Voici un livre essentiel sur un sujet essentiel. Il peut paraitre vain de se pencher sur la différence entre un individu et une personne, inutile de promouvoir le concept de personne, de l'analyser. Après tout, chacun emploie ce vocable au quotidien, il semble faire consensus. Et pourtant, rien n'est plus pertinent.
L'auteur démontre brillamment que, contrairement au sens commun, le concept de personne ne tient aucunement à des qualités propres, qu'il n'est pas issu de l'essence même d'un être humain, qu'il n'est pas "substantiel". C'est audacieux car cela brise autant
Kant, pour qui la conscience de soi est nécessaire à "être une personne", excluant de facto les enfants, les déficients mentaux, les malades d'Alzheimer, les comateux et ouvrant la porte à toutes les dérives (rappelons nous l'Aktion T4 du IIIem Reich qui a couté la mort à 70 000 handicapées mentaux), qu'à Ricoeur pour qui une personne doit pouvoir raconter son histoire, sa narration, son récit, et que là aussi celle qui ne sait pas le faire ne serait pas une personne. Pour être acceptable, une conception philosophique doit se revendiquer de l'universel,
Kant et Ricoeur ont bien des difficultés à tenir cet engagement, sauf au prix de l'exclusion d'une partie, substantielle celle ci, de l'humanité.
Toute autre est la position de l'auteur qui avance qu'une personne "est" parce que qu'elle est en relation, liées aux autres, un concept de la personne "relationnel".
En suivant la démonstration, on ne peut qu'accepter que tout un chacun est immédiatement "en relation" avec autrui, déjà in utéro. Et que cette dynamique relationnelle se révèle un meilleur substrat pour comprendre ce qu'est une personne que toute tentative d'explication "substantielle". L'intérêt de la démarche est de pouvoir atteindre ce qui nous lie tous et toutes : la vulnérabilité. C'est par cette conditions commune que nous pouvons nous reconnaitre comme personne. Reconnaitre autrui comme mon semblable (mais toujours aussi différent) car nous sommes tous deux vulnérables nous lient. Je ne peux qu'être solidaire de ce qui est commun, je deviens solidaire d'autrui. "On ne nait pas une personne, on le devient" et pour cela "à l'homme rien n'est plus utile que l'homme".
Spinoza donc est le mentor de l'auteur qu'il marie subtilement avec
l'éthique du Care en ne reniant pas brutalement les théories de Justice de Rawls, c'est un bel exercice d'ouverture, un montage très intéressant.
Le livre en lui même reste accessible, il part de la notion d'individu, qu'il contextualise historiquement, pour progresser vers l'émergence de la personne, constater sa dimension relationnelle et terminer dans le concret de la médecine et du travail. Agréable, bien écrit, au bon tempo et très stimulant, un vrai plaisir.