Quelle lecture coriace et peu détendue !
J'avoue que j'ai voulu abandonner trois fois. Mais je me suis battue jusqu'au bout. Eh oui, je suis tenace. Et j'ai bien fait !
Deux histoires se nouent, se dénouent, se complètent, s'expliquent au fil des pages : celle du roman, de Wallstreet et des siens, de leur entreprise, de leurs drames familiaux et celle de l'écrivain, Jean-Yves Cendrey, atteint d'un mal soudain bien étrange, très handicapant, qui le force à alterner les périodes au calme dans la campagne française, les jours humides à Ouessant et la vie quotidienne active à Berlin.
Il faut s'accrocher pour suivre. Il faut s'accrocher pour déchiffrer. Les phrases de Cendrey sont immensément longues, souvent dénuées de ponctuation; le vocabulaire est riche et dense et demanderait presque qu'on lise, un dictionnaire à la main.
Malgré ça, j'ai été intriguée. J'ai tenu bon. J'ai voulu savoir la provenance de ce mal qui a touché presque du jour au lendemain l'auteur. Je referme ce livre avec une vraie prise de conscience : Et si ma manière de vivre pouvait m'amener, moi aussi, à vivre et ressentir une telle descente aux enfers ? Et si je devenais moi aussi sujette aux assauts terrifiants d'une migraine incessante ? Ce livre ne cherche pas à répondre à ces questions mais témoigne simplement des maux que notre société moderne est capable d'engendrer, de perpétuer et du manque de réaction, de volonté de changer de de la part de tous les acteurs aux objectifs purement lucratifs.
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Je suis trop harassé, trop peu en verve pour me traiter de tous les noms, mais j'en emprunte quelques-uns de circonstance, ceux de flibustier de carnaval, de moule à gaufres de tonnerre de Brest, de fesse d'huître à la graisse de cabestan, de marin d'eau de vaisselle, puni que je suis de l'orgueil d'avoir voulu naviguer quand ma place serait auprès d'un ronronnant poêle de fonte vert wagon dans une grande maison silencieuse, et que ma seule occupation devrait être de me casser les noix de mon jardin, perclus de solitude et de spleen mais malgré tout convalescent.
A dix-sept ans j'ai fait mienne la philosophie de poche du "ni dieu ni maître, de l'amour, des livres et du vin", sans rien en retrancher depuis lors, sans rien y ajouter que d'autres alcools et des vices dont à l'époque je n'avais pas les moyens, grâce à quoi je le crois j'ai joui d'une santé de fer et d'un sixième sens, celui de la dérision, ainsi que d'une heureuse prédisposition à ne jamais craindre l'adversité.
J'étais si fatigué de la station assise que j'aurais volontiers marché jusqu'à l'aube, voire jusqu'à Saint-Jacques-de-Compostelle tant semblent rares aujourd'hui les chemins qui n'y mènent pas, l'un des nôtres nous ayant fait la surprise d'être répertorié comme tel, chemins dont la fréquentation devient si grande que le balisage y est moins constitué de coquilles Saint-Jacques stylisées que de feuilles de PQ usagées, les excursionnistes faisant partout l'aumône de leurs étrons et muant leur peu pieux pèlerinage en compostage itinérant.
Sachant pertinemment que cette barcasse ne coulera pas aujourd'hui juste pour faire son intéressante au journal de 20 heures et me mouiller dans la combine, je m'enfile dans ses entrailles avec la sérénité du colombin qui ne doute pas une seconde d'être chié à bon port (mon épuisement ne serait-il pas cause d'un petit relâchement métaphorique?).
J'adore le cormoran quand il bat et fait mousser le fleuve avec l'ardeur d'une grosse lavandière sous ecstasy, et puis devient sorcière sitôt qu'il vole, souvent bas au-dessus du flot, ailes et corps confondus en une cape noire largement déployée à l'arrière de son cou long et raide comme un manche à balai.
Samedi 4 août 2018, dans le cadre du banquet d'été ?Dans la confusion des temps? qui s'est déroulé à Lagrasse du 4 au 10 août 2018, Marie Ndiaye lisait plusieurs textes, accompagnée de Jean-Yves Cendrey.
Le premier texte est extrait de Berlin mon garçon, une pièce
que l?écrivaine vient d?achever et qui sera montée au printemps 2019
au Théâtre national de Strasbourg par Stanislas Nordey. le second
est le début d?un projet en cours : un monologue, celui d?une femme
qui a passé sa jeunesse à Oran et dont l?existence actuelle à Royan
est rongée, travaillée par les réminiscences de ces années en Algérie
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