Ce livre est le résultat d'un colloque au château de Cerisy fin 2020. Avec 145 entrées et une trentaine de contributeurices, il offre un panorama dense et protéiforme de la question centrale qu'il se propose de traiter (et qui donne son titre à l'ouvrage) : les angles morts du numérique ubiquitaire.
Autrement dit, un inventaire de tous les aspects oubliés, écartés, tus, du débat public sur les déclinaisons passées, présentes et futur du numérique.
Les contributions viennent de la philosophie, du design, de la sociologie, de l'informatique, des lettres ou des mondes artistique et de l'entreprise. N'étant pas du tout un expert sur ces questions, j'ai parfois eu du mal à suivre, mais l'expérience fut tout à fait plaisante !
Les thématiques sont foisonnantes et en faire une liste exhaustive serait aussi fastidieux à dresser qu'à lire. Je vais donc me contenter de quelques exemples.
L'une des questions qui traverse le glossaire est celle du vocabulaire. S'entendre sur des termes, a fortiori avec un panel disciplinaire aussi large, est un premier chantier de vaste ampleur. D'autant plus que les entrées sont richement documentées, que la bibliographie est imposante et que nombre de personnes sont citées. Parmi ces débats sémantiques, celui sur l'Intelligence Artificielle est particulièrement marquant. L'entrée COGNITION SYNTHETIQUE présente la proposition du même nom en guise de remplacement de l'IA. On trouvera aussi "stupidité artificielle", "intelligence humaine collective étendue" ou "stupidité naturelle".
J'ai particulièrement apprécié le concept de SOUSVEILLANCE, comme l'HUMANECTOMIE ou la DICTATURE DE LA COMMODITE (ou l'empire des renoncements et lâchetés quotidiennes).
L'une des forces de ce glossaire est de permettre une lecture à plusieurs niveaux. J'étais par exemple très content de connaître au moins une des entrées, BULLE DE FILTRES en l'occurrence ! Mais en lisant la notice, j'ai pu m'apercevoir que si le concept n'est pas à jeter, il est néanmoins à tempérer et à complexifier. Les savoirs sont toujours à renouveler, actualiser et le livre pourra distribuer quelques piqures de rappel !
Les deux entrées signées
Saul Pandelakis permettent d'ouvrir le débat vers des horizons LGBTQIA+, où l'auteur de science-fiction s'exprime avec sa casquette de chercheur et appuie son propos d'expériences personnelles.
Dans l'article sur les IMAGINAIRES DU NUMERIQUE, une autocritique du glossaire est faite, pointant par exemple le penchant plus dystopique qu'utopique des contributeurices ou l'absence de la question de la cybercriminalité ou des "potentiels réels du numérique au profit de l'éducation, de la santé, de la réduction de la pénibilité, ainsi que de l'écologie et du climat" (229).
L'aspect écologique est régulièrement présent, mais dans l'optique de dénoncer les ravages (tout aussi réels) que cause le numérique.
Au final, une lecture passionnante mais difficile, stimulante mais exigeante.
Un livre que je re-feuilletterai régulièrement, et une critique qui sera peut-être agrémentée de nouveaux paragraphes, au fil de mes réflexions futures !
Merci à Babelio et aux Presses du réel pour ce livre reçu via l'opération Masse Critique.