Gros gros coup de coeur que ce livre!
Si vous pensez entrer dans la vie d'une mamie gâteaux, tricoteuse, passez votre chemin ! Cette mamie-là est unique, elle se fout des gens et du monde extérieur, pas par égoïsme ou par méchanceté mais parce qu'elle a renoncé au monde des vivants pour ne s'entourer que de livres. Au moins avec eux elle n'est pas déçue.
À travers cette mamie taiseuse, la narratrice et petite fille de cette drôle de bonne femme, raconte quatre générations de femmes du XXème siècle et espère rompre avec leur héritage maudit. Avec les vies de sa mère, sa grand-mère maternelle,
mamie Loulou, et son arrière-grand-mère, elle met aussi en lumière l'histoire de mille autres femmes, soumises à la nécessité de leur condition de femmes qui enfantent, dépendent de leurs maris et s'en contentent parce que c'était comme ça. En vrai, elles ne s'en contentent pas mais subissent chacune à leur manière. La narratrice veut conjurer le sort de cette lignée en s'adressant à sa grand-mère défunte, qui l'obsède depuis sa mort, alors qu'elle avait 9 ans.
« Tout le jour, tu restais assise, sans rencontrer personne d'autre que les personnages de tes romans », « tu cultivais certes ton jardin intérieur, mais pour ce qui est du reste, ce n'était pas beau à voir » ... c'est ainsi que la narratrice se rappelle sa grand-mère maternelle, au milieu de ses piles de livres, ne disant rien sauf en cas d'extrême nécessité.
C'est ainsi que dans la deuxième partie de ce roman thérapie, notre narratrice trentenaire et parisienne écrit ou invente la vie de cette grand-mère mystère. Louise est née en 1925 de parents italiens, sa mère, consciente de sa condition de femme au foyer sans instruction et sans autre but que la maternité a réussi à esquiver les grossesses jusqu'à ce que celle-là s'accroche, malgré les interventions extérieures non légales... Louise s'élève sans amour maternelle, la lumière arrive dans sa neuvième année avec sa maîtresse d'école, madame Jelenska qui lui donne accès à la littérature, en lui confiant « Chacune de ces oeuvres est une étincelle qui fera de toi une femme éclairée, Louise, tu devras toujours réfléchir la lumière qu'elles te donnent ». C'est aussi indirectement d'elle que viendra la foudre, celle de son neveu Adam, jeune homme d'origine hongroise sympathisant avec les nazis, dont Louise tombe amoureuse pendant l'été 1939, et qui lui vole une nuit d'amour à deux pas de l'église Sainte Elisabeth de Hongrie (j'ai adoré ces clins d'oeil dans le texte) en avril 1944 avant de disparaitre au matin. le souvenir de cette unique nuit s'appellera Aude et naîtra fin décembre 1944. Pour remédier à ce déshonneur, on est à l'époque des courageuses tonsures de filles-mères à l'armistice, on choisit de substituer le père au fils : Louise passera sous la protection de Ferenc, francisé François, le père d'Adam. Ils se marient à Paris pour pouvoir s'expatrier à la campagne, dans l'Indre. Et voici le deuxième acte du drame familial : une deuxième femme devient dépendante d'un homme.
De cette union particulière naitront, en plus de l'enfant illégitime, six enfants, avant qu'un médecin moins arriéré que ses congénères n'accepte de mettre un terme à cette maternité débordante. Pas de contraception, ni interruption de grossesse dans ces années-là, la France a besoin d'être repeuplée.
Et puis c'est la routine, dans la misère, Louise bosse un temps dans un troquet, écoute les débilités misogynes des poivrots du coin, pendant qu'elle lit le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir qu'elle imagine attablée aux Deux magots... deux salles, deux ambiances.
Jusqu'au jour où elle n'a plus envie de faire semblant, elle ramène des livres et des livres qu'elle lit et dans lesquels elle se réfugie... jusqu'à sa chute d'un escabeau, en essayant justement d'attraper un livre !
Dans ce roman les femmes se taisent, se murent dans les livres ou se suicident et les hommes remplissent l'espace par leurs paroles : Adam le beau-parleur, le père de la narratrice qui parle tout le temps pour palier au silence de sa femme et aussi amuser ses enfants, Ferenc-François le violoniste qui tente de palier au silence par la musique, Godo dont les paroles sont des envolées lyriques...
Enfin pas toutes, puisque la thérapie aura fonctionné et permis à la narratrice de trouver sa voie.
Je ne remercierai jamais assez
Aurélia Clément, dont c'est le premier roman, d'avoir ouvert la bibliothèque de sa grand-mère dans ses pages et de nous offrir ce magnifique hommage à la littérature. On suit le chemin semé des cailloux-livres sur lesquels on sautille pour entrer dans la vie de
mamie Loulou et de sa petite fille qui écrit pour combler le manque de parole de sa grand-mère et de sa mère. C'est toujours fait de façon intelligente, érudite mais pas trop, elle sème des avertissements et indices tout du long. Tous les fils du récit, biographiques, historiques mythologiques, légendaires et littéraires se répondent dans une parfaite harmonie.
Bref... j'ai vraiment adoré!
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