Les gens différents, à qui on ne peut ni mettre la bride ni couper la parole, on ne les aime pas. (p. 67)
J'ai appris à lire avec Sœur Gudule et avec Sœur Esmeralda et j'ai découvert ce qu'était une bibliothèque. Un mur de livres s'est alors dressé entre moi et les Loups. Entre les pages tout était différent. Les méchants ne gagnaient pas toujours. Ils perdaient parfois contre des gentils. Contre des plus malins. Entre les pages, j'ai croisé des personnages vivants, réagissant et pensant d'une façon que je n'avais jamais imaginé auparavant. Lire a tenu en respect ma peur, m'a immunisée contre elle. Au bout de quelques mois les Loups n'ont plus autant rôdé dans mes rêves ni dans mes pensées. Toute la place qu'ils avaient occupé dans ma tête s'est libérée. (p. 61)
Enfin, bref, je suis Gustave. Parfois, on m'appelle Gus. Parfois Gugus. Parfois, monsieur Gustave. Souvent, votre Majesté ou votre Altesse. Je n'aime vraiment pas ça. Ni mon prénom, ni mes titres et surnoms. Au fond de moi, je suis Jeanne. Je sais que je suis Jeanne, je sens que je suis Jeanne. Et ça, personne ne le sait. Je suis une reine et on me prend pour un roi. (p. 43)
Les histoires, voyez-vous, ça demande du soin, et beaucoup d'entretien. Il faut les attendre, les guetter, les sélectionner, les écouter, les comprendre. Pour vivre l'une près de l'autre, il faut que les histoires s'accordent entre elles. Certaines aiment être serrées en groupe, d'autres ont besoin de beaucoup d'espace. (p. 13)
Alors, quand au matin de mon dernier jour d'école (je m'en souviens bien, c'était au début de l'été), ma mère m'a demandé ce que je voulais faire dans la vie, je lui ai répondu : "je veux être cultivateur d'histoires." Elle n'a pas eu l'air surprise du tout. Elle m'a considéré en souriant, et elle m'a dit : "Il n'y a pas de sot métier." (p. 9)
La bibliothèque, c'est parfois le grand bâtiment municipal qui renferme une immense collection de livres qu'on peut admirer, feuilleter, emprunter et rapporter chez soi ; mais ça peut être aussi une pièce de la maison, une pièce un peu sombre, avec des tapis, des fauteuils usés et confortables, peut-être même un feu de bois dans une cheminée, et des murs recouverts de rayonnages où les livres s'entassent et attendent d'être lus. D'autres fois encore, la bibliothèque est juste un meuble, une jolie petite étagère en bois clair où l'on range tous ses livres préférés, pour les avoir toujours à portée de main. Et quelques fois, une bibliothèque, c'est juste une collection de livres, sans étagère, sans cheminée, sans maison autour. Mais qu'est-ce que c'est, au juste, une "collection" de livres ? Ça commence à partir de combien ? Cent livres ? Cinquante ? Vingt ? Dix ? Deux ? Et quand on ne possède qu'un seul livre, n'a-t-on pas déjà la première pièce d'une collection ? (pp. 6-7)