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Rentrée littéraire 2021 # 16

Cette exofiction très inspirée est centrée sur la personnalité du naturaliste Michel Adanson et plus particulièrement sur un épisode de sa vie : son exploration de 1749 à 1754 du Sénégal lorsqu'il aspirait à devenir membre de l'Académie royale des sciences de Paris. de ce voyage, il rapportera plus de 300 plantes vivaces qu'il acclimatera au Jardin du roi à Versailles ainsi que 33 espèces d'oiseaux ; puis rédigera une Histoire naturelle du Sénégal. Mais ce n'est pas la fiche wikipédia qui intéresse David Diop. Son récit s'envole vers la fiction en imaginant un compte-rendu secret et intime du voyage au Sénégal, reçu en héritage par la fille d'Adanson ( la botaniste Aglaé ) où il révèle être parti à la poursuite d'une jeune esclave en fuite et en être tombé éperdument amoureux.

Tout est réussi dans ce roman. A commencer par la confrontation des idéaux des Lumières à la réalité de l'esclavage. Les tribulations du tout jeune Adanson au Sénégal ont des accents voltairiens, notamment lorsqu'il dit «  il fallait donc que nous continuions à manger du sucre imprégné de leur sang », allusion nette au « c'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe » de l'épisode du Nègre du Surinam. Il découvre le Sénégal à hauteur d'homme, tous les sens en éveil, sans préjugé. Il juge utile d'apprendre le wolof pour échanger avec les autochtones car « leur langue est la clef qui m'a permis de comprendre que les Nègres ont cultivé d'autres richesses que celles que nous poursuivons juchés sur nos bateaux ». Aux côtés du prince Niak, seulement douze ans mais d'une formidable sagesse, il s'ouvre à l'autre, à l'universalisme et se découvre abolitionnisme ardent, comprenant que la supposée infériorité des Africains n'est qu'un leurre pour légitimer leur traite.

Le talent de conteur de David Diop fait le reste, entraînant le lecteur dans un roman d'aventures fort plaisant, porté par une plume vraiment superbe qui, sans plagier le style dix-huitièmiste, enveloppe de ses phrases amples et travaillées. On est très loin de la prose incandescente, hallucinée et poétique, tellurique même jusqu'à son oralité, de Frère d'âme. Ce changement m'a d'ailleurs surprise, me disant, que c'était certes très beau mais tout de même très classique, tant par la forme que le fond.

Et c'est là que David Diop s'extrait de ce faux classicisme avec le fabuleux personnage de Maram, l'esclave en fuite, qui a joué l'ensorcelante arlésienne durant une grande partie du roman. Et lorsqu'elle est là, son récit ( superbe mise en abyme ) illumine tout le roman, on comprend la passion amoureuse qui terrasse Adanson, Orphée à la poursuite de son Eurydice. A ses côtés, Adanson parvient à mettre de côté Descartes en acceptant les « rabs », l'esprit surnaturel animal de chaque être humain, en l'occurence l'incroyable boa noir et jaune de Maram par lequel sa vengeance s'abattra.

Et c'est là que tout le roman se pare de modernité. Dans cette histoire d'amour aux accents fantastiques qui renverse les certitudes et fait écho à une autre histoire d'amour, celle d'un père pour sa fille. Ce carnet qu'il offre à sa fille est un magnifique cadeau car il va permettre à Aglaé de découvrir son père. Ce père qu'elle ne connaît que par ses absences ou son obsession à écrire une grande oeuvre encyclopédique ( jamais publiée, vaincue par Linné ) est désormais prêt à abattre les paravents dressés autour de lui dans une mise à nu sans pudeur, juste pour la laisser découvrir l'homme qu'il était depuis son initiation africaine à la violence et la souffrance de la porte du voyage sans retour. le plus beau des héritages.

Un excellent moment de lecture même si je n'ai pas autant vibré que pour le superbe et percutant Frère d'âme, un de mes gros coups de coeur de ces dernières années.
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Après «Frère d'âme», lauréat du prix Goncourt des lycéens en 2018, David Diop nous ouvre « La porte du voyage sans retour », surnom donné à l'île de Gorée, d'où partirent des millions d'esclaves africains au temps de la traite des Noirs.

Le récit débute cependant à Paris, en 1806, en compagnie d'Aglaé, dont le père, célèbre botaniste, vient de mourir. Héritant de nombreux objets hétéroclites, elle parvient à mettre la main sur des cahiers dissimulés par son père dans un meuble en acajou, révélant ce qu'il lui est véritablement arrivé lors de son périple au Sénégal. Parti y étudier la flore locale et rêvant de devenir mondialement connu en rédigeant sa grande encyclopédie universelle des plantes, il y trouvera surtout un amour impossible et beaucoup de souffrances…

Inspiré de la vie du botaniste Michel Adanson, « La porte du voyage sans retour » raconte l'histoire d'un homme tout d'abord intrigué par l'histoire du fantôme d'une jeune Africaine promise à l'esclavage, puis tombant éperdument amoureux de cette femme aussi mystérieuse qu'envoutante, pour finalement faire basculer cette quête sentimentale en une révolte contre le sort réservé aux Noirs. le tout emmené par des personnages hauts en couleur, du jeune Ndiak, qui sert de guide au botaniste, à Maram, qui incarne non seulement toute la beauté et l'exotisme de ce magnifique pays, mais également ses injustices et ses peines…

À travers les révélations post-mortem de ce vieux botaniste, David Diop livre non seulement l'héritage d'un père incompris à sa fille, mais surtout une histoire d'amour aussi merveilleuse que tragique, ainsi qu'une dénonciation de l'exploitation coloniale et de la traite des noirs. le tout porté par la superbe plume de David Diop et parfumé par les splendeurs de l'Afrique, mélangeant croyances, proverbes, folklore et coutumes, allant même jusqu'à donner des allures de conte à cette bouleversante aventure africaine…
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À partir de l'histoire de Michel Adanson, un botaniste français né en 1727 et mort en 1806, David Diop m'a ramené sur ses terres d'Afrique dévastées des années durant par le juteux trafic d'êtres humains : l'esclavage.
Michel Adanson, passionné par les plantes rêvait de publier un chef-d'oeuvre encyclopédique consacré à la botanique, son orbe universel.
S'il n'y parvint pas, c'est Aglaé, sa fille qui découvre enfin ses cahiers après avoir cherché patiemment dans tout ce que son père lui a légué après sa mort. Elle débute la lecture d'un texte passionnant qui va me tenir en haleine jusqu'au bout.
Michel Adanson, à 23 ans, quitte Paris pour l'île de Saint-Louis du Sénégal, persuadé que les habitants, là-bas, nous sont inférieurs, comme cela est incrusté dans les mentalités de l'époque. Malgré ces idées préconçues, le père d'Aglaé apprend le wolof et peut ainsi communiquer de plus en plus avec celles et ceux que l'on nomme les Nègres. C'est ainsi que, dans le village de Sor, Baba Seck, le chef, lui conte l'histoire de « la revenante » qui n'est autre que sa nièce, Maram Seck, enlevée sur le chemin de l'île Saint-Louis. Serait-elle encore vivante ? Serait-elle sur l'île de Gorée, La porte du voyage sans retour, comme on la nomme hélas très justement ?
Décidé à connaître la vérité, Michel Adanson, sans négliger ses recherches sur les plantes locales, décide de partir à la recherche de cette jeune femme. Ndiak (15 ans) l'accompagne. Estoupan de la Brüe, le Directeur générale de la Concession, donne son accord et lui attribue six hommes armés pour escorte, plus deux porteurs.
Dans cette partie de l'Afrique occidentale où la Compagnie du Roi gagne trois à quatre millions de livres grâce au commerce des esclaves, Michel Adanson découvre que les petits rois locaux favorisent cela et organisent même les razzias.
Grâce aux notes prises par le botaniste, David Diop produit un roman passionnant, une plongée dans le Sénégal de la fin du XVIIIe siècle, sa nature luxuriante, sa faune, ses villages, ses coutumes. Je me retrouve même au coeur d'une fête de mariage au cours de ce voyage au sud de Saint-Louis.
Un peu plus tard, Michel Adanson, très malade, est sauvé par une sorcière, une guérisseuse qui… je vous laisse découvrir. J'apprends toutes les vicissitudes de ces hommes issus de la noblesse française mais aussi comment sont traitées les femmes qui refusent de se soumettre au bon vouloir des chefs locaux n'hésitant pas à pactiser avec ceux qui organisent le trafic d'esclaves.
La rencontre avec Maram, l'amour fou de Michel Adanson pour cette jeune femme qui se confie à lui sont des moments très forts de ce livre. Comme elle est passionnée par les plantes, ils communiquent d'autant plus facilement.
David Diop, toujours grâce aux cahiers de Michel Adanson, me fait bien comprendre l'importance de ce rab, ce génie gardien si important pour Maram qui le matérialise avec une immense peau de serpent boa.
La fin de l'histoire est tendue, terriblement angoissante mais tellement révélatrice de l'esprit de ces Européens trafiquants d'esclaves sur cette île de Gorée de sinistre mémoire.
Comme dans Frère d'âme, une lecture qui m'avait déjà passionné, j'ai plongé complètement dans ce récit après avoir été un peu désorienté au début. Pourtant déjà, l'auteur donnait de nombreux indices précieux sur cet homme qui, jusqu'à la fin de sa vie, ne pourra jamais oublier Maram, son amour fou qu'il croira même reconnaître des années plus tard sur un tableau représentant une Négresse d'origine wolof dont le modèle venait des Antilles. Mais, pour qui vient de lire La porte du voyage sans retour, livre faisant partie de la sélection pour le Prix des Lecteurs de 2 Rives 2022, cela ne paraît pas si étonnant…

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Une révélation frappe Michel Adanson le 26 janvier 1806, très exactement, six mois, sept jours et neuf heures avant le début de sa mort : « L'essentiel est de figurer dans la mémoire d'Aglaé (sa fille) tel qu'en lui-même, et non pas aussi immatériel qu'un fantôme de savant ». S'il a passé sa vie à décrire minutieusement près de cent mille « existences » de plantes, de coquillages, d'animaux de toutes espèces au détriment de la sienne, il parvient donc, à la fin de sa vie, non sans difficulté à achever la rédaction de ses souvenirs d'Afrique, espérant ainsi montrer à sa fille l'homme qu'il est.
Car s'il a fait ce voyage au Sénégal pour découvrir des plantes, il y a rencontré des hommes…
Après le décès de son père, ce père qu'elle a aimé mais terriblement absent, occupé par la rédaction de son « Orbe universel », son chef d'oeuvre encyclopédique, Aglaé va découvrir dans ces carnets le vrai visage de son père et combien ces années de jeunesse passées au Sénégal ont été un tournant dans sa vie.
Inspiré par les vrais carnets de voyage de Michel Adanson, David Diop relate comment ce jeune botaniste, vers 1750, envoyé par l'académie royale des sciences, est parti explorer le Sénégal pour explorer la flore locale, et a découvert un peuple, une langue le Wolof qu'il a apprise, et l'horreur de l'esclavage.
À travers ce récit, l'auteur nous permet de découvrir cette période pré-coloniale où le Sénégal est partagé en plusieurs royaumes qui se font la guerre et où, pour commercer et se déplacer il faut négocier avec les rois qui sont en place. Michel Adanson bénéficiera de la présence au cours de son périple d'un jeune homme, Ndiak, véritable sésame lui permettant de déambuler à l'intérieur du Sénégal, celui-ci lui ayant été fourni par le roi du Waalo. de même, les routes ou les voies de chemin de fer sont encore inexistantes et les déplacements difficiles et risqués. Adanson s'en apercevra, au cours de la recherche de cette Africaine, Maram, poursuite, qui le mènera du Nord au Sud du pays jusqu'à l'île de Gorée. Cette île était le lieu d'embarquement des Africains captifs sur les navires négriers et connue comme « la porte du voyage sans retour ».
C'est avec beaucoup d'émotion et de plaisir que j'ai voyagé aux côtés de ce botaniste, sujet au mal de mer, accompagné de Ndiak, deux porteurs de ses malles et de six guerriers du royaume de Waloo armés, qui a préféré rallonger sa progression en passant par les terres plutôt que par la mer.
J'ai été particulièrement sensible au raisonnement de Michel Adanson et à sa démonstration de l'égalité de tous les hommes, quelle que soit leur couleur.
Quant à l'évocation du mythe d'Orphée et d'Eurydice mis en parallèle avec l'extrême violence et la terrible souffrance de Michel et Maram, ces deux êtres qui vont se rejoindre, s'aimer puis se perdre, elle est on ne peut plus adéquate à la situation.
La porte du voyage sans retour, est un roman envoûtant qui se lit comme un livre d'aventures tout en étant extrêmement riche historiquement et humainement.
Si le roman débute par l'histoire d'une transmission entre un père et sa fille, c'est également un superbe plaidoyer que David Diop livre en faveur de ceux qu'on désignait sous le terme de Nègres, selon la terminologie de l'époque, ce mot entaché d'infamie aujourd'hui, mais qu'il emploie pour rester fidèle au personnage et au contexte historique. Avec le naturaliste Adanson, nous découvrons et ne pouvons que nous indigner de découvrir ces Nègres, hommes, femmes ou enfants considérés comme des marchandises, capturés et transportés de l'autre côté de l'océan, dans d'horribles souffrances.
J'avais beaucoup apprécié le précédent roman de David Diop, Frères d'âme, prix Goncourt des Lycéens 2018 et de l'international Booker Price 2021, qui était le récit de tirailleurs sénégalais dans les tranchées durant la guerre de 14-18 et je me suis à nouveau délectée avec La porte du voyage sans retour, surnom donné à l'île de Gorée, d'où sont partis des millions d'Africains au temps de la traite des Noirs.

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Au milieu du XVIIIe siècle, le naturaliste Michel Andanson choisit, pour ses explorations, de se rendre dans une région d'Afrique alors encore très mal connue des Européens : le Sénégal. Il y passa cinq ans, comme modeste commis de la Compagnie des Indes, et en ramena quantité d'observations géographiques et ethnologiques, ainsi que d'importantes collections botaniques et ornithologiques. Ruiné par l'insuccès de ses publications à son retour de voyage, il élabora avec Jussieu une nouvelle méthode de classification des végétaux, et se lança dans un gigantesque projet d'encyclopédie, qui ne fut jamais publiée. Il mourut dans le dénuement, léguant à sa fille Aglaé sa passion pour les plantes et une montagne de manuscrits. Et aussi - mais là c'est l'imagination de David Diop qui prend le relais -, des carnets relatant une version beaucoup plus intime de son expérience sénégalaise.


Ressuscitant le botaniste sous les traits d'un jeune homme ouvert et curieux, que ses explorations amènent à remettre peu à peu en cause les préjugés raciaux de ses semblables, au fur et à mesure qu'il se familiarise avec la langue, les traditions et les croyances, enfin le rapport au monde des Sénégalais, l'auteur nous entraîne dans un fascinant et dépaysant récit d'aventures, bientôt tendu par le mystère d'une disparition et d'une quête. Car, nous voilà bientôt sur les traces d'une jeune Africaine, évadée aux abords de l'île de Gorée, alors que, promise à l'esclavage, elle devait, comme des millions d'autres au temps de la traite des Noirs, y franchir « la porte du voyage sans retour ». Fasciné par la légende qui s'est aussitôt emparée du destin de cette fille devenue héroïne pour les uns, gibier pour les autres, notre narrateur laisse un temps de côté la flore pour s'intéresser à cette Maram, sans se douter que les développements romanesques de cette aventure le marqueront à jamais.


Romanesque, l'histoire de Michel et de Maram l'est absolument. C'est en vérité pour n'en revêtir qu'avec plus de force une dimension résolument symbolique et éminemment poétique. Ce jeune Français, qui, animé par l'esprit des Lumières, s'avère capable de raisonner à contre-courant des préjugés de son époque pour apprendre à connaître et à respecter un autre mode de rapport au monde, et qui, pourtant, échoue, comme Orphée, à sauver Eurydice de la mort et des Enfers, et, de retour en France, s'empresse d'oublier le changement de mentalité entamé lors de son voyage pour épouser à nouveau sans réserve les plus purs principes matérialistes, illustre tristement ce que les liens entre l'Europe et l'Afrique auraient pu devenir, loin de toute relation d'assujettissement, si l'appât du gain avait cessé un temps de les dénaturer.


Finalement rattrapé par l'inanité de ses ambitions et de ses tentatives encyclopédiques de maîtriser le monde, le personnage principal prend conscience, sur le tard, de ses erreurs et de ses ambiguïtés. Trop tard, hélas, pour les victimes de l'esclavage, et pour le mal et la souffrance terriblement infligés. Mais pour mettre en mots, transmettre la mémoire, et, peut-être, espérer, un jour, un avenir plus humain entre Afrique et Occident.

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Dans ce roman fascinant, David Diop a su mêler avec talent le romanesque à l'histoire du botaniste et naturaliste français : Michel Adanson.
Nous sommes au XVIIIe siècle, le siècle des Lumières mais aussi l'apogée de l'esclavagisme en Afrique. le botaniste Adanson, qui place la science au-dessus des superstitions, va s'intéresser à l'histoire d'une « revenante » Maram, jeune fille enlevée à son peuple, dont on aurait retrouvé la trace dans un village reculé.
Cette quête et l'aventure romanesque qui en découle, arrivera jusqu'à Aglaé, fille du naturaliste, lorsqu'elle héritera des meubles de son père mort et découvrira ses carnets. Ce père, décrit comme un solitaire et misanthrope, obsédé par l'aboutissement de son encyclopédie universelle, se révèlera enfin aux yeux de sa fille qu'il a négligée toute sa vie.
Différent des hommes de son époque qui partent chercher en Afrique pouvoir et richesse à travers la traite des noirs, Michel Adanson veut connaitre les moeurs de ces hommes qu'il ne voit pas comme une race inférieure à celle des blancs. Lors de ses années passées au Sénégal, il apprend leur langue, le wolof et se lie d'amitié avec Ndiak, jeune prince sans avenir, qu'il initie à la botanique.
Lorsqu'il rencontre enfin la jeune femme promise à l'esclavage, le naturaliste va éprouver pour elle un amour sincère et chaste, ce qui va à l'encontre des moeurs de l'époque où les belles esclaves servent à assouvir les désirs de leurs maîtres. Michel Adanson est un humaniste qui s'émeut de la traite des noirs et de la maltraitance qui leur est infligée. Pourquoi, s'étonne-t-il, séparer les familles et les expédier aux Amériques, alors qu'il y a tant de terres à cultiver chez eux au Sénégal et que la canne à sucre y pousse tout aussi bien ? Mais le jeune français est un utopiste qui, en croyant pouvoir inverser le destin tragique de ces noirs qu'il côtoie, va compliquer leur existence.
Sa rencontre avec Maram, devenue guérisseuse, est la porte d'entrée d'un monde fantastique ou les génies, appelés rabs, ont un pouvoir sur chaque existence. Il confie à ses carnets l'histoire de Maram telle qu'elle l'a lui a racontée et l'on pénètre dans le coeur même de l'Afrique avec ses croyances, ses coutumes et sa magie. On entre aussi dans l'univers du conte avec sa symbolique fantastique lorsque Maram narre les épreuves qu'elle a dû affronter.

La force du roman, c'est de nous raconter une histoire à travers le récit de ses personnages. Tout d'abord celui de Michel Adanson par le truchement de ses carnets, puis celui transmis par Maram et, en épilogue, le témoignage d'une esclave noire, Madeleine, laquelle refuse les cadeaux de cet Adanson qui voit en elle la réincarnation de son amour perdu.

Ce roman, à l'écriture fluide et subtile, joue l'équilibre entre roman historique et conte fantastique et j'ai aimé me perdre entre ces deux univers.

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Les mots se bousculent dans mon esprit à l'heure de vous livrer mon sentiment sur ce troisième roman de David Diop, qui fait suite (est-il besoin de le rappeler ?) au « Frère d'âme », lauréat du prix Goncourt des lycéens en 2018 et du prix international Man-Booker en 2021. Paru aux éditions du Seuil, « La porte du voyage sans retour » est non seulement un sublime roman mais je pense qu'il marquera autant que son prédécesseur les esprits, les consciences des lecteurs. le style d'écriture est envoûtant, ciselé, magnifié par un David Diop qui nous entraîne au Sénégal, dans le pays où il a grandi, pour nous parler de l'esclavage au milieu du XVIIIème siècle. Un sujet fort et qui est abordé ici avec une puissance d'évocation peu commune. David Diop s'inspire de la vie de Michel Adanson, naturaliste français (1727-1806) qui séjourna à partir de 1750 et pendant cinq années au Sénégal. « La porte du voyage sans retour » fait référence au surnom donné à l'île de Gorée, lieu d'horreur et de terreur, d'où partirent des millions d'Africains au temps de la traite des Noirs. Au début de cette histoire racontée par David Diop, nous sommes en 1806 et Michel Adanson sent ses dernières forces le quitter. La mort rôde et sa fin est proche, il le sait alors il convoque les fantômes qui le hantent depuis près de cinquante longues années. un prénom revient sur ses lèvres, répété inlassablement tel un mantra sacré : Maram. Celui qui n'aura jamais achevé son rêve de chef d'oeuvre encyclopédique botanique, souhaite offrir les moyens à sa fille Aglaé, de mieux le comprendre, lui l'homme de science, muré dans ses écrits et ses ambitions académiques. Qu'a t'il voulu fuir, oublier ? Que cache son silence avec sa fille, son divorce avec son épouse délaissée ? Il désirait rester dans la mémoire de sa fille tel qu'en lui-même. Aglaé découvre les carnets son père, un louis d'or, une fleur d'hibiscus, un bout d'indienne et un collier de perles de verre blanches et bleues. Cet homme, qu'elle connaissait si peu au fond, allait lui confier le secret qui pesait sur son coeur depuis tant d'années. Elle commença à lire ces cahiers débutant par ces mots : « Pour Aglaé, ma fille bien aimée (…). » Nous remontons le fils du temps pour revenir en août 1752, au Sénégal, Adanson décide de retrouver la trace d'une jeune africaine promise à l'esclavage et qui se serait évadée. L'histoire lui semble si folle qu'il ressent le besoin irrépressible de retrouver cette jeune femme, aidé de Ndiak, le fils du roi du Waalo. Son voyage va l'emmener à découvrir ce Sénégal intime, pays aux multiples croyances, l'islam bien sûr, mais aussi celles encore ancrées de l'animisme, des esprits, le « rab » protecteur. Michel Adanson va ainsi découvrir peu à peu l'histoire de Maram Seck, la nièce de Baba Seck, chef d'un village au Sénégal. Qui était Maram ? Où se sont-ils rencontrés Adanson et elle ? Quels souvenirs si essentiels sont attachés à sa personne ? Dans cette quête d'absolu, Adanson va perdre ses illusions et découvrir un pays gangréné par la soif inextinguible des esclaves emmenés pour être vendu aux blancs avant de partir pour les Amériques. L'horreur de l'esclavage, de ces femmes, enfants, hommes enlevés à leur terre et arrachés à leur sol natal, aux droits foulés au pieds par ceux qui font de l'argent, la compagnies des Indes dont dépendait la concession du Sénégal. Jamais manichéen, David Diop souligne avec clarté, limpidité, la bassesse de ceux qui profitent de ce commerce de la honte, hommes blancs et complices noirs. Ces royaumes, ces traditions ancestrales, la faune et la flore du Sénégal et cette meurtrissure faite à l'Afrique avec ces déportations de millions d'esclaves.. On ressort de cette lecture le coeur serré, bouleversé par la confession de Michel Adanson à sa fille Aglaé, bouleversé par cette histoire de deux êtres que je vous laisse le soin de découvrir.. C'est un roman que l'on n'oublie pas, un livre remarquablement écrit et pensé par David Diop. « La porte du voyage sans retour » est une odyssée brillante et mélancolique aux confins de la vie et de la mort, à mi chemin entre les fantômes et les esprits, entre l'histoire de Maram et celle de Adanson, avec en toile de fond la terrible blessure de l'esclavage. Sublime.
Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions du Seuil pour cette lecture et leur confiance !

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Voici l'évocation puissante, kaléidoscope d'émotions contradictoires, odyssée bouleversante ou comment qualifier ce récit historique déroulant avec méticulosité le périple africain d'un jeune botaniste exceptionnel: Michel Adanson , découvreur de quantité de plantes jusqu'alors inconnues lors d'un voyage effectué au Sénégal pour étudier la flore locale , de 1750 à 1753.
Il transmettra à sa fille Aglaé, elle même amoureuse des plantes ,telle une confidente muette, après sa mort, la totalité de ses aventures , dans des cahiers découverts par hasard dans un tiroir à double fond , au creux d'un grand portefeuille en maroquin rouge foncé : un manuscrit tenu secret par l'homme de sciences destiné à sa fille , transmission d'un héritage d'un père à sa fille, mémoire partagée., tentative d'établir une encyclopédie universelle du vivant .

Aglaé , toute petite, s'était dit , pleine d'amertume , que les plantes étaient bien l'unique famille de son père .
Or il n'en était rien : le voyage ne fut pas que scientifique , l'homme de science s'initia petit à petit au fil de la route à la langue Wolof pour comprendre ce peuple , échanger avec lui , en découvrant un paysage magnifique , le Wolof fut la clef qui lui permit de comprendre que «  Les Nègres ont cultivé d'autres richesses que celle que nous poursuivons , juchés sur nos bateaux , ces richesses sont immatérielles » .

Le narrateur , MICHEL ADANSON découvre des plantes au Sénégal , mais surtout des hommes , à travers leurs récits, leurs bons mots, leurs contes transmis de génération en génération par leurs historiens - chanteurs , les griots .

Il découvre surtout l'horreur de l'esclavage , la souffrance souvent muette, d'hommes, de femmes , d'enfants transportés et capturés comme de vulgaires marchandises de l'autre côté de l'océan.: ces bateaux qui les transportaient par millions aux Amériques au nom du goût insatiable des Blancs , réduits en esclavage au nom d'une prétendue infériorité naturelle ,à laquelle pourtant ce siècle des Lumières ne croit plus …


Michel Adanson découvrira la plus belle des fleurs africaines : Maram, belle , jeune , qui le mènera du Nord au sud du Sénégal jusqu'à l'île de Gorée, lieu d'embarquement d, Africains captifs sur des navires négriers , île connue pour ses portes sans retour .Maram sera la victime des malheurs de la terre Africaine, tentative de viol, corruption, terrible et dramatique violence de la traite des noirs.

La plume de cet auteur dont j'avais apprécié le précédent roman est voluptueuse , ample , colorée , exotique , incisive , baroque parfois .

Une très belle langue ciselée , qui nous embarque dans un périple d'un autre temps , ressemblant à un beau voyage poétique, à l'humanité et à la chaleur indéniables !
Grâce au talent de conteur de l'auteur !

Livre saisissant et remarquable de la rentrée , peut - être promis
à un bel avenir !

Je remercie les éditions du Seuil et Masse Critique pour l'envoi de cette nouveauté .
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Michel Adanson, sur le point de mourir, se rapproche de sa fille et espère secrètement qu'elle mettra la main sur son cahier retraçant son périple au Sénégal. S'il n'est pas passé à la postérité grâce à la botanique, le vieil homme espère au moins délivrer ses secrets à sa fille.

Ce roman nous plonge dans le Sénégal du milieu du XVIII ème. Les autochtones sont soumis au joug de la France et l'esclavage bat son plein, faisant de Gorée le symbole de cette ignominie.
Finalement, s'il est bien abordé, le thème de la traite des noirs n'est pas aussi central que je l'aurais cru.
Ce livre , après avoir doucement commencé et un peu perdu le lecteur plein de certitudes que j'étais en l'abordant, nous emmène dans les croyances, les rites, les luttes entre différents royaume du Sénégal. L'animisme n'est pas loin, le soleil brule les peaux, la vengeance se prépare, la faune effraie.
Bien entendu, c'est aussi un plaidoyer contre l'occident et la colonisation , l'esclavage atteignant peut être le paroxysme de l'horreur .
Le choix de l'auteur de plonger un personnage humain, désintéressé et ouvert à toutes les cultures rend finalement son propos encore plus poignant, le contraste avec les autres Français étant ainsi accentué.

Enfin , comme dans frère d'âme, David Diop étincelle son oeuvre d'une écriture envoutante.
Un grand merci à Babelio et aux éditions du Seuil pour leur confiance.
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Il faut un Sénégalais pour faire revivre la mémoire du botaniste Michel Adanson, parti dans une des dernières « possessions » françaises- les iles de Saint Louis et de Gorée- après les tractations infructueuses de Louis XV, le mal aimé sauf au fond des alcôves.
Le siècle des Lumières veut classer, Linné en tête, qui prétend même classer les botanistes en genres : les professionnels ( lui), les amateurs ( Jean Jacques Rousseau) et les voyageurs. Dont serait Michel Adanson, nommé par la Compagnie des Indes à Saint Louis, appelée Concession du Sénégal, où il restera six ans.
Déjà botaniste , il avait décrit 4000 espèces de plantes, et il rapportera du Sénégal 300 plantes vivantes, qu'il acclimatera au Jardin du Roi, des coquillages, des dessins, des herbiers, des échantillons de plantes diverses, dont le baobab, qu'il a été le premier à décrire. Il écrira « Familles de plantes » en 1763, et préparera une encyclopédie de 23 volumes.
Tout cela, nous dit David Diop va de pair avec l'idée des « bizarreries de la nature, si encline à enfreindre ses propres lois sous une uniformité de façade », donc difficile à classer.
Il évoque aussi les dissensions, les jalousies et les coups bas de ce milieu de la science naissante, et la mort d'Adanson dans la misère.
Mais l'autre intérêt du livre réside dans l ‘exposé de l'interaction entre l'homme et la nature au pays : les hommes doivent réciter des prières avant de couper les arbres, pour éloigner les mauvais génies des villages pris sur la brousse.
Ils parlent aux arbres, et leur demandent pardon avant de les abattre. Avant de tuer un gibier, un rituel de conciliation s'impose, en l'absence de quoi les forces occultes de la nature se vengent.
Les génies, les rabs, protègent, comme nos fées, et la croyance en leur pouvoir sauve parfois des vies, comme Maram, échappée d'un viol incestueux, et à la fois la plie au destin de cet esprit qui la possède. D'où son peu de résistance à se faire capturer parla suite. Rien ne peut lui arriver, croit-elle. Or, si.

Et David Diop nous décrit, dans la bouche d'Adanson écrivant à sa fille Aglaé les « remugles de douleurs inconsolables, sédiments de cris de femmes démentes, d'enfants volés à leur mère, frères pleurant leurs soeurs, suicides silencieux », ainsi que les petits de 4 et 8 ans, embarqués sur une pirogue après passage de la porte sans retour.

Il y a malheureusement plusieurs portes sans retour. Dans le livre de David Diop, il s'agit de celle de l'Ile de Gorée. Aux alentours des forts du Ghana, Cape Coast, une autre …. Au Bénin, à Ouidah, une autre, montrée dans le film Cobra Verde, souvenir personnel : un petit garçon, fils de nos amis, a compris le sens de la porte donnant sur la mer, et sanglotait .Nous sanglotions aussi, les mots étaient inutiles.
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