L'adolescence est une époque propice à la fabrique de héros. Quand j'avais 16 ans les stars du lycée étaient
Michael Jordan,
Kurt Cobain, Tony Montana, James Hetfield et les indémodables
Ché Guevara,
Bob Marley ou
Jim Morrison.
Si certains de ces personnages ont pu avoir une importance dans mon imaginaire, j'avais un autre héros qui symbolisait tout ce que j'aurais aimé être à l'âge adulte : un marin rebelle, aventurier, rêveur, érudit, romantique, bagarreur, humaniste, anarchiste, sans peur, poète, séducteur, incorruptible qui parcourut le globe terrestre au début du XXème siècle. Un gentilhomme de fortune, sans dieu ni maitre, qui se tailla la main adolescent afin d'agrandir sa ligne de chance : Corto Maltese.
J'ai adoré ce personnage dès notre première rencontre et j'ai lu et relu ses aventures avec passion pendant de nombreuses années. Puis
Hugo Pratt est mort, je suis devenu adulte et nous nous sommes un peu éloignés… Ouvrir ce nouvel album était donc un moment chargé d'affects et de questionnements. Ayant perdu son créateur, il avait dû changer et moi, ayant gagné (ou perdu) quinze ans de vie, probablement aussi.
Mais dès les premières cases, j'ai retrouvé l'univers et le trait qui m'étaient si familiers et j'ai, avec le plaisir que l'on prend à dévorer une madeleine de
Proust, retrouvé mon vieil ami Corto, que même mon fils de deux ans connaît et réclame tous les jours !
Alors bien sûr, il est un peu différent, le trait du nouveau dessinateur, quoi que très proche de celui de Pratt. Il ne cherche pas à faire un travail de copiste proprement dit, mais garde, outre la proximité du trait, quelques-uns des grands codes graphiques de Pratt comme par exemple les personnages dans des décors vides ou le bruit des armes à feu en lettres-bulles gigantesques. Sur ce point, l'adaptation est très réussie. Pour ce qui est du récit, on retrouve aussi nombre de gimmicks Prattiens : l'importance des songes, quelques fragments poétiques, des personnages hauts en couleurs comme ce
Robespierre esquimau (l'une des grandes trouvailles du récit), des répliques qui fusent, des soldats perdus dans une guerre absurde et complexe,
Jack London, Raspoutine et le flegme inimitable de notre héros.
On retrouve tout cela et pourtant… Et pourtant, je n'ai pas été embarqué comme avant. Est-ce dû à mon âge ? A un album trop court à mon goût ? A l'absence des beaux dossiers introductifs plein de références historiques et de croquis du dessinateur ? Ou peut-être qu'à vouloir mettre un peu de tout ce qui constitue le bestiaire de Corto Maltese pour ne décevoir personne, il manque une véritable ligne directrice, un parti pris à cet album ? Dis autrement les références y sont et le travail est respectueux et fidèle, mais il lui manque quelque chose, un petit supplément d'âme pour dépasser le simple hommage.
Du bon travail donc, mais pas suffisamment creusé. Peut-être faudra-t-il pour le prochain épisode oser sortir de
l'ombre de l'imposante statue du commandeur
Hugo Pratt et tenter d'affirmer quelques partis pris forts ainsi que de laisser un peu plus de temps au récit pour s'installer et aux personnages pour exister ?
Je serai là dans tous les cas pour retrouver mon vieil ami, même si c'est dans vingt ans !
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