« Vous êtes arrivés au paradis. » curieuse accroche du début de ce livre qui m'a laissée sans voix , lu d'une traite, et quel livre!
Et surtout quelle écriture !!
Je ne l'aurais pas lu si quelqu'un de cher ne me l'avait pas prêté ...
L'auteure , si jeune, joue à la perfection avec les Mots, creuse son SILLON encore plus profondément que dans ses livres précédents « Un ruban de goudron » entouré d'une nature luxuriante et surtout au bout la fameuse pancarte évoquée plus haut...
Une ferme , lieu , épicentre de toute chose , portant le doux nom de « Paradis » où Émilienne ,une femme âgée , terrienne dans l'âme, y vit , entre son poulailler, les champs et la fosse à cochons . » Une femme d'ici qui ne meublait pas la conversation. » « Elle ressemble à un arbre fort aux branches tordues » , brisée par les deuils , élève seule ses deux petits enfants , Blanche et Gabriel après la mort accidentelle de leurs parents.
Blanche a hérité de sa grand- mère un attachement féroce, charnel , exclusif pour la ferme du Paradis et à la TERRE qu'elle n'imagine même pas quitter un jour pour l’amour de sa vie, le bel Alexandre. ...
Lui , impatient , curieux , « aux rêves dévorants » ne pense qu’à l’ailleurs, à « la vraie vie « réussite spectaculaire, argent vite gagné ...
Blanche , elle, se laisse dominer par les lieux qui vont faire d’elle une prisonnière , une enragée, besogneuse , fermée, de rage et d’abandon, une bête de somme, un animal sauvage....une sorcière ...
Ce roman spectaculaire , charnel, puissant , tragique, dévoile peu à peu , au fil de chapitres que le lecteur dévore les spectres et les secrets de ce lieu vendu, racheté ...
On est saisi par la rage, la détresse, le déchirement des cœurs, la violence, cette identité maudite , tordue, des orphelins qui ont grandi sans racines comme Gabriel , dévoré par la mélancolie et la tristesse des enfants fracassés ...
L’écriture très travaillée, est naturaliste, poétique , vibrante, pressée , ensorcelante dans sa noirceur .
On se bat, on aime à en mourir , on se fracasse et se caresse , on fait l’amour à s’en arracher la peau, tandis qu’on saigne le cochon dans la cour .
On pleure à sanglots déferlants ,
L’auteure force au plus profond l’âme des lieux, décrit des êtres silencieux , défigurés par leur soif de vengeance , de possession, de folie, brûlés par le désir , desséchés par leur haine et les bêtes dépecées avec autant d’adresse que d’indifférence !
Un destin familial tragique,une lignée de femmes, des êtres égarés , huit clos rondement mené au sein d’une nature immuable où l’attachement âpre à la terre, au « Paradis » , la colère , le désir exacerbé , la vengeance , la jalousie, l’amour passionnel iront jusqu’à leur paroxysme ...
Un ouvrage FORT.
Mais où cette auteure si jeune puise t-elle pour nous proposer
Un Tel Récit ?
Je l’avais aperçue lors de son passage à la LGL .
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L'univers romanesque de Cécile Coulon aime à visiter le tréfonds des personnages de ses livres et y trouver ce que l'on ne trouve peut-être pas à la surface des choses : l'âpreté, la rudesse, la brutalité du monde, l'animalité qui sommeille encore, tapi dans un coin...
Je suis sensible à ces univers, non parce qu'ils sont sombres ou glauques, mais parce que la lumière est toujours plus forte et plus belle lorsqu'elle émerge des interstices et des failles...
Ici dans son dernier roman, Une bête au paradis, que j'ai beaucoup aimé sans pour autant qu'il soit pour moi un coup de cœur, plus que jamais j'ai retrouvé son écriture, intime, celle qui vient fouiller, dépouiller, triturer, disséquer au scalpel, porter à la lumière du jour ce qui était enfoui, comme un fauve traîne et ramène sa proie arrachée à la nuit.
Pourtant, Cécile Coulon ne parle que d'une chose, essentielle, l'amour. Un sentiment capable tout autant de faire tenir debout, comme de briser, détruire, anéantir... Forcément, parlant d'amour, elle évoque aussi les choses souterraines, englouties, les effondrements...
Autour de l'amour il y a l'enfermement, ici c'est comme un huis clos, unité de lieu, de temps, d'action, comme une tragédie antique dans toute sa splendeur. Mais vous me direz : « ici, ça parle bien de paradis, n'est-ce pas ? » Le paradis fut sans doute là au début, bien avant l'histoire que nous raconte Cécile Coulon.
Au départ, sans doute s'agissait-il d'un havre de paix, un nid de plénitude. L’éden. Que s'est-il passé après ?
Nous découvrons les personnages principaux de l'histoire en ce lieu qui s'appelle le Paradis. Émilienne la grand-mère et ses deux petits-enfants, Blanche et Gabriel qu'elle élève à la ferme depuis le décès de leurs parents Marianne et Étienne, décédés dans un accident de voiture, dans un virage tout proche du Paradis. C'est peut-être à cet instant que celui-ci a cessé d'exister malgré la douceur du lieu.
Le monde agricole est dur, rude, on tue des bêtes, des poules, des cochons, des lapins, le sang ruisselle sur le sol, sur les mains... C'est cela la vie au Paradis.
Émilienne plus tard a recueilli Louis qui était battu par son père, elle en a fait son commis, qui fait bientôt partie de la maison, deviendra amoureux de Blanche. Mais voilà, Blanche aime Alexandre. Leur amour prend forme dans un grenier tandis qu'on égorge et saigne dans la cour un cochon.
Les femmes sont fortes ou du moins elles donnent cette illusion. Les hommes sont violents ou lâches, parfois les deux, et ne savent pas que faire de leurs mains : se battre ou continuer à les tendre dans le vide. Chacun porte des blessures et dans cet itinéraire de failles qui se rejoignent, se construit l'histoire de ce roman.
C'est cela l'univers des premières pages du livre. L'amour de Blanche et d'Alexandre donne un semblant d'existence au mot de paradis. Puis Alexandre décide de partir, assumer son avenir professionnel ailleurs, reviendra peut-être plus tard. Blanche se console dans le travail, le labeur, la dureté de la vie dans laquelle elle s'abandonne...
Un jour, Alexandre réapparaît...
J'ai aimé ce roman où des femmes sont accrochées à leur terre, où des hommes tentent désespérément de les comprendre. C'est l'histoire d'un amour absolu plongé dans le monde rural. On pourrait se demander comment l'amour peut surgir lorsque tout est âpre et sombre autour de la vie, comment fait-il, cet amour, pour se frayer un chemin dans ce dédale parfois si sombre ?
J'ai aimé l'enchaînement des chapitres, leur lente et progressive construction, chacun porte comme titre un verbe : Naître, Rêver, Cacher, Continuer, Vieillir, Avouer, Aimer encore... Ces verbes tissent une forme d'écheveau, se tendent comme des voiles de plus en plus resserrées vers le dénouement, l'aboutissement de l'histoire.
J'ai aimé l'habilité de Cécile Coulon à savoir m'entraîner dans cette tension extrême. Elle noue peu à peu les personnages dans ce décor qui se dresse progressivement comme une toile d'araignée. J'ai aimé son écriture sensuelle, charnelle, chaude et âpre à la fois.
J'avais eu l'occasion il y a quelques mois de vous évoquer son magnifique recueil de poèmes, Les Ronces, d'où j'étais ressorti griffé. Ici, de ce paradis, je reviens écorché, le cœur à vif, l'amour ne permet pas toujours de sortir indemne.
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