.

Je l'ai lu avec une lenteur certaine et avec le bonheur de me sentir la bienvenue dans cet univers poétique créé par la plume si fine de l'auteur. Dourvac'h aime, me semble-t-il, Julien Gracq. Aussi, je voudrais ici, citer un passage de En lisant, en écrivant (p. 168-169) pour exprimer ce sentiment chaleureux dont je fus enveloppée à la lecture de Heiraten et qui culmine avec la dédicace finale à la « douce Dominique » dont l'auteur a écrit (cf. son commentaire à ma citation) : « ultime (et intime) dédicace ».

L'auteur m'a surprise (très agréablement) par la qualité de son livre, fruit d'un dur labeur de recherche et conception artistique, répondant probablement et subtilement à ce « dur désir de durer » qu'engendre la force de l'amour, et je l'ai, à mon tour et à l'instar de ce que dit Julien Gracq, surpris dans « ses traces » :

« La lecture d'un ouvrage littéraire n'est pas seulement, d'un esprit dans un autre esprit, le transvasement d'un complexe organisé d'idées et d'images, ni le travail actif d'un sujet sur une collection de signes qu'il a à réanimer à sa manière de bout en bout, c'est aussi, tout au long d'une visite intégralement réglée, à l'itinéraire de laquelle il est nul moyen de changer une virgule, l'accueil au lecteur de quelqu'un : le concepteur et le constructeur, devenu le nu-propriétaire, qui vous fait du début à la fin les honneurs de son domaine, de la compagnie duquel il n'est pas question de se libérer. […] Si impersonnel qu'il se veuille, un livre de fiction est toujours une maison vide que tout, de pièce en pièce, dénonce comment encore quotidiennement, désinvoltement habité, du manteau accroché à la patère à la robe de chambre qui traîne sur le lit, et au désordre de la table de travail – et je suis toujours content quand j'ai l'impression de surprendre l'auteur sur ses traces toutes chaudes, et comme au saut du déménagement.»

Je garderai à l'esprit longtemps cette histoire qui est une si belle invitation à ne pas trahir les morts, mais aussi à relire l'oeuvre de Franz Kafka, à qui appartient la conclusion du livre : « Ma barque n'a pas de gouvernail, elle navigue au gré du vent qui souffle au fond des régions inférieures de la mort. » (Das Jäger Gracchus).

Un dernier mot pour dire à quel point j'ai apprécié l'idée de reprendre « [les] trois langues : autant de mélodies humaines reflétant la prodigieuse diversité culturelle de [l]'époque ».

Là où j'entends le plus la voix de l'auteur, me semble être à la page 62 :

« Travailler, travailler...
Mériter son pain.
Et puis ?
Exténué, évidement.
Comment vivre autrement ? ».

L'étude par les livres me semble être un travail que nous nous devons d'accomplir à l'image de ce qu'a entrepris Dourvac'h.


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Je viens tout juste de refermer ce livre et j'en reste sans voix. J'avais déjà été charmée par Grand Large, roman sur les affres de la vie dans lequel l'auteur arrivait comme par magie à insérer une prose poétique de toute beauté... Mais là, nous sommes dans une autre dimension.

Si je vous dis "Kafka", vous me répondez La Métamorphose, le Procès ou le Château. Mais Dourvac'h, lui, vous dira instantanément : "Julie". Julie ? Une des oeuvres inconnues de Kafka ? On pourrait presque le voir ainsi. Mais il s'agit en réalité de Julie Wohryzek, une de ses fiancées. Vous l'aurez compris, nous avons là un texte nous relatant la relation entre les deux amoureux ; une relation sur fond de tuberculose puisque la rencontre des tourtereaux s'est faite au sanatorium.

En s'immisçant ainsi dans les pensées de l'écrivain, l'auteur met en relief tout ce qui le rongeait : la maladie tout d'abord, sa première maîtresse, l'amour passionné pour Julie et... l'amour pour les femmes. Nous faisons face à un être torturé. Qu'en aurait-il été si le mal qui phagocytait ses poumons n'avait pas été là ? Si les parents de Julie avaient bien voulu de ce mariage ? Si Milena n'était pas venue le détourner de son chemin ? Autant de questions qui restent en suspens...

Je persiste et je signe, l'écriture de Dourvac'h est magnifique, travaillée, d'une richesse confinant au sublime. Il y aura désormais, lorsque je lirai du Kafka, cet écrit magistral en filigrane... Un "avant" et un "après" Heiraten.

Chapeau bas à cet écrivain qui joue dans la cour des grands ainsi qu'à son éditeur, Michel Chevalier, des Editions Stellamaris, pour avoir eu le courage de publier un livre loin de toutes les sirènes commerciales. Et j'ajoute que celui-ci rend d'autant plus hommage à cette pépite littéraire qu'il est richement illustré sur papier glacé.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Sanatorium de Riva (Tyrol) – 1913
Gerti et Franz. Kafka, 30 ans, rencontre la toute jeune Gerti, die Schweizerin, qui restera sa douce nostalgie, son idéal féminin. Elle adore les contes illustrés. Il ne lui dessine pas un mouton mais un chevalier, une princesse, un vieil elfe. Sa trace légère s'est perdue dans les limbes.

Pension climatique de Schelesen (Prague) – 1918
Julie et Franz. Kafka, 35 ans, rencontre la jolie Julie. Ils se promènent, se plaisent, roucoulent, se fiancent, rompent, se revoient, se quittent. Elle est gaie et fougueuse, elle adore les musiciens de Prague. Il est sombre et pensif, l'écriture le torture, il souffre de l'autorité intraitable de son père qui refuse le mariage.

Milena J. pourrait-elle être la cause de cette rupture définitive ?

Franz Kafka a laissé une nombreuse correspondance et ses manuscrits à son ami, Max Brod, avec mission répétée de tout détruire. L'ami n'obéit pas sans quoi nous n'aurions jamais connu le Château, le Procès, La colonie pénitentiaire, etc.

Heiraten (Noces) raconte de manière poétique, avec finesse et sensibilité, ces deux rencontres amoureuses. Alliant les dialogues imaginaires aux extraits de correspondance ou du Journal de Kafka, l'auteur nous entraîne sur les bords du lac de Garde, devant les énormes rochers sculptés de Vaclav Levy dans la forêt pragoise et dans les rues animées de la capitale tchèque.

L'alternance de l'allemand, du tchèque et du yiddish donne un rythme très réaliste à ces amours sincères mais entravées.

Le bonheur est toujours de courte durée pour Franz mais comme il aurait pu l'écrire : « Je ne sais pas parler du bonheur. N'est-il pas temps que j'apprenne ? »

Il a beaucoup appris mais sa nature fragile eut raison de son désir à 40 ans.

Les photos de ces belles dames, de Prague et de sa pension sous la neige, invitent à feuilleter ce joli livre et à en découvrir tous les petits trésors de ces vagues amoureuses comme on s'attarde avec nostalgie sur un album de jeunesse. Une courte biographie de chaque personnage complète ce tableau gracieux en demi-teintes.
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Ha! Quel magnifique ouvrage, aéré et aérien; une onde poétique vibrante de romantisme. J'ai A-DO-RE !

L'auteur peint avec des mots la rencontre de Franz Kafka et Julie Wohryzek, sa fiancée éphémère aux contours éternels. Égrainés de photographies et d'extraits du journal et de la correspondance de Franz Kafka, il fait fleurir ses amours, comme un bouton en forme de promesse.

"Je ne sais pas parler du bonheur.
N'est-il pas temps que j'apprenne ?
Un pas, puis deux dans la lumière...
Comme un enfant apprend à marcher."

Ce n'est ni une biographie, ni une fiction, c'est les deux à la fois! Basé sur les écrits de Kafka, il s'agit d'une évocation de l'amour et ses tourments. Amours reviviscents, amours impossibles, amours tendrement romantiques, Kafka est attiré par Julie comme un papillon est attiré vers la lumière. Elle incarne la vie, la fraicheur, l'insouciance, la gaité. Tout son contraire, lui, dont l'âme est si tourmentée par la maladie et la mort.

"Tu parviens à me faire rire de moi avec toi - de mon brouet de petits malheurs, clairs et réjouissants pour toi, opaques et désespérants pour moi..."

C'est aux portes de la pension Stüdl que nait leur histoire et commence l'histoire.

"Poussant la lourde grille de la pension: comme j'aime son joli grincement! Un chant dans la neige.
Si près des yeux, sa double rangée de flèches.
Écailles de métal peint sous la pulpe des doigts - rouille émeraude qu'on aime caresser longtemps, comme le dos d'un lézard immobile.
Est-elle là? (...)"

La suite est tout aussi délectable...
Dans ce sanatorium dédié au repos et à la convalescence, qui semble protégé par un cocon neigeux, entouré d'une forêt d'ombre et de lumière, au sein de laquelle les "Diables de Levy" sommeillent, leurs amours s'épanouiront délicatement. Mais le retour à Prague est aussi celui du douloureux réveil, de la réalité qui balaie tout sur son passage, de l'omniprésence du père, de la peur de s'engager peut être. C'est également celui de la réminiscence de ses amours avec Gerti Wasner. La forêt enneigée qui nimbe son amour pour Julie finit par se fondre dans les lacs aux eaux dormantes de celui pour Gerti. Kafka apparait comme un amoureux de l'amour qui puise dans ses amours la force de vivre et d'échapper à la réalité.

"Douceur et mélancolie de l'amour. Son sourire s'adressant à moi dans la barque. C'était le moment le plus beau. Toujours désirer mourir, et surnager encore, cela seul est l'amour. " Franz K., Journal, 22 octobre 1913.

Ce livre original dans sa forme, inclassable dans son contenu, est superbe, comme une esquisse au fusain aussi légère qu'ombragée, comme un chant mélodieux au coeur de la nuit. Si vous aimez les belles écritures harmonieuses, ciselées et délicieusement poétiques qui chantent l'amour, vous l'aimerez aussi. Si en plus, vous êtes curieux de l'homme que pouvait être Franz Kafka, ce livre est définitivement pour vous! Un ouvrage trop court au nectar délicieusement gouteux, avec un petit gout irrésistible de "reviens-y". Sublime ! Une très très belle découverte.
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Poussez la grille de la pension d’Olga Stüdl à Schelesen où Kafka « le choucas » et Julie « la grive musicienne » vont se retrouver loin de Prague. Vous ne le regretterez pas.

Cela commence ainsi :
« Poussant la lourde grille de la pension : comme j’aime son joli grincement ! Un chant dans la neige.

Si près des yeux, sa double rangée de flèches.

Ecailles de métal peint sous la pulpe des doigts — rouille émeraude qu’on aime caresser longtemps comme le dos d’un lézard immobile.

Est-elle déjà là ?
Pas un mouvement aux rideaux.

Pas encore rentrée… »

et se poursuit tout en délicatesse,
« Visage fragment de lune dont j’admirais le profil.

Cou fléchi de jeune cygne malade.»

tout en effleurements poétiques pour approcher « l’éternel fiancé » et Julie femme enfant, fantasque, joueuse, mutine qui va lui offrir son rire auquel le sien fera un temps écho pour tenter de couvrir le monde angoissant qui est le sien.

Mais il faudra revenir à Prague où règne le père … Prague, où Milena va faire son apparition.
« Si je pouvais - pas après pas - rejoindre ton bonheur de vivre… l’approcher pour m’installer à son côté sans l’effaroucher. Sans laisser deviner combien il me réchauffe… L’ombre des pères glisserait alors loin de nous deux. Lentement s’éloignerait dans les ruelles. L’ombre des ruelles ne tient-elle pas de cette ombre-là ? Elle nous laisserait enfin. Nous irions bras dessus, bras dessous. Nous gagnerons le soleil, la place un instant illuminée. Feux de bengale au crépuscule, qu’un forain laisse échapper de sa main » p 66

Et revient aussi le souvenir d’une autre petite fiancée, papillon éphémère qui lui aura, elle-aussi, servi à soutenir et faire renaître sa fièvre créatrice.

Gerti à Riva :
« Maintenant assise face à moi, son petit chapeau posé un peu de travers - en se donnant des airs graves. J’ai bien envie de rire mais son regard obstiné d’enfant me fait me reprendre. Je redresse mon menton qui s’appuyait sur un faux col immaculé pour la regarder au fond de l’âme.

Une enfant si confiante, profonde, à l’imaginaire si vaste. » p 104

Ce petit livre jalonné de photos anciennes au charme suranné donne vie à des êtres que l’on pourrait croire sorti d’un album familial et ainsi nous les rend très proches. Et leur belle évocation poétique où s’intègrent des extraits de la correspondance de Kafka et de son journal vient renforcer cette impression de partager leurs rêves, leurs angoisses et leur intimité.
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En feuilletant le petit livre de mon ami Dourvac'h je fus agréablement surpris d'y trouver une photo de Max Brod (1884-1968), "l'ami indéfectible de Franz Kafka", comme spécifie l'auteur. Je me souviens d'avoir, dans un moment d'idéalisme juvénile, souffert à cause de mon Français rudimentaire, sur son ouvrage "Franz Kafka : Souvenirs et documents" de 377 pages. Je suis allé consulter ma liste de livres lus et j'ai été sidéré par la date : le 7 février 1964, j'avais 17 ans. Bien que je n'étais pas assez mûr pour apprécier ce livre à sa juste valeur, il m'avait impressionné et c'est de là que date ma grande admiration pour Franz Kafka. Mais j'ai eu le bon sens d'attendre un peu avant de m'attaquer à son "Le Proces" , "La métamorphose" et "Le Château".

Lors de ma première visite à Prague, en 1970, une amie tchèque m'a amené, à ma demande, à la tombe de ce géant de la littérature et de sa famille. J'ai aussi pu admirer la plaque commémorative, juste en face de cette tombe, à la mémoire de Max Brod, qui lui a été enterré en Israël.

Cet ouvrage a reçu 15 critiques favorables sur Babelio et après les chroniques superbes de LydiaB et de mon amie ClaireG il n'y a pas grand-chose que je puisse ajouter de sensé.

Sauf peut-être que ce document, puisqu'il s'agit d'un document, m'a plu. Il est par ailleurs richement illustré avec des photos de Julie Wohryzek, un amour de Kafka dont il a brossé un portrait flatteur dans une lettre à Max Brod, née à Prague en 1891 et morte à Auschwitz en 1944, et de la très jeune Gerti Wasner de Lübeck avec qui il a eu une liaison éphémère. À propos de cette Gerti, Kafka a écrit : "Pour la première fois j'ai compris une fille chrétienne et j'ai vécu pratiquement complètement sous son influence".

Ce qui m'a un peu étonné c'est de ne point y rencontrer une photo de Milena Jesenska, née également à Prague en 1896 et une autre victime des nazis, morte à Ravensbrück en 1944. Kafka et elle ne se sont rencontrés que 2 fois, mais comme Milena ne voulait pas divorcer de son mari, Kafka a mis fin à cette liaison. Elle a traduit plusieurs nouvelles du grand maître tchèque et j'ai lu d'elle "Vivre" que je peux vous recommander.

La rencontre de ces 2 amours brefs de Kafka, mort à 40 ans de tuberculose, est présentée de façon admirable : romanesque et littéraire. Certains passages vous prennent à la gorge, surtout si l'on tient compte de l'endroit, des sanatoriums, et du sort tragique des personnages.

Que penser du passage suivant (à la page 92) : "Nous ne pouvons nous marier parce que je suis si malade...Nous ne pouvons nous marier car tu deviendrais si malade... Nous ne pouvons nous marier parce que j'ai si peur de mourir..."

C'est triste de penser ce qu'un des plus grands écrivains du siècle dernier aurait pu nous laisser encore comme oeuvres merveilleuses, si une défaillance pulmonaire n'en avait pas décidé autrement !

C'est tout le mérite de Dourvac'h et des Éditions Stellamaris de Brest d'avoir rendu un hommage admirable à l'immortel Franz Kafka. J'espère que cet ouvrage contribuera à un regain d'intérêt pour cet auteur parmi les jeunes lectrices et lecteurs.
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Entre le poème- conversation et le poème tout court, entre la neige et le lac, entre Julie et Gerti, entre les rochers des Diables et le balcon des anges, voici Heiraten...

Les "Noces" du récit et de la poésie.

Je n'ai pas "aimé" bêtement ma lecture : j'ai été envoûtée, bercée, magnétisée par le chant de Dourvac'h.

Oui, le chant: une pincée de tchèque, un fidl de yddish, ein bischen d'allemand et surtout sa langue à lui, toute de suggestions, de langueur maladive et de douceur..Subtile et triste, cultivée et enfantine, pleine de fêlures et de rires cristallins, pleines de larmes et de sourde angoisse.

L'histoire est simplissime.

Franz Kafka rencontre Julie, dans une pension sous la neige, près d'une grande forêt où un sculpteur un peu fou a sculpté de géantes têtes de démons. Tous deux sont jeunes, tous deux sont phtisiques, tous deux sont juifs. Mais elle est gaie et toute naïve, lui est sombre et comme hanté par la mort à l'oeuvre dans son faible corps, par l'ombre terrible du père, par ses livres qui le dévorent comme une fièvre.
Elle veut l'épouser: elle a déjà perdu un premier fiancé à la guerre. Elle veut un anneau. Il le lui achète mais bientôt par faiblesse, par lâcheté, par fatigue, il cède à l'interdiction menaçante de son père, - ou est-ce à la peur de la mort et de l'amour charnel? à la rencontre avec Milena, l'âme-soeur?
Pour la consoler, la distraire, il lui conte l'histoire d'un autre de ses amours perdus: Gerti, rencontrée au sanatorium.
Franz et Julie ne s'épouseront jamais. L'anneau de Julie n'aura jamais son pendant sur la main décharnée de Franz...

C'est tout.

Mais c'est ne rien dire du charme intense de ce petit livre ciselé, musical, amoureusement construit, illustré, présenté.

J'avais lu et aimé déjà Grand large :plus breton, plus romanesque, plus narratif -mais déjà plein de poésie et très impressionniste dans ses couleurs et sa palette...

Dourvac'h joue ici d'autres gammes: on pense à Caspar David Friedrich, à Adolphe, aux grands mythes du romantisme allemand, la Lorelei, le Roi des Aulnes,Lenore, et aux mythes juifs et tchèques -ces rochers diaboliques sont les Golems de la forêt- mais surtout son livre est ancré dans l'histoire d'un auteur qui est devenu comme son frère.

Il est Franz, il marche avec Julie dans la neige, il tient sa main et se désole de ne pas l'aimer assez, de ne pas l'aimer mieux, elle qui est si gaie, si tendre...

En lisant Heiraten j'avais mille images dans les yeux, et la musique klezmer berçait mon coeur de ses violons tour à tour frétillants et déchirants.

On doit relire Heiraten, presque tout de suite: c'est trop court, trop parfait;

On a l'impression d'avoir rêvé..
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Les Éditions Stellamaris (Brest) ont édité en 2015 ce beau livre « Heiraten (Noces) » : c'est aussi un bel objet avec ses pages glacées qu'on peut commander sur le site web de l'éditeur. C'est difficile de trouver les mots, disons que c'est un gros coup de coeur, une lecture vraiment incroyable, l'auteur Dourvac'h nous transporte littéralement et dès la lecture finie, on est à la fois désarmé et conquis.

Lorsqu'on entre dans le livre, c'est un peu faire entrer le soleil à travers les ombres, on entend même le bruit de la forêt, on se laisse bercer par la voix intérieure de Franz K. et on se sent rapidement projeté déjà dans son univers sombre et des ombres mystérieuses. « Eh bien, qui vient troubler ainsi ma retraite ? ». Il partage en trois parties ce que Franz K. vit au quotidien à travers deux rencontres magiques et tragiques : Julie W. & Gerti W. « La vie a bien besoin de ressembler à un fin de trait de lèvres, de ceux qui nous ouvrent le ciel étoilé. ». L'histoire se déroule de 1918-1920, de Schelesen à Prague... Franz K. rencontre Julie W: « Une jeune fille qui m'aime et que j'aime… ». Noces éternelles entre l'amour impossible et la mort invisible. Nous découvrons que Franz K. est un amoureux de la littérature, il aime créer des histoires et il sait bien les raconter à ses interlocuteurs. Il se remémore aussi sa rencontre avec la jeune Gerti, qui se déroule en 1913 sur les rivages de Riva. L'auteur sait très bien faire naître des images, comme lorsque Franz lui relate ses petits contes. « Notre petite Princesse Gerti ne voudrait-elle pas courir l'aventure, elle aussi ?… Sur ce visage adolescent, ce matin-là je vis fleurir le plus doux des sourires – pareil à ce premier soleil qui levait les brumes du lac par-dessus son épaule ».

Une longue recherche a été faite pour écrire ce livre, « Heiraten », et lui donner toutes ses richesses. Ses illustrations nous permettent aussi de nous amener au mieux dans cet univers et nous le rendre exceptionnel. Les langues allemandes, tchèque, yiddish sont introduites dans les dialogues et tout est écrit afin de refléter les mentalités de ces temps anciens. L'avertissement de l'auteur le justifie ainsi : « Autant de mélodies humaines reflétant la prodigieuse diversité culturelle de leur époque… »

On ressent un être profond à la fois tourmenté et dont l'auteur sait très bien saisir l'intériorité en nous faisant vivre cette expérience inoubliable. C'est grâce à son contact qu'on apprend à le connaître à travers les différentes facettes de sa vie et sa relation avec son Père… Ce père déclarant à son fils Franz : « Chaque jour, toute sa vie, travailler pour nourrir sa famille comme je le fais… », puis le jugeant : « Ne pas perdre son temps à écrire des histoires ! ».

Ce récit « Heiraten » est comme une pièce musicale que l'on vit à différentes tonalités, qu'on traverse sur le chemin des ombres, là où la lumière éphémère se glisse dans la pénombre. Il est inévitable d'éprouver beaucoup de tendresse pour ces personnes qui ont existé et auquel l'auteur donne une seconde vie. Ce livre vous fera vivre des émotions telles des vagues sombres et des lumières.

« - Franz, tu peux être ou redevenir enfant, toi aussi… regarde-moi un peu et prends exemple ! Elle fait une horrible grimace en déformant sa grande bouche magnifique… Je souris : Julie me fait repenser à l'histoire que G*** préférait… Je racle ma voix la plus mâle… comme dans les lectures publiques… ».

Je me permets aussi de signaler pour vous la longue liste de toutes les oeuvres de Franz Kafka et les livres à propos de sa vie et ses oeuvres, dont je vous donne ici le lien : https://www.babelio.com/liste/12561/Franz-KAFKA-1883-1924-une-trop-breve-existence. Pour en savoir un peu plus, il y a aussi le site web de l'auteur : http://dourvach.canalblog.com/.

Enfin, cette belle citation parle vraiment d'elle-même : « Un grand auteur est celui dont on entend et reconnaît la voix dès qu'on ouvre l'un de ses livres. Il a réussi à fondre la parole et l'écriture. » (Michel Tournier). Elle m'a fait penser à « Heiraten » et à son beau petit monde livresque : https://www.babelio.com/liste/12378/Le-Tour-du-tres-petitmonde-de-DOURVACH-en-5-li

Siabelle
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Heiraten, (Noces, ou au sens strict : "S'unir avec" en langue allemande) est le récit bouleversant des rencontres amoureuses de Kafka avec deux jeunes filles dont Julie W., nouées avec ce brin d'espoir, « la mort attendra bien encore un moment ».p44
Le texte est un pur cristal, comme un verre dans la lumière floue du matin, comme le cristal de Roederer, fragile bouquet de parfums, de sentiments indicibles, un moindre faux pas et tout se brise, pour ces âmes clouées à un corps trop frêle.
"Nul ne lira ce que j'écris ici; nul ne viendra m'aider", Max Brod n'a pas détruit l’œuvre de Kafka, et les documents sont restés intacts même les plus secrets.

Et nous lisons ce qu'il a écrit, malade de la tuberculose, comme Julie W, comme Gerti W.

Dourvac'h a restitué dans Heiraten, tous les éléments de ces rencontres, des photos, des lettres, notamment de Kafka, jusqu'à émailler son texte de paroles en allemand ou en Yiddish, apportant une étrangeté comme une sorte de grâce, entourant le son de leurs voix.

Texte d'un romantisme absolu, les mots sont fragiles, ils portent une ferveur amoureuse et une menace douloureuse, "t'écouter c'est entendre la plainte de chacun des arbres, endurer leurs plus humbles tracas."
Plus on avance dans le texte plus la sincérité et la puissance de leur amour paraît éclatante et inébranlable, "toi que j'aime jusque dans ta beauté tragique."

Tout bascule, "car fuir, est impossible", "viendra l'hiver je le sais bien. "

"Je lui tiens la main le silence nous sépare, tu comprends,"dit Kafka à Julie, et plus loin encore, "nous ne pouvons nous marier puisque père t'a déjà insulté", et  viendra la peur , "nous ne pouvons nous marier puisque j'ai si peur de mourir, et parce que tu devrais mourir à ton tour, et alors! dit Julie !"

Dans ce récit, l'extrême sensibilité de Kafka est traduite d'une façon lumineuse, loin des clichés souvent exprimés par de bons érudits, pas mécontents de mettre sur le dos de Kafka, la seule partie noire de son œuvre.

Ce n'est pas une fiction imaginée par un fougueux romantique breton. Les dialogues sont en harmonie avec les écrits de Kafka, la mélancolie qui étreint Julie et Kafka, dans la recherche d'une issue, se heurte à leur maladie, à leur fragilité. L'aventure avec Gerti W est une diversion de plus, car « il ne sait pas parler du bonheur ».

Désespéré il en appelle à la mort, "La maladie se débarrassera de moi.Tout devra disparaître. Max comprendra bien ça."
C'est bien Kafka lui même qui va dans sa solitude, perdre sa fiancée, éprouver une dernière fois, l'amour impossible et la mort prévisible. Mort tragique que connaîtra 20 ans plus tard Julie et les trois sœurs de Franz dans les camps Nazis.

Que les lecteurs de Kafka se bousculent pour éprouver ce très beau texte, d'une poésie et d'une pudeur farouche, "Je n'ai plus froid... et tu es là, ça me suffit. Berces moi".

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[A l'occasion du Premier Centenaire – non célébré – de la belle rencontre hivernale entre Julie WOHRYZEK et Franz KAFKA en février 1919, voici un nouveau texte critique de notre récit, "Heiraten" : courrier reçu début 2018 et signé par Jean-Louis PIERRE, professeur de Lettres modernes, Président d'honneur de l'association "Les Amis de Ramuz", auteur de l'ouvrage référentiel "Identités de C. F. Ramuz" (Artois Presses Université, 2011)] :
___________________________________________________________

" Avec "Heiraten (Noces)", Dourvac'h nous propose un précieux petit ouvrage de 134 pages consacré à Franz KAFKA - plus exactement aux rencontres amoureuses de Julie Wohryzek (les dix-sept premiers chapitres) et Gerti Wasner (les trois derniers chapitres en "flash-back").
L'ouvrage est accompagné de brèves notices biographiques des principaux protagonistes, avec leur photo. Des éléments de la correspondance de Kafka avec son ami Max Brod, ou du "Journal" figurent soit en exergue aux chapitre soit intégrés au texte, en italiques.
Par souci de "fidélité envers les trois langues dont s'alimentaient quotidiennement Julie Wohryzek et Franz Kafka", l'auteur a, ponctuellement, redonné en langue originelle (allemand, yiddish, tchèque) quelques mots, expressions, ou répliques de dialogues. Intention louable mais pas indispensable - l'ouvrage est lui-même un hommage sensible à ces êtres trop tôt disparus - et cela rompt parfois, quelque peu, la continuité des propos et de la langue, contraignant à recourir à la lecture de leur traduction en bas de page. Un peu étonnant car la langue allemande a été, certes, la langue d'échanges : ce fut aussi celle des bourreaux d'Auschwitz où périt Julie.
Dourvac'h a voulu évoquer quelques moments fugitifs de bonheur de la rencontre amoureuse et de son innocence. Des échanges délicats, pleins de fraîcheur, de tendresse ludique ; une tonalité nervalienne parcourt certains passages et l'émotion nous saisit car est esquissée, comme en filigrane, la présence de la maladie et de la mort. Emotion aussi car la réussite de l'auteur est là qui nous incite à partager de tels moments avec un Kafka dont on a une image bien sombre ; on oublie que les êtres les plus inaptes au bonheur connaissent aussi des des instants de de joie, d'insouciance.
L'auteur a choisi un style fait de brefs dialogues, de nombreuses phrases nominales. La juxtaposition de ces notations, de nature et de fonctions diverses, qui ponctuent le texte lui donne une résonance poétique, comme un tableau fait de petites touches de "couleurs" différentes. C'est, au fond, une sorte de récit-poème.
Les derniers chapitres qui évoquent la toute jeune Gerti Wasner rencontrée en août 1913 au sanatorium de Riva effectuent un retour en arrière du point de vue chronologique mais c'est une autre logique subtile qui est à l'oeuvre : celle d'une sorte d'élévation finale vers l'innocence de l'enfance et le rêve.
Ainsi se clôt ce petit volume. On sait gré à Dourvac'h de ces pages qui nous font voir Kafka sous un autre jour : une facette de l'écrivain sans doute minoritaire mais profonde pourtant, essentiellement et poétiquement si humaine. L'on se pose enfin la question d'une autre rencontre importante et mieux connue de Kafka, celle de Milena Jesenska, que l'auteur n'évoque qu'au travers d'une notice biographique à la fin de son ouvrage : elle aussi assassinée par les Nazis, à Ravensbrück...
Et l'on a envie de reprendre la lecture de l'intégralité de l'Oeuvre de Kafka, signe de la réussite de ce discret ouvrage de Dourvac'h. (*)(**) "
[Jean-Louis PIERRE - "Heiraten", texte dactylographié adressé à l'auteur le 2 janvier 2018] ////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
(*) La page "Heiraten" est consultable sur le site des "Editions Stellamaris" : article du 18 septembre 2015 comprenant l'essentiel de l'iconographie (photographies et gravures anciennes) de notre ouvrage
[lien : editionsstellamaris.blogspot.com/2015/09/heiraten-noces.html].
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(**) Notre site littéraire évolutif "Dourvac'h" (hébergeur : Canalblog) a été créé en ce début d'année 2020 [ lien : http://dourvach.canalblog.com/ ]
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