La maison du sommeil est un roman complexe et apparemment déroutant à première vue. Il se passe à deux périodes différentes. L'une dans les années 80 quand un groupe d'étudiants se rencontrent et vivent ensemble dans une maison à Ashdown et l'autre en 1996 – l'époque de l'écriture du roman – autour de la « Maison du sommeil », la même pension transformée en clinique spécialisée dans les troubles du sommeil et dirigée par le Docteur Gregory Dudden. L'auteur alterne les époques un chapitre sur deux, les chapitres impairs se déroulent dans le passé et les chapitres pairs au présent de la narration.
De plus, ces chapitres s'intègrent dans six parties différentes, représentant chacune une phase du sommeil depuis la «veille » jusqu'au « sommeil paradoxal ».
Le roman s'ouvre en 1983-4, sur un jeu érotique entre le Docteur Dudden avec sa petite amie du moment, Sarah : il la regarde dormir et va jusqu'à lui presser les orbites quand ils font l'amour. C'est ce qui éveille l'intérêt de Gregory Dudden pour le sommeil et qui détermine sa vocation pour les pathologies et la psychologie liées au sommeil. Sarah, quant à elle, l'expérience lui laissera un tel traumatisme qu'elle commencera une psychanalyse et cela va constituer l'un des thèmes majeurs du roman, car Sarah, en même, est incapable de distinguer ses rêves de la vie réelle. Elle croit que ses rêves sont vrais parce qu'ils sont forgés à partir de sa propre « réalité ». D'un point de vue littéraire, Sarah figure comme le symbole de la création, un intermédiaire entre le lecteur et l'auteur. Elle accepte ses rêves comme la réalité comme le lecteur accepte l'univers romanesque et elle crée ainsi une autre « réalité », fallacieuse certes, mais qui comporte ses propres règles. (Voir Alice). Sa « maladie » règle même la structure de l'histoire et tout l'art de Coe est de passer de ses rêves à sa « vie réelle » sans transition, dissociation que le narrateur commente et explique après coup. le lecteur est ainsi souvent embarqué dans le « roman dans le roman, sans s'en rendre compte et c'est délicieux. Méfiez-nous de Sarah !
Le chapitre suivant se déroule dans la clinique Dudden où Cleo Madison rentre de vacances. Elle rencontre une jeune fille sur la plage qui aura une résonance particulière dans le roman et sera un lien majeur entre les personnages, bien qu'elle semble peu importante à première vue. le docteur Cleo Madison est une psychologue qui ne corrobore guère les théories de Dudden sur le sommeil: elle pense que c'est une perte de temps et souhaite en réduire la part et si possible tout supprimer :
« Pourquoi le mépriser [le sommeil], en ce cas ? Je ne comprends pas.»
- Je vais te dire pourquoi : parce que le dormeur est désemparé, impuissant. le sommeil met même les plus forts à la merci des plus faibles et des plus démunis."
Terry, autre ancien étudiant d'Ashdown est un fana de cinéma et dort rarement puisqu'il passe ses nuits à regarder des films , devient un sujet intéressant pour le docteur Dudden qui, dans le sous-sol de sa clinique, effectue des recherches sur le manque de sommeil. Des rats et des chiens sont soumis à un traitement très dur et finissent par mourir. Terry se souvient souvent
De Robert, l'un de ses amis qui semble avoir disparu. Sarah et Robert ont vécu jadis une histoire d'amour. Mais Sarah, à cette époque, avait une expérience saphique avec « Ronnie » (Veronica), une femme ambitieuse. En fait, les “chapitres du présent” sont là pour le souvenir et la recomposition du passé à mesure que le roman se déroule, comme les pièces d'un puzzle. Chacun possède une pièce que l'on retrouve à la fin et fait partie intégrante de la structure. La disparition
De Robert semble évidente. Mais le narrateur s'enfonce dans les détails.
Les thèmes sont entremêlés. le sommeil est, bien sûr, le principal mais d'autres thèmes principaux font surface et parmi eux, l'amour et la mort, les sens et particulièrement la vue, en ce qui concerne Sarah. La narration renferme des genres littéraires différents, depuis le dialogue entre Sarah et son psychanalyste, ponctuant les relations de celle-ci avec Gregory, Robert ou Veronica, les lettres, la littérature et à ce propos, l'auteur se moque de lui-même avec distanciation lorsqu'il parle d'un livre d'un certain
Frank King et dont le titre est …
La maison du sommeil. La citation tirée de
la pesanteur et la grâce de
Simone Weil prend tout son sens, non seulement dans le titre qui évoque le sommeil mais aussi lorsque l'on sait que l'auteure a été réfugiée en Angleterre et est morte à… Ashford, peut-être transformé en « Ashdown » dans le roman.
Les appendices dans lesquels on trouve un poème
De Robert, la lettre d'un médecin qui suit Terry et la transcription des paroles d'une jeune fille qui parle dans son sommeil et qui est connue du lecteur, offre une fin originale au récit et c'est dans les tout derniers mots du roman que tout s'éclaire.
L'interview d'un réalisateur mené par Terry et qui paraît dans le magazine Frame pour lequel il travaille à l'époque, ajoute une note comique au roman tout comme la conférence à laquelle assiste le docteur Dudden et d'autres médecins et pendant laquelle ils s'amusent à faire des sculptures avec des cure-pipes et jouent avec des allumettes ou encore l' American way of life :
"S'il était un couvre-chef que Terry exécrait par-dessus tout, c'était la casquette de baseball. Bien sûr il ne voyait pas d'inconvénient à ce que les enfants en portent mais à chaque fois qu'il voyait ça sur la tête d'un adulte, ça lui semblait symboliser tout ce qu'il détestait le plus en Amérique, bien plus que la silhouette de Mickey Mouse ou les dernières publicités pour Coca ou les hordes de « M » jaunes qui paraissaient à présent déferler sur l'Angleterre comme un virus mal maîtrisé. Et pire encore, Kingsley la portait retournée. C'était cela, sans aucun doute la forme la plus extrême de la crétinerie. "