Kamel Daoud commence ainsi son récit « Aujourd'hui, M'ma est encore vivante. » en écho à la première phrase du célèbre roman d'
Albert Camus,
L'Etranger : « Aujourd'hui, maman est morte. »
L'Étranger a été écrit en 1942.
Meursault, contre-enquête sort en Algérie en 2013. Entre les deux, la guerre d'Algérie, ce n'est pas rien ! Suivie par la difficile réconciliation entre les deux rives de la méditerranée alors qu'approche le 60ème anniversaire de la fin de la guerre et de l'indépendance de l'Algérie en 2022.
Le début du roman est étourdissant de virtuosité et présente tous les thèmes. L'incipit, une citation d'E. M.
Cioran, donne le ton :
« L'heure du crime ne sonne pas en même temps pour tous les peuples. Ainsi s'explique la permanence de l'histoire. »
Meursault, dans l'Étranger de Camus, sait raconter : le soleil trop fort, la mort de sa mère et l'Arabe (majuscule dans le texte) tué presque par accident sur la plage. L'Arabe jamais nommé, d'ailleurs existe-t-il vraiment ou est-ce un mirage ?
Kamel Daoud part de là, il veut que justice soit faite. Il va donner le nom de cet homme. Il s'appelait Moussa. Il était illettré.
« Depuis des siècles, le colon étend sa fortune en donnant des noms à ce qu'il s'approprie et en les ôtant à ce qui le gêne »
L'auteur fait raconter par son frère, Haroun, l'enfance de Moussa, comment celui-ci a été tué sur la plage. J'aime ces romans qui prennent leur envol sur une oeuvre célèbre et éclairent des aspects restés inexplorés. Encore faut-il le faire avec talent, ce qui est le cas ici !
La démarche m'évoque Monsieur Bovary d'Antoine Billot, écrit en
contrepoint au célèbre classique de
Gustave Flaubert,
Madame Bovary.
Flaubert commençait et finissait le roman avec Charles Bovary mais l'oubliait totalement entre temps dans son insignifiance, en se focalisant sur le seul point de vue d'Emma. Antoine Billot lui redonnait une psychologie, une vie propre et une dignité...
On a, avec cette
contre-enquête, une oeuvre virtuose, citant et adaptant certains passages – indiqués en italique. le nom de Camus n'apparaît jamais alors même que
Kamel Daoud loue à maintes reprises l'écriture du célèbre romancier.
Les thèmes essentiels de l'oeuvre de Camus sont là : réflexion sur la religion, sur Dieu, sur la guerre, sur le crime et la justice – Haroun a tué un français pour venger son frère, il n'a pas non plus de nom au départ, ensuite on apprend qu'il se nomme Joseph –. Jeux de miroirs, le frère de Moussa devenant une sorte de double de Meursault.
L'auteur interroge l'oeuvre, la prolonge. Les non-dits doivent être énoncés et éclaircis afin que la justice passe, ce qu'il fait ici avec succès. Meursault est étranger à lui-même et au monde, ses explications traduisent l'absurdité de son monde à lui, pas du monde en général. Haroun et sa mère cherchent à faire leur deuil face à l'absurdité d'un homme étranger à sa propre vie. A bien y réfléchir je pense qu'
Albert Camus,
L'homme révolté, aurait certainement aimé cet auteur algérien qui n'écrit pas
contre lui mais avec lui. Les deux auteurs, main dans la main, sont tous les deux étrangers à l'injustice.
Albert Camus ancre son récit dans une approche philosophique,
Kamel Daoud ajoute l'histoire... le temps a passé apportant de nouveaux éléments dont la décolonisation et la montée de l'islamisme.
Merci à ce lecteur qui m'a signalé dans un commentaire l'absence d'auteur algérien sur ce blog – je doute qu'il y ait des auteurs de tous les pays et ce n'est pas l'objectif, je voyage en littérature au gré de mes seules envies de chroniques et de partages –. J'ai trouvé que cela avait peut-être du sens de relire l'Étranger et ce
Meursault, contre-enquête. Cet auteur algérien a un nom maintenant sur Bibliofeel, il s'appelle
Kamel Daoud. C'est un écrivain et journaliste algérien né en 1970. Après un baccalauréat scientifique, il fait des études de lettres et écrit en français. Ce premier roman lui ouvre d'emblée la voie à une consécration internationale et à une multitude de prix dont celui du Goncourt du premier roman en 2015. A signaler qu'il a raté le Goncourt en 2014 à une voix près (au bénéfice de
Lydie Salvayre et son excellent roman
Pas pleurer)... Ses écrits et positions par rapport à la religion lui ont valu les foudres des religieux. Tout comme pour Camus, la Liberté n'est pas un vain mot pour lui.
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Chronique avec photo d'illustration - couvertures des livres L'Étranger et
Meursault, contre-enquête, portrait d'
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