Ce livre est assurément de ceux qui réconcilient avec la vie.
Il est drôle.
Mais il est aussi insolent, imaginatif, narquois, intelligent, mensonger, jubilatoire, provocateur, sincère, subversif, féministe et phallocrate, judicieux, moqueur, logique, vulgaire et distingué, malin, tendre, monstrueux et diablement bien écrit ...
Les dessins sont de l'auteur.
Peut-être les a-t-il recopiés des murs de la grotte où se terraient Khrosilex et la tribu des Peaux-de-Vache ?
L'homme de Lascaux n'était-il, à côté de lui, qu'un vulgaire gribouilleur ?
Peut-être ? Mais là n'est pas l'essentiel !
Car la question qui nous occupe est de savoir si l'on a, ici, affaire à un grand ouvrage scientifique qui ouvre la porte à une nouvelle réflexion sur l'homme ?
Le programme se décline en 25 leçons d'Histoire où Cavanna aborde un problème essentiel et immense, celui des origines et du développement de l'humanité.
Cavanna entretient avec l'Histoire des rapports tout à fait personnels.
Il mêle à sa réflexion un petit peu de fantaisie, un tout petit peu ...
En fait, on peut dire qu'il est un archéologue-de-mes-fesses !
Ne prétend-il pas avoir mis la main sur un document inestimable et sacré, sur une page extraite des carnets de croquis du créateur ?
Cette page serait conservée à la Bibliothèque Nationale sous le n° AB.5856.
Allons donc !
En fait, Cavanna est un trublion, un vieil anar moustachu !
Avez-vous remarqué comme le vieil anar est souvent moustachu ?
Mais il est aussi et surtout un formidable intellectuel.
Et s'il ne semble pas toujours prendre la pensée avec tout le sérieux que lui prêtent les philosophes agrées, assermentés, reconnus et asservis, Cavanna ne lui fait jamais de concession.
Il fait rire et sourire en appuyant là où est la douleur.
J'ai eu la chance de lire tard ce livre, tard dans ma vie, si tard qu'il m'a été facile, presque logique d'en extraire, par dessus la rigolade, toute l'épaisseur de la leçon.
... "Et le singe devint con".
Cela donne à réfléchir !
Et si, finalement, tout ce qu'on nous raconte d'un peu différent, c'était des mensonges ? ...
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Bien sûr, ce livre est assez daté mais reste jouissif (humour, caricatures, pensées volontairement naïves et décalées...).
L'invention de la propriété, du commerce (entre ceux qui n'avaient que des aurochs et ceux qui n'avaient que des pruniers), du capitalisme (ceux qui avaient le monopole géographique pour échanger des aurochs contre des prunes, et qui bien sûr en profitaient), de la monnaie etc....
Cette partie du livre est vraiment éclairante et hilarante.
Je n'ai pas pris autant de plaisir lors de cette relecture qu'à la première lecture (à sa sortie) mais c'est évidemment car je l'avais encore trop en mémoire.
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’Homme tourne le coin de la rue et retrouve le paradis
Les gens qui ne travaillent pas ne s’ennuie jamais. Les gens qui travaillent s’ennuient quand ils ne travaillent pas. C’est une grande loi de la nature, on n’y peut rien, c’est comme ça.
Et c’est très moral, en plus.
L’Homme des premiers âges ne s’ennuyait pas, car il ne travaillait pas. C’est sa femme qui travaillait. Mais elle ne s’ennuyait pas non plus, car elle n’arrêtait jamais. Ils étaient donc très heureux tous les deux, c’étaient deux sourires perpétuels, sauf qu’il fallait souvent changer de femme.
Le jour où l’homme des premiers âges voulut avoir sa cadillac comme tout le monde, il tâta le travail du bout du doigt, juste pour voir, et crac, c’était fait. Corps et biens. Le travail, c’est comme ça. Faut pas jouer avec.
Le travail ne peut pas durer tout le temps, ce serait inhumain. Il faut bien que le patron se repose. Et comme pendant ce temps-là il ne veut pas laisser les ouvriers tout seuls dans son usine pour qu’ils la lui fauchent, il les met dehors jusqu’au lendemain. Ça s’appelle les loisirs. Les loisirs, c’est quand on donne des coups de pied dans les cailloux en crachant par terre.
L’Homme commença à s’ennuyer tellement pendant les loisirs qu’il fut prêt à faire n’importe quoi pour échapper à cette épouvantable torture, sauf réparer la porte de la salle de bain.
L’ennuie est la mère de l’invention et la tante de la collection de timbres. Je sais, Victor Hugo l’a dit avant moi, mais on ne le répètera jamais assez.
Pour ne plus s’ennuyer tout seul, l’Homme inventa de s’ennuyer ensemble. Il eut des copains. C’était bien la première fois. Depuis la nuit des temps, l’Homme avait toujours été un loup-garou pour l’Homme. Jamais deux Hommes ne s’étaient approchés l’un de l’autre à moins de deux mètres pour autre chose que se faire du mal avec des objets étudiés pour ça. Eh bien, maintenant, le soir, après le travail, l’Homme se mit à rencontrer d’autres Hommes, et il n’eut pas envie de les tuer. Ce que le travail fait de nous, c’est pas croyable… Il les appelait ses copains.
L’Homme et ses copains se tenaient debout, bien groupés, dans une attitude tout à fait particulière que vous trouverez fidèlement reproduite sur la figure 1. Il restaient très longtemps comme ça. Leurs yeux étaient vides, leur lèvre inférieure pendait un peu. De temps en temps, l’un ou l’autre ouvrait la bouche, mais rien n’en sortait. Toutes les demi-heure environ, ils changeaient de pied. De bras aussi, conséquemment.
Ils seraient restés comme ça jusqu’au matin si leur femmes n’étaient venues les chercher avec des paroles blessantes où il était question de triste feignant, de soupe qui refroidit et d’exemple pour le gosse, et alors, bon, ils rentraient à la maison en tapant sur le femme.
Ils sentaient qu’il leur manquait quelque chose, qu’il leur manquait des tas de choses. Mais quoi ?
Ce qui leur manquait, moi je vais vous le dire. Parce que si nous attendons qu’ils trouvent tout seuls, nous en avons pour cinq mille ans.
Ils leur manquait cinq choses :
1. Un comptoir pour mettre sous leur bras.
2. Un verre pour mettre sur le comptoir.
3. Un mégot pour mettre à leur lèvre, l’inférieure, celle qui pendait un peu.
4. Des bretelles
5. Un sujet de conversation.
Tout ça, ils ont fini par l’avoir. Petit à petit. Mais pas dans l’ordre, ç’aurait été trop beau. Il y eut une période où ils avaient des bretelles mais pas de comptoir. Une autre où ils avaient un comptoir, un mégot, mais pas de bretelles (la mode était aux toges qui tiennent sans bretelles, cette année-là).
Le sujet de conversation, ils l’eurent tout à fait en dernier, parce que naturellement c’est plus difficile. Vous comprenez, il faut déjà savoir causer, et d’une. Après, il faut avoir de la conversation. Troisièmement, la conversation c’est pas tout, encore faut-il avoir un sujet de.
Les sujets de conversation susceptibles d’exister dans l’univers à trois dimensions du modèle courant sont au nombre de quatre, pas un de plus. Les mathématiciens les plus instruits sont tous d’accord sur ce point.
Liste complète des sujets possibles de conversation :
A. Les filles.
B. Le sport.
C. La politique.
D. La fois où on s’est tellement soûlé la gueule.
Et c’est tout.
A cause de la pluie, ils mirent un toit au-dessus d’eux. A cause de leurs femmes, ils mirent des murs sous le toit. Ça devenait très intime. Ils appelèrent ce lieu une maison de la culture. En abrégé :
BISTROT.
L'Homme n'est pas un mammifère spontanément poli. Ou alors c'est qu'il a une idée derrière la tête. Si je ne haïssait pas le calembour plus que tout au monde, je dirais que la pierre fut polie longtemps avant l'Homme.
Au VIIIème siècle avant notre ère, un grand savant, Hippocrate Bouche-en-Cul-de-Poule, fit remarquer que, seuls, les gros ventres des Femmes donnent parfois des bébés, alors que ceux des Hommes donnent toujours du lard ou de la colique. Une étape importante était franchie. Restait à savoir lequel, parmi les nombreux gestes de la journée de Femme, avait entraîné cette conséquence : un gros ventre avec un bébé dedans. (p. 44)
D'où vient l'homme ?
Ici, pas d'hésitation possible.
L'homme descend du singe en passant par Adam et Abraham, le Concile l'a permis.
Laissons un instant notre imagination vagabonder à l'époque solennelle où l'homme qui était dans le singe décida d'en descendre ...
Euclide fonda la Géométrie. C'est à son génie que nous devons les immortels théorèmes qui ont conduit tant de lycéens à la Légion étrangère.
1/5 François Cavanna : À voix nue (1994 / France Culture). La semaine du 23 juin 2014, France Culture rediffusait une série de cinq entretiens enregistrés avec François Cavanna en 1994 pour l'émission “À voix nue”. Par Ludovic Sellier. Réalisation : Christine Robert. Rediffusion de l'émission du 17/01/1994. Avec la collaboration de Claire Poinsignon. 1) La mémoire de la ville : de la "folie patrimoniale" au "tout progrès"
François Cavanna est né en février 1923 (et décédé le 29 janvier 2014) d'un père italien et maçon et d'une mère morvandiode, et si l'usage de son prénom s'est un peu perdu, il a conservé son accent des faubourgs. Ecrivain, après avoir débuté dans la presse comme dessinateur, Cavanna est devenu rédacteur en chef de "Charlie Hebdo" et le fondateur de "Hara Kiri", il a conservé le goût de la formule et les saveurs d'une langue truffée d'onomatopées.
Invité :
François Cavanna
Thèmes : Littérature| Littérature Contemporaine| Mémoires| Presse Ecrite| François Cavanna| Charlie Hebdo
Source : France Culture
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