Du 2 septembre 2020 au 16 décembre s'est tenu le procès des attentats de janvier 2015. Parmi les témoignages, l'un des moments forts a été celui de Corinne Rey dite « Coco », celle qui ouvrit la porte aux frère Kouachi et vit depuis avec un sentiment de culpabilité intense et le complexe du survivant. A l'instar de Luz,
Catherine Meurisse, Riss et
Philippe Lançon, elle libère à son tour sa parole dans un livre, son premier, sorti juste après. Cet album est absolument poignant et retentit longtemps en vous.
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La dessinatrice se confie sur cette tuerie qui aurait pu l'emporter et ses conséquences. Deux métaphores marquantes parcourent son témoignage : la vague coup de poing d'Hokusai récurrente de la séquence inaugurale qui matérialise à la fois le tsunami émotionnel auquel elle est en proie, la lame de fond qui a bouleversé son quotidien, le creux de la vague aussi … et celle de l'échiquier sanglant de la séquence des « et si » dans laquelle pétrie de culpabilité elle égrène différentes hypothèses qui auraient pu changer le cours de l'histoire tandis que les strips se raccourcissent au fil des pages et se remplissent du rouge sang pour se transformer en cases de plus en plus étouffantes comme celles d'un échiquier du destin sur lequel elle n‘est qu'un pion ou les barreaux d'une prison qui l'enferme dans une culpabilité obsédante, « la solitude d'être vivant » comme dit Lançon dans «
le Lambeau ».
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Au fil des pages on la voit chuter, plonger, s'enfoncer, suffoquer dans une vague qui l'enserre comme un boa constrictor et finalement remonter. Grâce au dessin , grâce aux moments heureux de l'enfance, grâce aux souvenirs aussi. Alors le bleu froid de la vague et le rouge du sang se muent en aquarelles aux teintes douces Elle évoque ainsi son expérience en tant que « petite dernière au sein du journal satirique avec une infinie tendresse. Comme dans « Indélébiles » de Luz, elle remonte le temps pour que vivent les morts et nous fait assister aux conférences de rédaction, à la complicité qui l'unissait à
Charb et
Cabu qu'elle admirait, leurs vannes de potaches parfois, leurs multiples idées et l'enthousiasme et le vent de liberté qui y régnait.
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Mais elle ne succombe pas à la tentation hagiographique pour autant. Elle rappelle brillamment les combats menés et les attaques constantes qu'eut à subir cette équipe si attachée à la liberté d'expression dans un style qui ressemble cette fois plus au dessin de presse et elle règle également au passage quelques comptes avec ceux qui, surfant sur la vague inhabituelle de popularité dont bénéficia le journal après le 11 janvier voulurent tirer la couverture à eux ou se montrèrent cupides.
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C'est un livre « lourd » dans tous les sens du terme : il fait 345p et martèle son sentiment de culpabilité mais c'est un livre courageux et nécessaire. Un témoignage de lutte et de tentative de résilience pour se relever de l'horreur délivré avec énormément de pudeur. Elle a fait sienne la phrase de l'un des fondateurs du journal , Cavanna : « un bon dessin c'est un coup de poing dans la gueule ». Nous finissons un peu groggy …