C'est le premier ouvrage de
Cécile Coulon que je lis, et je suis presque un peu déçue tant j'en avais entendu du bien. C'est une poétesse, elle connaît donc sûrement - c'est même certain, puisque quelques vers apparaissent dans le roman - le poème de
Victor Hugo « Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent ». Hugo y oppose deux catégories d'êtres :
« Ceux dont le coeur est bon, ceux dont le jours sont pleins.
Ceuxlà vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre.
Inutiles, épars, ils traînent icibas
Le sombre accablement d'être en ne pensant pas ».
Et, selon moi, on pourrait retrouver cette opposition dans le roman de
Cécile Coulon. Emilienne a le « coeur bon », recueillant Louis le quasi orphelin, s'occupant de ses petits enfants. Ses « jours sont pleins » car elle les passe toute entière dans les travaux de la ferme, régnant telle une reine sur un monde fait de poules, de vaches, mais aussi d'êtres humains à s'occuper. Gabriel, accablé par son chagrin, pourrait être celui qui « traine ici-bas / le sombre accablement d'être en ne pensant pas ». Il grandit enfermé dans ses souvenirs et sa douleur, à l'écart des autres. Seul l'amour lui permettra de retrouver la lumière et de revenir au jour – sa fiancée s'appelant significativement Aurore…
Et puis il y a Blanche. Après son chagrin d'amour et le départ d'Alexandre, c'est le vers « car le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre » qui lui correspond le mieux. Elle porte le fardeau de l'existance pendant dix ans, se demandant même où sont passées les années de sa jeunesse. Elle accomplit des actes de façon machinale, sans y penser, alors que sa ferme, sa terre, était toute sa vie. Il y a un rapport charnel au « Paradis » chez Blanche, qui la rapproche de Scarlett Ohara dans Autant en emporte le vent…
L'écriture est donc très belle. Mais… j'en viens à ce qui ne m'a pas plu. Les personnages sont quand même très clichés… Alexandre est le type même du bellâtre insupportable qui n'a qu'à sourir pour qu'on l'aime mais qui se révèle assez minable. Emilienne est une caricature de femme âgée tyrannique mais qui en réalité cache un grand coeur. Louis est trop dévoué pour sembler vrai. Seule Aurore, plus terre-à-terre, plus enracinée dans le réel, semble finalement vivante. Car, autre point qui m'a gênée, le texte semble hors du temps, et hors de l'espace – et, en temps qu'historienne-géographe, j'ai besoin de repères spatiaux-temporels. le « Paradis » est un monde en soi, on ne sait pas dans quelle région, loin de la ville oui, mais où ? Il y a des traces de modernité, les voitures, les téléphones, mais ce sont un peu les seules. C'est important, car les campagnes françaises et le mode de vie des agriculteurs ont énormément changé en un siècle. Ici, pas de trace de modernisation et de mécanisation, de périurbanisation ou de crise agricole. L'aspect économique n'est d'ailleurs qu'à peine effleuré, l'argent ne semble pas un problème pour les personnages. Cette impression de hors-sol, hors du temps, ne m'a donc pas convaincu.