Citations sur La dernière fugitive (85)
Mon frère n'est pas quelqu'un de bien. Il n'a pas ta vision des choses, et il ne l'aura jamais. Pour lui, les Noirs valent à peine mieux que des animaux. C'est comme ça qu'on nous a habitués à voir les choses dans le Kentucky, et tout ce que tu pourras dire ou faire n'y changera rien, quoi que tu puisses t'imaginer avec ta bienveillance de quaker.
"Ton frère n'aime pas les bébés ", fait-elle remarquer à Belle tandis qu'un jour elles passaient devant lui, assis devant le Wadsworth Hotel.
Belle gloussa." Comme la majorité des hommes... les bébés leur font peur, et accaparent à leurs dépens toute l'attention de la mère. Mais c'est autre chose dans le cas de Donovan : ce bébé lui rappelle que tu es mariée. Il s'est amusé cette année à faire comme si tu étais libre de tout attachement. Maintenant il a une preuve concrète qu'un homme a déjà été où il rêvait d'aller. "
Elle avait remarqué que les Américains ne remâchaient pas le passé et se gardaient de réfléchir aux destins différents qu'ils auraient pu connaître. Ils avaient l'habitude du changement : la plupart avaient émigré d'Angleterre, d'Irlande ou d'Allemagne.
Voir Belle Mills était comme découvrir une prune gorgée de sucre dans une jatte de fruits trop verts.
Toujours muette, la femme désigna une étoile au nord dans le ciel : l’étoile polaire. Samuel lui avait expliqué jadis que tout dans le ciel nocturne tournait autour de cette petite étoile sans prétention, et que, comme elle ne bougeait pas, il était possible de la suivre. Que dans un ciel rempli de mouvement puisse exister ainsi un point fixe ne cessait de l’émerveiller.
Honor sourit.
« Au fait, je t’ai apporté ton cadeau de mariage… Tu t’imaginais pas que j’allais venir les mains
vides, quand même ?
— Nous… tu n’avais pas à… je te remercie… Jack et moi te remercions. » Honor se reprit
plusieurs fois avant de trouver les mots justes. En général, les quakers n’offraient pas de cadeaux, car
les biens matériels ne devaient pas revêtir une trop grande importance. Mais Honor ne voulait pas
dénigrer le geste généreux de Belle : elle accepta le paquet plat emballé dans du papier et entouré
d’un ruban bleu.
Enfant, elle avait appris que chacun possède en soi une dose de Lumière divine, et si la quantité
pouvait varier, chacun devait s’efforcer de faire honneur à cette Lumière. Il lui semblait à présent
qu’Abigail en possédait une dose infime, et qu’elle ne lui faisait pas honneur. Bien sûr elle avait
récemment soigné puis perdu un mari, et on pouvait lui pardonner son humeur un peu sombre. Mais
Honor soupçonnait que la froideur d’Abigail était dans sa nature
En arrivant à New York, Honor et Grace avaient été frappées de voir que les hommes américains
crachaient en permanence : ils avaient sans arrêt dans les joues une chique qu’ils expulsaient avec un
jet de salive. Chose tout aussi stupéfiante, personne d’autre ne semblait remarquer cette manie ou
s’en formaliser.
Il fallait de la
discipline pour parvenir à la sérénité. Honor accédait souvent à une sorte de paix, mais la véritable profondeur de la Lumière intérieure, ce sentiment que Dieu la guidait, était plus difficile à atteindre
Dans le flot constant des clientes, plusieurs femmes noires entrèrent pour acheter du tissu, des aiguilles ou des épingles, ou pour faire aiguiser leurs ciseaux.
Honor essayait de ne pas les dévisager, mais elle ne pouvait s'en empêcher : on aurait dit des oiseaux exotiques qui auraient dévié de leur cap pour venir atterrir parmi des moineaux.