1/5 François Cavanna : À voix nue (1994 / France Culture). La semaine du 23 juin 2014, France Culture rediffusait une série de cinq entretiens enregistrés avec François Cavanna en 1994 pour l'émission À voix nue. Par Ludovic Sellier. Réalisation : Christine Robert. Rediffusion de l'émission du 17/01/1994. Avec la collaboration de Claire Poinsignon. 1) La mémoire de la ville : de la "folie patrimoniale" au "tout progrès"
François Cavanna est né en février 1923 (et décédé le 29 janvier 2014) d'un père italien et maçon et d'une mère morvandiode, et si l'usage de son prénom s'est un peu perdu, il a conservé son accent des faubourgs. Ecrivain, après avoir débuté dans la presse comme dessinateur, Cavanna est devenu rédacteur en chef de "Charlie Hebdo" et le fondateur de "Hara Kiri", il a conservé le goût de la formule et les saveurs d'une langue truffée d'onomatopées.
Invité :
François Cavanna
Thèmes : Littérature| Littérature Contemporaine| Mémoires| Presse Ecrite| François Cavanna| Charlie Hebdo
Source : France Culture
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« J'emmerde les héros, les martyrs, les causes sublimes, les dieux crucifiés et les soldats inconnus. Je suis rien qu'une bête, t'as raison, une pauvre bête traquée, j'ai l'intention d'essayer de survivre dans ce monde de dingues enragés qui passent leur vie à tout massacrer pour sauver la patrie, pour sauver la race, pour sauver le monde, pour assurer l'harmonie universelle. Ou pour gagner plus de fric que le voisin... Qu'ils crèvent dans leur pisse ! Ils auront pas ma peau. Ni celle de ceux que j'aime. »
"Les Russkoffs".
4. Or Dieu n'avait encore rien créé. Puisque c'était le commencement.
5. Pour créer, il faut non seulement être Dieu,
6. Mais encore il faut savoir qu'on est Dieu.
7. Or Dieu ne savait pas qu'Il était Dieu,
8. Puisqu'Il était tout seul.
9. Pour savoir qu'on est Dieu, il faut être deux :
10. Un qui est Dieu, et l'autre qui Lui dit : " Mon Dieu ".
11. Car on ne peut pas être Dieu tout court. On ne peut être que le Dieu de quelqu'un.
12. Or Dieu était tout seul.
13. Il n'était donc le Dieu de personne.
Je me suis aperçu que, si le travail bien fait est source de joies puissantes, la paresse savourée en gourmet ne l'est pas moins.
Tous les jeudis matin, jour sans classe, j'allais avec un cabas à la bibliothèque municipale...
On avait droit à deux livres à emporter par personne inscrite, alors j'avais inscrit papa et maman, ça me faisait, comptez avec moi, six bouquins à dévorer par semaine.
On choisissait sur catalogue, mais les titres qui vous faisaient envie étaient toujours en main, il fallait faire une liste par ordre de préférence, la barbe, j'aimais mieux fouiner dans les rayons et me laisser séduire par la bizarrerie d'un titre ou les effilochures d'une très vieille reliure. J'aimais les livres énorme .
Beethoven était tellement sourd que, toute sa vie, il a cru qu'il faisait de la peinture.
« Que celui qui n'a jamais péché demande à son voisin de lui raconter. »
L'Homme n'est pas un mammifère spontanément poli. Ou alors c'est qu'il a une idée derrière la tête. Si je ne haïssait pas le calembour plus que tout au monde, je dirais que la pierre fut polie longtemps avant l'Homme.
Tant que je pourrai écrire une ligne, je serai présent parmi les vivants.
Les pauvres ont un plumier, creusé dans un bloc de hêtre et fermé par un couvercle coulissant qui se coince à tous les coups. Il y a aussi des plumier en carton bouilli verni noir avec des fleurs dessus, très jolis, mais ceux_là font gonzesse, on les laisse aux filles. Les riches ont des trousses en cuir imitation croco que tu dirais du vrai, avec dedans, des petites brides pour tenir en place les crayons et tout le bazar, vachement bien foutues, tiens, il y a la bride pour le taille crayon, la bride pour la gomme, la bride pour le compas, si tu te trompes et que tu essaies d'enfiler un truc à une place qu'est pas la sienne, ça marche pas, y a rien à faire, finalement être riche, c'est pas tellement marrant, en plus qu'ils ont des beaux habits qu'il ne faut pas qu'ils salissent, des pull-overs avec des dessins dessus, des pantalons de golf que nous on appelle des culottes à chier dedans, s'ils filent un coup de pied dans un gros caillou pour jouer au foot, crac, ils s'écorchent les belles tatanes en cuir jaune. Nous, nos affaires, on les bourre en vrac dans nos plumiers, nos tabliers noirs, on n'a pas les jetons de les dégueulasser, ils sont faits juste pour ça, et nos tatanes, c'est des galoches avec la semelle en bois, quand tu cavales sur les pavetons, tu dirais la grande guerre, et quand tu loupes le ballon, et que le copain prend ça sur l'os du devant de la jambe, là où qu'il y a juste la peau et pas de viande, qu'est-ce que ça fait mal, la vache !
Il y a aussi des animaux qui ne sont ni utiles ni nuisibles parce qu'ils ne servent à rien mais ne détruisent pas les récoltes, comme par exemple, la cigale et la fourmi. La fourmi est travailleuse, elle n'arrête pas de porter des bouts de bois sur son dos toute la journée en courant sur ses petites pattes. Nous devons admirer la fourmi et nous inspirer de la leçon qu'elle nous donne. La cigale est une grosse feignante qui ne pense qu'à rigoler et à chanter, on l'a appris dans une fable de La Fontaine qu'il fallait réciter par coeur. Le maître nous a expliqué qu'il fallait comprendre cette fable avec finesse parce que ça fait semblant de parler d'animaux comme la cigale et la fourmi, pour ne pas vexer les gens humains, mais que si tu es instruit, tu comprends que la fourmi, ça veut dire les enfants travailleurs et la cigale les gros paresseux, comme par exemple, les mauvais sujets au fond de la classe. Ça nous faisait réfléchir profond et on était bien contents d'être des bons sujets ou des moyens sujets, et alors on regardait au fond de la classe tous ces mauvais sujets qui allaient finir misérablement comme la cigale, peut-être même sur l'échafaud...