Citations sur Lettre à mon ravisseur (60)
- La pluie ! tu t'es écrié en souriant. Tu fais pleurer le ciel !
J'ai décidé de donner un nom à toutes les poules, les deux grosses grises se sont appelées Ethel et Gwen, en hommage aux vieilles dames du bus, la petite rouge, Maman, la rouge dodue, Anna, la grande aux plumes oranges, Ben (oui, je sais, c'est un nom de garçon et alors ?), la blanche maladive, Alison, comme ma grand-mère, et le coq, Salaud, comme toi.
Les intellectuelles sont comme toutes les femmes, elles se méfient de moi dès le premier regard. Les intellectuels sont comme tous les hommes, ils m'embauchent, mais pour de mauvaises raisons.
Or, pour moi, la seule façon d'y parvenir est de t'écrire ce journal, cette lettre. Après tout, tu étais la seule personne dans le désert avec moi, la seule à savoir ce qui s'est passé.
Et il s'est bien passé quelque chose? n'est-ce pas? Quelque chose d'étrange et de fort que je n'oublierais jamais, même si j'y emploie corps et âme.
Vous avez donc été volé en quelque sorte , ai-je dit doucement .
Je ne me suis pas déglonflée , j'ai soutenu ton regard .
Tes yeux se sont réduits à deux fentes . Tu comprenais très bien ce que je voulais dire . On t'avait volé, comme tu m'avais volée .
-Est-ce qu'avec moi vous essayez de leur rendre la monnaie de leur pièce ?
Tu n'as rien dit pendant un bon moment . Mais je n'ai pas baissé les yeux. Dès que j'ai compris que tu ne te mettrais pas en colère contre moi , je me suis senie pleine de courage . C'est toi finalement qui t'es détourné
-Non , tu as dit . Ce n'est pas ça . Je t'ai sauvée . Sauvée , pas volée .
-Combien de temps vous allez me garder ? ai-je demandé.
Tu as haussé les épaules.
-Toujours , bien sûr.
– C’est horrible à ce point de vivre avec moi ? tu as demandé d’une voix presque inaudible.
J’ai soufflé.
– Évidemment, ai-je répondu dans un murmure après une bonne minute de silence.
Avec le recul, je me demande si ma réponse s’arrêtait à ce seul mot, si elle n’exprimait, pas un besoin de communiquer, d’utiliser ma voix plutôt que la perdre. Car c’est exactement l’impression que j’ai eue sur le moment, en voyant le vent chasser le sable, l’impression qu’il pouvait emporter ma voix avec. Je disparaissais avec les grains de sable, éparpillée au vent. Cela dit, tu m’as entendue. J’ai cru que, sous le choc, tu allais tomber de la galerie. Tu t’es repris avec un froncement de sourcils et tu as évalué ma réponse.
– Ça pourrait être pire…, tu as dit, laissant ta phrase en suspens.
Un jour, tu seras libéré de ta cellule vide et austère, tu retourneras aux différents, sans moi, et tu sentiras à nouveau la pluie. Et, cette fois, tu iras vers le soleil en droite ligne, j'en suis certaine.
Tu m'as transporté à l'intérieur de l'avion, allongée sur quelque chose de moelleux, puis tu as commencé à t'éloigner. Je t'ai saisi la main, enserrant fermement tes doigts, refusant de te lâcher. Je ne voulais pas être abandonnée à des inconnus. J'ai levé les yeux et trouvé les tiens. Tu as hésité, lancé un coup d'œil dehors en direction du tarmac et au-delà vers l'étendue de terre rouge dénuée de relief, puis tu es revenu à moi. Tu as hoché insensiblement la tête en t'asseyant. Tu t'es mis alors à me parler, j'ignore ce que tu disais, mais tes yeux étaient remplis de larmes.
Toi aussi, tu tremblais. Tu m'as serrée plus fort encore contre ton corps frissonnant, contre le sable, la terre, la peinture dont il était recouvert. Je me suis laissé engloutir par tes bras avec, pour une fois, le désir d'être payée de retour. Ton parfum de terre m'a submergée. Tu m'as essuyé les joues, chassant la peinture humide vers mes cheveux. Je suis restée blottie dans la chaleur de ton corps, sous les couvertures, semblable à un invertébré dans sa coquille. Tes bras autour de moi étaient solides comme des rocs. J'ai senti tes lèvres caresser mes cheveux, ton souffle chaud sur mes oreilles. Je me suis raidie, mais sans m'écarter, pesant les mots que je m'apprêtais à te dire.