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EAN : 9782375023280
384 pages
Editions Paulsen (18/01/2024)
3.64/5   11 notes
Résumé :
Au coeur de la jungle, un roman initiatique aux accents tragiques qui nous rappelle que l'homme ne domine pas toujours la nature. Colombie, années 1920. Lieutenant de l'armée de libération nationale, le jeune Aristoteles Sarr est investi d'une mission : aménager une piste d'atterrissage au coeur de la forêt amazonienne, à La Huanca, où le tout-puissant Casar a fondé son empire. Grâce au survol de cette zone qui n'a jamais été cartographiée, le chemin de fer pourrait... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Les éditions Paulsen est une maison d'édition spécialisée en littérature de voyage et d'expédition. Sa collection Grande Ourse propose de nous faire découvrir, au coeur du monde sauvage, une aventure humaine. Les couvertures, toutes magnifiques, permettent de pressentir l'ambiance dans laquelle le lecteur va plonger. Ainsi Nevabacka de la finlandaise Maria Turtschaninoff nous invitait dans une tourbière enchantée sentant l'humus, le réveil de la terre, la résine et l'écorce chauffée par le soleil…Là, avec La disparition d'Aristoteles Sarr, et sa superbe couverture sur laquelle nous devinons un homme seul faisant face à des arbres gigantesques et à une nature luxuriante, c'est un voyage dans la jungle amazonienne au temps de l'exploitation de l'hévéa auquel nous sommes conviés. La première Guerre Mondiale vient de se terminer et on vient de découvrir les vertus du caoutchouc, notamment pour les pneumatiques et le formidable développement de l'automobile. Dépaysement garanti…

Aristoteles Sarr est un jeune lieutenant orphelin de père, un homme bien éduqué, sous l'influence de sa mère, accordant beaucoup d'importance aux convenances, à l'apparence et plein de certitudes. C'est un jeune homme qui domine ses instincts, même les plus naturels, et qui a le sens du devoir. Il croit aux progrès et à la science, aussi lorsqu'il reçoit une mission importante, d'intérêt national, il n'hésite pas une seconde et fonce vers son destin. Il s'agit de faire une étude pour prolonger la voie ferrée afin de faciliter le transport de la gomme d'hévéa qui se fait actuellement par bateau. Tracer donc des kilomètres et des kilomètres de rails en pleine jungle amazonienne, mais avant ça, cartographier, élaguer, raser, soumettre la nature aux désirs des hommes. Mettre des lignes rectilignes là où tout est chaos. Mater une forêt sauvage et réputée indomptable.

« le lieutenant avait grandi dans un monde d'angles et de lignes. Un monde droit, à la nature contrainte et ordonnée, remodelée par la main de l'homme, et où la courbe était une audace. »

En premier lieu, il doit repérer l'endroit idéal permettant de construire une piste pour que puisse se poser l'avion qui va servir à déterminer le tracé de la future voie ferrée. Pour cela, il est amené en bateau jusqu'à La Huanca, non loin de Sao José, les terres du sénateur Armindo Casar, vaste territoire d'un gros propriétaire terrien, ancien trafiquant et voyou qui, depuis, a acquis une certaine notoriété et respectabilité grâce au succès de son business dans l'hévéa, business pour lequel l'homme exploite de nombreux autochtones, corvéables à merci.
Pas un instant Aristoteles ne doute. Il se sent enthousiaste et déterminé pour dompter cette forêt vierge dans laquelle il met les pieds pour la première fois et il se sent capable de triompher de cette nature foisonnante, des serpents, des insectes énormes, des araignées velues. Mais les esprits qui peuplent la forêt accepteront-ils la mort de milliers d'arbres pour permettre au jeune étranger de créer sa piste d'atterrissage ?

Très vite, depuis le voyage en bateau jusqu'à l'arrivée auprès de Casar, Aristoteles va côtoyer un monde dans lequel ses règles et ses convenances, ses rituels et ses codes, n'ont pas cours et ne valent rien.
Très vite il va ressentir une proximité inexplicable avec un des fils de Casar, le beau Riobaldo et avec une énigmatique servante indienne, Inca.
Très vite, ses certitudes vont vaciller, entre rêves étranges et ses désirs que sa bonne éducation avait jusque-là mis de côté, il va comprendre que la forêt est dotée d'une âme qui ne va pas se laisser ainsi pénétrer, se laisser saccager.

L'homme va évoluer, changer. Tentant, en vain, de couper inlassablement les racines des immenses arbres quitte à devenir fou, ce sont ses propres racines qu'il va découvrir. Nous comprenons à la fin du livre que cette jungle est à l'image des liens qui l'unit avec ses ancêtres : inextricables, secrets, chaotiques, opaques, incertains et nauséabonds.
J'ai trouvé cette fin à la fois belle, touchante, mais aussi un peu excessive et improbable, concernant précisément ces rapports familiaux. Ce sera mon seul bémol.

La jungle, à la fois fascinante et angoissante, est un personnage à part entière du livre. Sensuelle, ténébreuse, capricieuse, gourmande, Pierre Corbucci la magnifie. Jeux d'ombre et de lumière, zones n'ayant jamais connu la lumière du soleil, odeurs à la fois envoutantes et écoeurantes, bruits mystérieux, mystères des esprits la peuplant et dont nous entendons les murmures, nous sommes nichés dans cette immensité végétale aux mille nuances de vert. Cette forêt équatoriale prend encore plus de relief lorsque nous comprenons qu'elle est à l'image des racines de certains personnages et des liens qui les unissent.

« Pour l'oeil qui la découvre, la jungle est une effervescence impossible et angoissante. Les repères y sont secrets, changeants, incertains ; l'inconstance permanente. Tout bouge, et pourtant tous semble immobile. Où qu'il se porte, le regard est saisi de vertige. Il y a trop, bien trop ; désorienté, l'esprit cède à la panique. Tout n'est que profusion, exubérance, mouvement et putréfaction. Les parfums se mêlent et saturent l'air. La forêt dépasse les limites de l'entendement, et l'on reste devant elle, les bras ballants, sidérés, incapables de se soustraire à la vague qui nous engloutit.

C'était une muraille sombre, chahutée et dense qui se dressait devant Aristoteles. Les arbres étendaient leurs troncs épais si haut qu'on manquait de se briser la nuque pour en voir le sommet. La forêt était comme une bête énorme tapie derrière cette ridicule barrière. Placide et attentive, agitée de rumeurs, de sifflements et de cris, elle scrutait le jeune lieutenant avec des yeux gourmands - pire, elle le soupesait. Les branches semblaient ployer vers lui, et les moustiques qu'il chassait avec frénésie formaient autour de sa tête une auréole sombre aux contours flous ».

La disparition d'Aristoteles Sarr est donc un roman d'aventure et d'initiation teinté de réalisme magique. Marqué par les thèmes de la lutte entre civilisation et barbarie, modernité et nature, exploitation coloniale, racisme et mysoginie, respect des peuples autochtones, c'est un livre haletant et passionnant, à la plume ciselée, dans lequel la jungle est un personnage à part entière magnifiquement dépeinte par Pierre Corbucci, voire une allégorie des rapports humains, de leur complexité, de leur opacité, de leur élans vitaux et mortifères. Encore un beau dépaysement offert par les éditions Paulsen !


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« C'était une muraille sombre, chahutée et dense qui se dressait devant Aristoteles. Les arbres étendaient leurs troncs épais si hauts qu'on manquait de se briser la nuque pour en voir le sommet. La forêt était comme une bête énorme tapie derrière cette ridicule barrière. Placide et attentive, agitée de rumeurs, de sifflements et de cris, elle scrutait le jeune lieutenant avec des yeux gourmands – pire, elle le soupesait. Les branches semblaient ployer vers lui, et les moustiques qu'il chassait avec frénésie formaient autour de sa tête une auréole sombre aux contours flous. »

La disparition d'Aristoteles Sarr, Pierre Corbucci #editionspaulsen

La forêt amazonienne, « une effervescence impossible et angoissante » pour quiconque la découvre pour la première fois ! Elle se montre, tout à la fois, impénétrable et implacable, sombre et envoûtante, débordante de vie… et de mort aussi !

Une fois n'est pas coutume, la collection #lagrandeourse des @pauslen nous entraîne dans une aventure tropicale, au plus profond de l'enfer vert, une histoire qui alterne entre la voix des humains et celle des divinités de la mythologie guaranie.

« - Ce petit homme qu'on attendait, il est malingre, m'a-t-on dit.
- Tu l'as vu ?
- Non. le jaguar l'a senti. le singe l'a entendu. L'urubu l'a repéré. le poisson l'a croisé. Tous m'ont dit qu'il était maigrichon.
- Et alors ? Kurupi n'en voudrait pas ?
- Ce n'est pas Kurupi qui doit le vouloir, Teju Jagua. C'est Luisõ. Il sera bientôt là. Mbói Tu i l'accompagne. La pirogue blanche arrive à quai. J'ai déjà prévenu tout le monde. Même Jasy Jatere. »

Le récit s'intensifie au fil des pages, s'épaissit, comme le fait la forêt elle-même pour tout être vivant qui pénètre sur son territoire et se retrouve déboussolé après quelques pas seulement.

Le lecteur entre dans ce roman comme s'il se fondait dans la jungle ; il se laisse porter par tous ses sens, emporter au fil des pages, envoûter par cette narration à l'image de l'environnement dense, sombre, subjuguant.

Un univers à nul autre pareil, où l'on peut passer, d'un instant à l'autre, de vie à trépas.

Ne vous y fiez pas ! la nature est, ici, belle et indomptée, mortelle et ensorcelée !

« Mais la jungle est un univers à part entière, l'expression ancienne d'un monde qui nous éclipse et auquel on n'échappe pas. le sol n'est qu'un support, vite avalé par l'exubérance de la création. La vie et la mort n'y ont aucun sens. Comment pourrait-il en être autrement là où les arbres grandissent durant des siècles et voient leurs troncs et leurs branches visités par des créatures qui ne vivent parfois que quelques heures ? la puanteur y côtoie les parfums les plus suaves, la vie y est frénétique. Tout se mêle et se confond, s'enfonçant dans la terre, épousant les racines qui strient le sol comme autant de serpents obèses endormis. Il n'y a pas de repère, aucune perspective. »

Entrer dans ce récit à la plume enchanteresse, c'est abandonner toute raison ou toute rationalité, et se laisser emporter, totalement envoûté, jusqu'aux tréfonds de l'enfer vert !

Bienvenue dans la forêt amazonienne…
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Pour l’œil qui la découvre, la jungle est une effervescence impossible et angoissante. Les repères y sont secrets, changeants, incertains ; l'inconstance permanente. Tout bouge, et pourtant tous semble immobile. Où qu'il se porte, le regard est saisi de vertige. Il y a trop, bien trop ; désorienté, l'esprit cède à la panique. Tout n'est que profusion, exubérance, mouvement et putréfaction. Les parfums se mêlent et saturent l'air. La forêt dépasse les limites de l'entendement, et l'on reste devant elle, les bras ballants, sidérés, incapables de se soustraire à la vague qui nous engloutit.

C'était une muraille sombre, chahutée et dense qui se dressait devant Aristoteles. Les arbres étendaient leurs troncs épais si haut qu'on manquait de se briser la nuque pour en voir le sommet. La forêt était comme une bête énorme tapie derrière cette ridicule barrière. Placide et attentive, agitée de rumeurs, de sifflements et de cris, elle scrutait le jeune lieutenant avec des yeux gourmands - pire, elle le soupesait. Les branches semblaient ployer vers lui, et les moustiques qu'il chassait avec frénésie formaient autour de sa tête une auréole sombre aux contours flous.
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En quittant la ville, le train pénétra dans une forêt humaine. Les gens s'agglutinaient aux abords de la voie, forçant le convoi à ralentir tant et si bien qu'on aurait pu en descendre et cheminer à ses côtés, comme un bouvier calant son pas sur celui de ses bêtes. Peut-être les machinistes étaient-ils complices et freinaient-ils délibérément le train pour permettre à leurs frères, cousins, voisins qui assaillaient les wagons de vendre leurs babioles aux voyageurs : Qui de l'eau dans des bouteilles poussiéreuses, qui des ombrelles de mauvaise qualité, qui des noix du Brésil, qui des mouchoirs grossièrement brodés, qui des friandises à la composition douteuse.
C'était une futaie de bras, de mains tendues aux doigts épais, calleux et rougis de crasse. Tout se confondait en un corps unique, un être matriciel et tentaculaire : le peuple comme une pieuvre, une machine organique, dépravée, hirsute et malhabile. Ils cernaient la voie ferrée, agitant leurs oripeaux aux couleurs hystériques, criant de leurs bouches édentées, piétinant dans la boue dans l'espoir qu'on les remarquerait avant de retourner dans leurs cahutes - piquets vermoulus, briques disparates et feuilles de bananier - dressées à la hâte le long des rails. Des enfants loqueteux jouaient devant la porte, saluant d'une main noire et d'un sourire solaire les passagers d'un train qu'ils ne prendraient jamais. Qu'on leur répondît, fût-ce l'esquisse d'un sourire ou d'un geste timide de la main, et ils rayonnaient soudain, comme s'ils obtenaient enfin la preuve indubitable de leur existence, comme si l'absence de tout suffisait à leur bonheur.
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Le capitaine invita Aristoteles à le rejoindre dans la cabine dont l'exiguïté devint soudain palpable. Dans cette cellule de tôle, à peine aérée par une écoutille, la chaleur était si épaisse qu'on aurait pu la découper au couteau. En pénétrant dans le réduit aux cloisons rouillées sur lesquelles on avait discrètement accroché le portrait d'une Vierge aussi blanche que l'écume, Aristoteles avait eu l'impression d'être étreint par des bras doux et puissants. Dans l'odeur suave et entêtante où se mêlaient la sueur, l'eau de Cologne bon marché et les épices chaudes d'un repas oublié, il eut un vertige fugace. Le capitaine eut beau se coller contre la paroi opposée, ses épaules occupaient la quasi-totalité de l'espace. Dans son énorme main, le gouvernail semblait un jouet. Les compteurs comme la grosse boussole à la vitre fêlée étaient si sales qu'il était impossible d'y lire quoi que ce fût, et la fenêtre semblait faite du même verre poncé. Sur les rebords s'agglutinaient une bouillie d'insectes.
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Pour l'œil qui la découvre, la jungle est une effervescence impossible et angoissante. Les repères y sont secrets, changeants, incertains ; l'inconstance permanente. Tout bouge, et pourtant tout semble immobile. Où qu'il se porte, le regard est saisi de vertige. Il y a trop, bien trop ; désorienté, l'esprit cède à la panique. Tout n'est que profusion, exubérance, mouvement et putréfaction. Les parfums se mêlent et saturent l'air. La forêt dépasse les limites de l'entendement, et l'on reste devant elle, les bras ballants, sidérés, incapables de se soustraire à la vague qui nous engloutit.
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Video de Pierre Corbucci (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Pierre Corbucci
Interview de : Pierre Corbucci pour son livre : LA DISPARITION D'ARISTOTELES SARR
paru le 18 janvier 2024
Résumé du livre : Un roman aux accents tragiques qui entraîne le lecteur au coeur de la forêt amazonienne dans le combat qui oppose l'humain à la nature.
Amérique du Sud, années 1920. Lieutenant du génie, Aristoteles Sarr est chargé d'aménager une piste d'atterrissage au coeur de la forêt amazonienne. le survol de cette zone jamais cartographiée doit permettre de prolonger le chemin de fer. Convaincu du bien-fondé de sa mission, le jeune lieutenant n'a pas conscience que la jungle est animée d'une vie propre, que ses ténèbres fourmillent de dangers, et qu'à vouloir dominer la nature, on a tôt fait de s'en attirer les foudres. Aux abords de l'extravagant palais de la Huanca, dernière enclave humaine avant l'inconnu, d'étranges disparitions se multiplient.
Un roman picaresque aux mille nuances de vert, aussi puissant qu'une tragédie antique.
Bio de l'auteur : Pierre Corbucci est né en 1973. Après une enfance varoise, il étudie et enseigne l'histoire et la géographie avant de mettre sa plume au service de diverses agences de communication. Esprit curieux, mélomane avisé, voyageur alerte, il est toujours à l'affût de nouvelles histoires. Son goût marqué pour les littératures d'Amérique latine et le roman d'aventures lui donne envie d'explorer de nouveaux horizons littéraires. Fervent admirateur de Blaise Cendrars et de Gabriel García Márquez, il entraîne ses lecteurs aux confins de la jungle amazonienne à travers ce second roman.
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