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Dans ce roman éblouissant, il semble que les liens de causalité, comme l'ébauche au crayon structurant un tableau, aient été effacés, mais que leur architecture subsiste. L'écriture s'évertue à rendre au plus près la substance, la matière des faits et des êtres. Chaque personnage est comme une abeille aveugle dans un essaim, le membre involontaire d'un fonctionnement collectif fou. Certains y prospèrent, d'autres y sont détruits, digérés, annulés, et le seul point commun qu'ils semblent avoir est leur ignorance de cette logique dans laquelle ils sont pris comme des moucherons dans une gélatine.
Il y a Bébé, le grand-père, un monstre ordinaire qui écrit sa propre histoire et en vit, en sous-marin de sa propre vie, une autre moins avouable, qui s'autodétruit au fur et à mesure qu'elle se tisse, ne laissant de traces que sur les autres.
Il y a la jeune Roberto, déterminée au plus haut point, se dirigeant inexorablement vers la réalité objective de son existence : rien.
Il y a l'émouvante Ouafa, la seule finalement à n'être pas qu'un rouage anonyme d'une machine aveugle, la seule à faire preuve d'une volonté propre, laquelle ne peut être que de résistance.
Il y a Oé, le type même de l'élément défectueux à éliminer.
Et puis les autres, et les arbres, et les villages engloutis, les livres enterrés comme des morts promis à renaissance, et l'écriture incroyable qui fait de ce bric-à-brac un tout, déterminé par l'incohérence et la cruauté, mais aussi la beauté. On ne peut détailler toutes ces trajectoires mais elles ont toutes, même la plus infime, une existence indispensable à la cohérence générale. (...)
Restent la beauté de l'amitié entre les trois enfants maudits, chacun à sa manière. Reste aussi la beauté étonnante d'une écriture qui pourtant ne cesse de racler et renâcler, évitant toute quête esthétique, sautant stylistiquement du coq à l'âne et mâtinant un vocabulaire simple et précis voire trivial à une syntaxe sophistiquée. Et cette écriture est bouleversante malgré sa sécheresse calculée, elle génère des vagues d'émotion et d'émerveillement. (...)
Et pour encore citer Séverine (parlant de l'arrivée de Ouafa dans la région où se déroule le récit), voilà ce qu'on ressent à la lire :
« Ce fut une perfusion prodigieuse.
Un éblouissement. »
Lonnie dans Double Marge (Extrait)
Lien : https://doublemarge.com/les-..
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Il aurait dû y avoir trois corps, ce matin-là, quand l'employé de la chambre funéraire entra. Deux vieux et une jeune. Micheline Broume, dite Roberto. Il ne savait pas pourquoi on l'avait surnommé ainsi. Un prénom d'homme. Il savait simplement qu'elle était la fille de Lipo, la petite-fille de Bébé. Il la voyait passer, parfois, sur sa mobylette orange, walkman sur les oreilles. L'employé savait qu'un touriste l'avait retrouvée pendue au viaduc, en aval du barrage. Pendue, sa robe orange volant au gré du vent... Ce fut la même nuit que disparurent les bêtes. Alors ça fit causer. Au café, dans les champs, à l'épicerie. Même si ces deux disparitions n'avaient aucun lien. On pensait surtout à Lipo, à Bébé. Comment faire le deuil d'une enfant dont le corps n'était plus ?

Un petit village au coeur du massif central. Ses habitants qui se connaissent tous. Lipo et sa fille, Roberto. Fortuna, étranger venu s'installer ici dont tous se méfient. Ouafa et Oé, les deux amis de Roberto. Mais il y a aussi des secrets, des rancoeurs, des douleurs, des désillusions, des rêves déchus, des envolées, des pleurs, des drames, de la misère, aussi bien affective que sociale, de l'insouciance, un été trop chaud et du rien, du vide. Un vide que l'on comble comme l'on peut. Au coeur de ce paysage coupé du monde, asséché, déboisé, Séverine Chevalier nous offre un roman âpre, profondément noir et envoûtant. La justesse des mots, ciselés, pesés, et la prose presque lyrique apportent tout à la fois lumière et ombre.
Un roman écorché, rugueux, empreint d'une émouvante fragilité...
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Il y a les histoires qu'on raconte, tout ourlées  de fil blanc, tissées serré,  rebrodées d'images et avec une fin finement ouvragée, une fin qu'on a senti venir de loin et qui s'esquisse dès les premières lignes, avec ce petit fil d'or qui en surligne finement les occurrences et en prépare l'apothéose.

On appelle ça une chute.

La Chute, c'est l'Aboutissement de l'Histoire:  elle en éclaire le sens, en délivre l'énigme au lecteur reconnaissant, comme un bonbon à l'enfant sage, comme un bon point au bon élève.

Et puis il y a des histoires comme celle des Mauvaises.

Des histoires  tues, des histoires muettes, des histoires sans nom, des histoires sans mots. Des qu'on enterre, des qu'on oublie.

Des qui restent en suspens.

Suspendues à un fil, comme la pauvre Roberto, petite coiffeuse aux mains ravagées par les produits capillaires, petite funambule en robe orange,  privée de fil, petite-fille abusée, désabusée d'affection, petite enfant abandonnée par une maman éphémère.

Il y a des histoires qui pianotent, en avant,  en arrière,  sur le clavier du 11 août 1988, comme une mélodie qui se cherche, cherche son début, sa fin.

Cherche ses points d'accroche: Ouafa, Oé, Fortuna, les amis aux solitudes jumelles... Ses points d'anicroche: Bébé, pervers pépère, Natacha que rien n'attacha....

Sa chute.
 
Mais non: pas de chute quand on n'arrive pas à  coudre ensemble les pièces de l'histoire.

Reste un patchwork impressio-triste, un concerto en corde mineur, un poème pour fille seule.

Reste une ode à  toutes les solitudes sans mots, à  toutes les histoires sans chute et qui n'en finissent pas de tomber, pourtant, comme les pétales et les feuilles dans l'eau noire des lacs volcaniques, ou sur la terre âpre où les animaux, les enfants fous, les misérables et les Mauvaises n'en finissent pas de crier leur plainte sans paroles.

Les mauvaises histoires font des livres inoubliables, sous la plume enchantée de Severine Chevalier.

Merci à toi, Ziliz, patiente découvreuse de trésors silencieux!
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Petite silhouette orange, elle se balance au bout d'une corde, sous le viaduc désaffecté. Une mobylette est garée pas très loin, orange aussi...

Cette histoire sombre est tissée de trous et de fils.

Les trous : des volcans d'Auvergne, des cratères, un lac artificiel vidé, des fosses préparées pour des morts, des parents absents, des mains crevassées, des coeurs perforés, des manques affectifs, des amnésies, des disparitions, l'exode rural...
Avec ces trous : des chutes (on s'en relève, ou pas).
Mais aussi des choses enfouies, enterrées dedans ou dessous.

Les fils : un câble de funambule, une corde de pendu(e), un viaduc qui surplombe le gouffre et relie les rives, des ficelles tendues entre des branches d'arbres, un bout de laine pour tenir un ami par la main, des traces blanches d'avions dans le ciel, un chemin de fer, des élastiques...
Les fils sont emmêlés ou détruits, les repères brouillés, les rôles parfois inversés - quand, par exemple, 'Bébé', c'est le grand-père (un grand-père qui n'a jamais appris les codes familiaux ?).


Je ne suis plus tentée par les romans dits 'du terroir'. J'en ai trop consommé dans les années 80-90's, peut-être.
Les descriptions de paysages, végétaux & animaux me lassent vite. Je n'ai rien contre l'idée de communion avec la nature, mais je préfère pour cela la vraie vie au nature-writing, où le rythme est souvent lent et centré sur des sujets qui m'ennuient (chevaux, bétail, pêche, chasse...).

Ce roman de Séverine Chevalier m'a immédiatement séduite.
La plume est sensible et visuelle, 'à l'os', sans chichis, sans métaphores éculées, sans termes vaporeux rebattus.
Ce style très personnel est 'sauvage', sincère, et j'imagine un long travail de réécriture (ou un immense talent spontané) pour parvenir à un tel raffinement, à cette simplicité apparente, que j'admire et envie.
Du diamant brut, totalement en phase avec l'histoire noire de Roberto et de ses proches.

Tout mérite qu'on lise soigneusement, lentement, et même qu'on s'arrête (les images, les détails, les mots et leur agencement sur la page), et tout m'a éblouie, jusqu'aux noms/surnoms des personnages et animaux.
Tout, sauf la fin. Qui ne m'a pas déplu, mais déroutée - la forme des derniers chapitres, et peut-être aussi le final abrupt.

Pour tout le reste, je recommande ce roman, grandiose !
Et je vais m'empresser de découvrir les deux autres de cette auteur qui, paraît-il, change de registre à chaque fois.

____

♪♫ https://www.youtube.com/watch?v=jbaKcxTW7A8
(mentionné p. 159)
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La forêt, le lac, le barrage : autant de terrains de jeu et d'évasion pour Roberto, Oé et Ouafa, adolescents de cette terre qui fut autrefois celle des volcans. Un petit monde parallèle à celui de Natacha, Bébé, Fortuna, Vincent, Jean-Guy ou Athel, les adultes fixés ici depuis toujours ou échoués par les hasards de la vie.

Tout ce microcosme cohabite plutôt bien. Apparemment. Jusqu'à ce que le corps d'une des jeunes filles soit retrouvé pendu au viaduc du barrage. Puis que son corps disparaisse le lendemain de la morgue où il reposait.

Se jouant des époques et alternant les allers-et-retours temporels, Séverine Chevalier nous propose dans Les Mauvaises un roman noir atypique, brouillant à l'envie les repères du lecteur, l'étourdissant pour qu'il s'extraie de cette simple histoire de fait divers pour mieux s'abandonner à l'étude des âmes et des coeurs.

Le temps d'un livre, elle ouvre le barrage et libère les eaux, dévoilant au grand jour ce qui était jusque-là caché par tous et chacun, grand déballage qui renvoie chaque protagoniste à sa conscience et à la responsabilité de ses actes. Avant de tout remettre en eau pour passer à autre chose. Car il faut bien continuer à vivre, même après les drames.

Comme souvent avec Séverine Chevalier, l'ensemble est intime et terriblement bouleversant ; touchant dans la mise à nu pudique des sentiments comme des petites et grandes faiblesses humaines ; violent dans tous ces questionnements qui restent sans réponses acceptables.

Les Mauvaises est d'autant plus touchant qu'il m'aura semblé être le plus personnel des livres de l'auteure, lorsqu'elle évoque le lumineux Oé et la différence, lorsqu'elle nous entraîne dans les ambiances enfumées des cafés de village ou lorsqu'elle termine le livre dans un style annonçant l'exercice quotidien désormais pratiqué sur les réseaux.

« Oé était un mystère et une ode, une joie déglinguée, une impossibilité permanente pour le monde tel qu'il était façonné ».

Et puis, il y a cette phrase qui résonne encore après ma lecture, que l'on devrait se répéter chaque matin : « Elle avait déjà compris quelque chose qu'il avait mis des années à saisir, et qui tenait au fait qu'il ne fallait surtout pas chercher l'équilibre, mais faire avec le déséquilibre, plutôt ».

Faire avec donc. Et lire. Et écrire

« Personne ne saura jamais
pour les cadavres enterrés
sous les lacs de barrage

personne ne saura jamais
qu'un peu partout enfouis
sous la terre de ce petit pays
du Centre
il y a des livres
devenant racines. »
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Un matin, un corps apparaît, "efflanqué et virevoltant", pendu sous un viaduc. Il disparaît de la chambre funéraire quelques jours plus tard.
Avant de mourir, la jeune fille a vécu. Elle a fait le bonheur de son père. A d'autres, elle a donné du plaisir… et c'est probablement là une partie de son malheur.

Séverine Chevalier nous raconte la vie des proches de la petite défunte, dans une campagne auvergnate qui ne reste habitée que grâce à la présence d'une usine métallurgique. L'industrialisation est passée par là, symbolisée par ce viaduc désormais devenu inutile - bon à s'y pendre -, mais l'activité ne s'éteint pas puisque l'usine doit encore s'étendre, en grignotant sur la forêt.

L'auteure décrit de manière directe, claire et percutante, la misère humaine, sociale plus qu'économique, ainsi que ses personnages et leur environnement (humain et naturel). Ce roman est plein d'images, au sens propre (on visualise très bien les scènes), et au sens figuré (par des rapprochements d'idées souvent très subtils).
Elle ne nous encombre pas d'analyses psychologiques : elle décrit les actes des protagonistes, leurs relations, laissant le soin au lecteur d'interpréter et de juger - ou de tenter de comprendre ce qui dépasse l'entendement.

Ce roman est un excellent choix de la part de l’éditeur, 'La Manufacture de Livres', qui publie aussi Franck Bouysse. J'ai été légèrement déçu par les derniers chapitres, en décalage avec le reste du récit, et peut-être parce qu'ils laissent un sentiment d'inachevé.
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C'est un livre aussi étrange qu'envoûtant, à la manière de sa première phrase – « le cadavre disparut la même nuit que les bêtes » – que propose Séverine Chevalier avec Les Mauvaises, chronique d'un été tragique et poisseux quelque part au centre de la France des années 1980 tournant autour du suicide de Micheline Broume, dite Roberto, quinze ans, et de la disparition de son corps.
On ne s'aventurera pas ici à aller plus avant dans le résumé de l'histoire toute en détours, pour ne parler que de ce qui nous semble essentiel dans ce beau roman. Il y a d'abord, au coeur du livre de Sévérine Chevalier une histoire d'amitié. Roberto, Ouafa et Éo, allient leurs solitudes. La première est seule parce qu'elle traîne une mauvaise réputation de fille facile, la deuxième parce qu'elle n'est pas d'ici le troisième, du haut de ses onze ans, car il n'est pas comme les autres et apparaît presque même comme une incarnation d'un esprit de la forêt avec tout ce que cela suppose d'incontrôlable et d'inquiétant. Tout comme d'ailleurs, cette nature qui semble parfois se refermer autour du village, gagne du terrain, et que les tractopelles de l'entreprise du beau-père d'Éo tentent de repousser pour faire avancer son idée de la civilisation : une extension à son usine, seule activité semblant encore justifier l'existence du village de Souterre. Il y a ensuite, en filigrane, le portrait sans fard de cette petite communauté villageoise dans laquelle tout le monde se connaît ou croit se connaître, où les secrets s'enfouissent mais, comme les galets l'hiver, ont une sale tendance parfois à remonter à la surface, et pas forcément là où on s'attendrait à les trouver. Une communauté où l'on fait mine de se respecter mais où on n'oublie pas les grandes ou petites offenses, et où les étrangers comme Fortuna, le routard solitaire qui se verrait bien, pourquoi pas, le temps de quelques mois d'arrêt, s'installer peut-être ici, sont accueillis avec froideur et méfiance et où on les regarde repartir avec un soulagement certain.
Tout cela, surtout, Séverine Chevalier le raconte avec ses mots qui, comme on a déjà eu l'occasion de le voir et de le dire à propos de Clouer l'ouest, ont cette formidable capacité à s'agencer de manière à être à la fois beaux et justes, avec subtilité mais sans affèteries. On est ainsi étonné parfois de se laisser prendre par des personnages comme Éo, ou à croire sans sourciller à la dame au Bec de Ouafa, à ces incursions aux limites de la réalité, tout simplement parce que la romancière sait leur donner une chair incontestable. Certainement parce que l'esthétisme de son écriture n'est jamais gratuit et qu'il recèle un fond d'une grande richesse. C'est peu dire que la lecture d'un roman de Séverine Chevalier, aussi sombres et parfois désespérées que puissent être ses histoires, bouleverse et illumine.


Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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« le cadavre disparut la même nuit que les bêtes ».
Ainsi commence Les Mauvaises. En cet été meurtrier de 1988, pas de chronologie mais un labyrinthe spatio-temporel autour de la date fatidique du suicide de Roberto puis de la disparition de son corps. Il ne s'agit pas de donner au lecteur les clés qui seraient en mesure de faire avancer celui-ci dans une seule direction. le coeur du livre rassemble en effet les personnages d'une communauté aux intérêts divergents, dont les voies disparates éclairent tour à tour le récit et sa complexité. C'est donc par un chemin sombrement escarpé, et entouré de forces telluriques et cosmiques, que le lecteur avance jusqu'au dénouement. le récit tient ainsi le lecteur en haleine mais l'intrigue n'est pas tout. Car ce qui interpelle de manière primordiale dans ce livre c'est l'écriture. Une écriture infiniment personnelle que connaissent bien les abonnés de Séverine Chevalier (@sev.quichotte) sur Instagram, à travers les fragments que celle-ci écrit quotidiennement. Dans ces petites séries, comme dans Les Mauvaises, l'écriture poétique, tissée d'une matière brute empruntée à l'oralité, et qui bien souvent nous noue le ventre, n'a de cesse de questionner les sphères sociale et politique, les sphères familiale et intime.
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Avec le départ de son directeur Cyril Herry, on ne sait pas trop ce qu'il adviendra de la collection Territori de la Manufacture de Livres qui rassemblait des auteurs s'aventurant sur des territoires que l'on avait peu l'habitude d'appréhender dans le domaine de la littérature noire francophone. Une cohésion dans le choix des textes extrêmement travaillés, agrémentés d'une ligne graphique originale prolongeant l'atmosphère des récits, il émane de la collection Territori un sentiment de perfection et d'originalité que l'on retrouve notamment dans l'ensemble de l'oeuvre exceptionnelle de Séverine Chevalier et dont le dernier roman, Les Mauvaises peut être considéré comme une espèce de finalité en forme d'apothéose concluant le magnifique travail d'éditeur de Cyril Herry.

Dans cette région perdue du centre de la France on a retrouvé la jeune adolescente Roberto pendue à l'arche d'un viaduc. Un suicide sans nul doute. Puis son corps disparaît du centre funéraire où il était exposé. Et aucune battue n'a permis de retrouver le cadavre. On s'est donc contenté d'enterrer un mannequin placé dans le cercueil, pour compenser le vide, l'absence. Fille facile, Roberto faisait partie avec Ouafa, la jeune citadine disgracieuse et Oé l'enfant lunaire, de ces mauvaises graines qui arpentent la forêt et la voie de chemin de fer désaffectée tout en disposant des pièges dérisoires pour empêcher l'extension de cette usine qui ronge peu à peu la nature. Non-dits et silences coupables, lachetés et mesquinerie quotidiennes, c'est dans la dissolution des coeurs que se bâtissent les drames immuables.

Difficile de qualifier un roman tel que Les Mauvaises sans dévoiler des pans d'une intrigue dont la noirceur s'inscrit dans le quotidien des protagonistes composant la communauté d'une petite ville du centre de la France. Il y est surtout question de ces personnages qui sortent de la norme, tels que Roberto, Ouafa et Oé et dont l'univers décalé se désintègre peu à peu sous le poids des principes édictés par le monde de l'adulte ne pouvant supporter cette espèce de spontanéité infantile qui les renvoie à leurs propres lâchetés, leurs misérables secrets et surtout vers leurs petites angoisses qu'ils ne maîtrisent que très difficilement sous le vernis de l'apparence qui se désagrège parfois pour révéler des drames enfouis, des regrets et des remords trop tardifs. La spontanéité des uns s'opposant à l'hypocrisie des autres débouche sur la mort de Roberto et sur l'effroyable déséquilibre qui en résulte, comme une force tellurique que l'on ne pourrait maîtriser. Ainsi, du fond d'un lac asséché, au creux d'une forêt disloquée ou du haut d'un volcan faussement endormi, l'intrigue se déroule sous le regard impavide d'une nature dont la longue et immuable temporalité puissante se conjugue à la dérisoire période d'une vie humaine qui éclate soudainement dans un soubresaut d'espoir comme l'éruption d'un magma longuement murit. Mais au-delà des promesses non-tenues que l'on honorerait que trop tardivement, on perçoit cette notion de désespoir qui hante l'ensemble des personnages définitivement broyés par le temps qui passe et dont on ne saurait percevoir la moindre possibilité de rédemption. C'est dans l'ensemble de ces petites mesquineries, de ces menues trahisons, de ces lachetés et autres abandons que Séverine Chevalier puise toutes les nuances d'une noirceur émergeant du quotidien de ces hommes et de ces femmes qu'elle dépeint avec une inflexible acuité où affleure, au détour de chacune des pages du roman, la force d'une émotion palpable qui ne manquera pas de bouleverser le lecteur.

Comme pour Recluses et surtout Clouer l'Ouest on reste subjugué par la précision, la justesse du mot qui agrémente chacune des phrases savamment contruites avec cette sensation d'équilibre qui émane d'un texte chargé d'une atmosphère envoûtante presque onirique. Comme une gravure finement ciselée, la prose de Séverine Chevalier devient presque palpable voire même organique en touchant des sens tels que la vue et l'ouïe à l'exemple de ces formes de calligramme incarnant les derniers battements du coeur de Roberto ou cette transition temporelle nous permettant de passer du XX au XXIème siècle. Avec un belle palette d'émotions et un assemblage savant d'intrigues secondaires révélant les failles et les faiblesses de ses personnages, Séverine Chevalier met en lumière la chronique poignante du devenir de ces trois mauvaises graines qui ne manqueront pas de vous faire frissonner, ceci même une fois l'ouvrage refermé, car Les Mauvaises fait partie de ces romans exceptionnels que l'on ne saurait oublier. Une certaine idée du chef-d'oeuvre.

Séverine Chevalier : Les Mauvaises. La Manufacture de Livres/collection Territori 2018.

A lire en écoutant : Je Suis Un Soir d'Eté de Brel. Album : J'Arrive. Barclay 1968.

Lien : http://monromannoiretbienser..
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Un style littéraire étonnant voire déstabilisant. Une sensibilité qui affleure à chaque mot . Un roman noir hors norme qui nous dépeint la misère des sentiments . La misère sociale et sexuelle de ces habitants d'un coin perdu du Centre de la France avec pour seul avenir , le travail à l'usine ARNAUD , seule pourvoyeuse d'emploi à proximité.
Dans les années 80 , trois jeunes gens qui ne rentrent pas dans le carcan du monde tel que le leur offre les adultes . Roberto ( Micheline Broume pour l'état civil ) 15 ans , Ouafa , 15 ans et le plus jeune du trio , Oé , 11 ans unis par une amitié indéfectible. Une amitié qui leur permet de survivre à cette implacable solitude et aux préjugés des adultes . Fille facile pour l'une . Étrangère pour l'autre . Incontrôlable pour le dernier .
Dans ce village en déshérence qui vit sur les vestiges du passé et son magnifique viaduc sur lequel aucun train ne passe plus depuis des années , les loisirs sont rares . Heureusement il y a la liberté de se retrouver , d'imaginer des êtres surnaturels vivants dans le lac , de construire des cabanes dans la forêt qui jouxte Souterre ou de s'essayer au funambulisme grâce aux conseils prodigués par Fortuna, ce vagabond des grands chemins . La liberté pour tenter d'oublier les faiblesses des adultes , leurs lâchetés comme leurs emprises sur leurs petits corps soumis et inoffensifs. Quand cela ne suffit plus il ne reste plus qu'un acte désespéré pour se libérer de ce poids trop lourd à porter pour une jeune fille de 15 ans .


L'écriture comme arme contre l'indifférence et la malveillance. Un langage universel libéré des codes et de la bienséance à la disposition de Séverine Chevalier . Pour dire la souffrance . Pour dire la bêtise des hommes et leur indigeste incompréhension face à la vitalité qui déborde de ces adolescents ouverts aux merveilles qui les entourent. Émerveillés par cette nature foisonnante qu'il faut protéger à tout prix , par ces avions et leurs traces dans le ciel , par ces petits riens qui font le grand Tout ; conscients de la fragilité des choses et des êtres . Une écriture qui interroge ; des noms qui surprennent. Ce style tout terrain qui sort des chemins tout tracés devant lui . Qui aime nous perdre pour mieux nous accrocher . Une prose qui défriche et dans lequel une force nouvelle transparaît : l'âme de l'auteure sans filtre qui se bat en harmonie avec son récit écorché vif .
Conquis .
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