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EAN : 9782366260175
144 pages
Christophe Lucquin (21/08/2014)
3.9/5   15 notes
Résumé :
Lento est un enfant particulier. L’heure est maintenant venue pour lui de sortir au grand jour. Mais ce petit être prend son temps, petit à petit, il évolue vers le monde qu’on lui impose. Il sort d’abord la tête, puis une épaule, et, encore bien installé au chaud dans le cocon du ventre de sa mère, il contemple le monde extérieur, y trouve de la beauté, regarde les yeux brillants d’une infirmière, respire les odeurs, écoute le murmure des feuillages des arbres deho... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Qui est Lento ? Un autiste, un imposteur, un fou, un illuminé ou tout simplement un être différent parce que lent, mais alors extrêmement lent ?
Dès sa naissance, il met soixante-douze jours pour quitter le ventre maternel. Il prend sacrément son temps le bougre, mais " voir le monde sans éprouver ni la faim ni le sentiment d'abandon est un privilège " et surtout cela lui permet d'observer le monde dans lequel il arrive, sans peur, ni frustration, à son rythme. Une chance, il suffisait d'y penser !

Voilà donc le postulat de départ original de ce conte moderne qui impose progressivement son credo : ralentir, ralentir, ou au moins réfléchir à la possibilité de ralentir et profiter de tous les bienfaits d'une telle vie en s'ouvrant à des perceptions sensorielles accrues et inédites. En effet, c'est la conséquence majeure de sa lenteur : "Lento possède des capacités auxquelles nous n'avons pas accès, sa lenteur l'ouvre à d'autres perceptions. Il est un artiste qui se cherche."
Malgré des difficultés évidentes d'adaptation à la vie en société, un séjour pénible en hôpital psychiatrique, Lento se fait le chantre de la lenteur, "le représentant de l'innocence fondamentale" où tout devient possible.
Ses expériences de vie douloureuses ou agréables convergent toutes vers l'éloge de la lenteur et de la différence ; sa sensibilité exacerbée à l'écoute des autres, du monde qui l'entoure et de lui-même, le rend sympathique et l'on éprouve pour cet anti-héros une véritable tendresse, à l'instar des femmes qui l'entourent de leur amour, sa mère, sa psy et son amie.

J'ajoute que le récit prend pour moi toute sa saveur grâce à une belle écriture poétique, à la réelle qualité des réflexions qui jalonnent le récit, sans oublier les références à d'autres écrivains, musiciens ou peintres touchés par la lenteur, tels Rimbaud, Hardellet pour ne citer que mes préférés.
Séduite donc par ce court récit qui, sous la forme d'un conte, invite à ouvrir une parenthèse dans nos vies souvent bousculées, car ne l'oublions pas : le temps est un vrai luxe.
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« Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences.
Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car il arrive à l'inconnu ! Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé ! »

La lettre du voyant, écrite par Rimbaud à Paul Demeny le 18 mai 1871, est au coeur de ce conte de Antoni Casas Ros, un conte où la poésie est reine et exige « le dérèglement de tous les sens »

Comment notre société où règne la vitesse et la performance pourrait-elle accepter sa remise en cause par un être comme Lento qui met au coeur de la vie la lenteur qui seule permet une attention extrême une connaissance intime de tout le vivant.

Lento va atteindre la fine pointe de la perception et parvenir à ne faire qu'un avec ce qui l'entoure. Il pourra ainsi s'extraire du carcan dans lequel veulent l'enfermer ceux qu'il dérange.
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La vitesse et le temps. Quelle est leur ascendance sur nos vie ? Et si il existait des êtres qui entretenaient un autre rapport avec le temps ? La matière et le temps, par exemple. Voici une autre approche. La vitesse engendre le mouvement. Qu'arriverait-il si nous décomposions nos mouvements, si, naturellement, nous ralentissions ? Pourrions nous atteindre une autre dimension sur l'échelle de la réalité que nos traversons ? Lento, l'homme ralenti. Soixante-douze jours pour venir au monde. Hors norme ? Sans doute. Mais dans le monde du vivant, dans le monde qui nous entoure d'autre échelle de temps, de mouvement, coexistent. Temps géologique, astral, temps biologique. Lenteur...mais par rapport à quel mouvement, par rapport à quelle échelle ? Rendement ? Efficacité ? Compétitivité ? Injonction d'un élan général d'un monde qui le plus souvent ne sait plus pourquoi il va, ni même vers quoi. Un monde qui semble perpétuellement en fuite. Prisonnier d'un éternel mouvement devenu de plus en plus hypnotique.
Lento, personnage étonnant. Être fantastique, poétique, philosophique.
Prendre le temps, simplement.

Astrid Shriqui Garain
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Paru en août 2014 chez Christophe Lucquin éditeur, ce cinquième livre d'Antoni Casas Ros se lit au rythme de son héros Lento, comme une danse lente, une incursion dans le noyau des mots. Lento, enfant différent dès son entrée dans le monde, puisqu'il met soixante-douze jours à naître, et grandit, contemplatif et non conforme, en immersion ralentie et profonde dans ses perceptions, soutenu par une mère aimante et intuitive. Et la succession des phrases, simples et lumineuses, mettent le lecteur au diapason du métabolisme de Lento.

«Il aime que sa mère lui lise «Moby Dick». Lento est la baleine blanche. Il éprouve toutes les sensations de l'océan.»

Après avoir provoqué une fascination fanatique, du fait de sa naissance d'une durée inouïe, Lento est considéré comme anormal, et enfermé dans une institution psychiatrique pour y être «soigné». Là, il est sanglé, maltraité, contraint à la violence, car sa différence effraie la plupart des adultes.

«Lorsqu'il est seul la nuit, lorsque les cris cessent, il se rééduque. Il bouge les bras et les mains, les jambes et le buste le plus lentement possible. Il danse. Ce qui lui était naturel demande aujourd'hui du travail, une ascèse inverse, un retour à l'origine. Dès qu'il se sent observé, il reprend ses gestes saccadés, donne le change, il imagine alors la lenteur, survit dans l'invisible.»

Dénonçant une normalité trop étroite et souvent pathologique, et une vie effrénée et superficielle, cette fable politique aux accents mystérieux marque le lecteur de son empreinte poétique, comme Ascanio Celestini avait pu le faire dans «La brebis galeuse» de façon plus politique et percutante.

«Le monde est un immense asile psychiatrique où chacun se croit normal. le plus lent d'entre les lents n'arrête jamais sa course.»
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Lento est un conte. Un conte poétique et cruel, humain et hymne à la nature, totalement fou ou un peu "barré" et philosophique, léger et profond. C'est une ode à la lenteur, à l'observation des autres, de la vie quelle qu'elle soit, des vies diverses, celles des hommes bien sûr, mais aussi celles des autres êtres vivants, celles des minéraux. Lento est un être ultra sensible, en lien avec les éléments, perméable à toute forme de vie qu'il approche et il fait tout, malgré l'adversité, pour garder ce lien et même l'augmenter autant que faire se peut.
Tout débute par cette naissance en soixante-douze jours : "Il sort d'abord la tête de la vulve de sa mère, il sent le glissement des chairs sur son front, son nez souple, sa bouche. le menton passe. La tête entière émerge. Pour l'instant, il décide d'en rester là. Regarder avant d'aller plus loin. Peser le pour et le contre. Naître n'est pas un mouvement anodin puisqu'il implique la mort." (p.7) La suite, Lento la vit à son rythme particulièrement lent, il profite de chaque seconde, décide de vivre pleinement les douze sens décrits par Tom Mook (dont je n'ai pas trouvé de traces, est-il réel ? inventé par Antoni Casas Ros ?) : "La vue. le toucher. L'odorat. le goût. L'ouïe. La satiété/La faim. La kinesthésie/ le corps. La douleur/Le plaisir. La thermoception. L'équilibre. le langage. le sens du Je/ le sens de l'Autre." (p.37/38) Et il ira jusqu'au bout de ses expérimentations, s'imprègne des odeurs dans des pages sublimes de poésie qui décrivent sa rencontre avec A. Il peut regarder son linge sécher tout un après-midi pour voir le vent s'infiltrer dans les fibres, en chasser ou sécher les gouttelettes d'eau. Il est chaque fois en osmose totale -dans le sens premier de ce mot, à savoir le transfert d'une solution vers un autre, à travers une membrane semi-perméable- avec les éléments qu'il observe ou avec les gens qu'ils rencontrent. Mais sa lenteur est un handicap pour les autres qui l'enfermeront et voudront à tout prix lui faire acquérir de la rapidité. Lento, lui, en fait une force, celle qui lui permet de s'échapper des règles qu'on veut lui imposer.
Admirablement écrit, ce livre parle de tolérance, d'acceptation de la différence. J'ai pu parfois me perdre en des phrases ou des paragraphes plus ésotériques, mais à chaque fois, je retrouvais le fil quelques lignes plus loin, et les quelques passages un peu plus "barrés" ne m'ont jamais ennuyé grâce à l'écriture de l'auteur, poétique, tendre, fluide, qui colle parfaitement au personnage de Lento.
Antoni Casas Ros a déjà publié chez Gallimard. C'est une première pour lui chez Christophe Lucquin, qui édite un nouveau texte particulier, étonnant et fort ce qui est la marque de fabrique de la maison, de la vraie littérature qui change du prêt-à-lire qu'on trouve sur les rayonnages. Toujours en sa livrée élégante blanche avec un ou des points bleus.
Lien : http://lyvres.over-blog.com
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Respirer, humer est un acte révolutionnaire. Il suffit de flairer la société pour savoir qu’un changement radical s’annonce. A. imagine l’odeur de la liberté aussi prenante que celle de la folie. Le nez détecteur de névroses. L’odeur de la peur, celle de l’angoisse, celle de la prétention, celle de la superficialité. Le nez renseigne avec une précision redoutable. Il flaire le cœur et son absence, le courage et la lâcheté, l’intrépidité. Le nez pense moins que les autres sens, il est l’artiste de la perception directe. Marcher sur le tronc d’un arbre tombé sur la rivière, jouer avec le vent, rester en équilibre, bras ouverts, sentir l’espace complice, recueillir les informations des fluides et de l’oreille interne, se savoir dans l’espace, dans la légèreté, la lenteur, tout le corps à l’écoute, le corps oiseau.
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« - Tu n’es plus le même depuis deux jours, tu es comme dans ta peinture, tu flottes, tu voles, tu nages dans le bleu. Que se passe-t-il ?
- Je me sens libre. Plus rien ne peut me retenir.
En fait, ce ne sont pas les murs qui nous enferment, mais notre pensée.
- Tu me caches quelque chose…
- Non, tout est là, dans ma peinture. J’ai lu cette phrase dans Lourdes, lentes… d’André Hardellet, elle m’a beaucoup inspiré : « Presque chaque soir, vers neuf heures, je prends un bouquin et m’allonge sur mon lit. Souvent j’abandonne vite ma lecture ; commence alors l’étendue d’immobilité et de silence apparents où je découvre ma totale liberté. »
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Le moment le plus important de la journée : son voyage vers la lenteur. Remettre le corps en phase, rouvrir la sensibilité, ralentir chaque geste pour trouver le rythme juste, celui qui va l’accorder au monde. Lento aime penser son corps comme un instrument de musique. Les sens sont les cordes, la sensation le musicien invisible qui fait vibrer, l’orchestre le monde environnant. Lento veut rétablir la fluidité, la libre circulation et malgré les séquelles encore visibles du Speedoron, il sent que son corps en élimine peu à peu les traces. À "À travers champs", lui-même s’appelait le sous-marin. Il mettait toute sa force et toute sa volonté dans un périscope qui lui permettait de sortir de soi et de voir le ciel, l’espace infini, la mer, les oiseaux, les avions dont il aimait les sillages de crème dans l’azur. Il avait peint des sous-marins minuscules, flottant dans un espace bleu. C’est l’une de ces peintures qui avait éveillé l’attention de Julie. Elle avait compris la force de l’enfant, le pouvoir salvateur de l’imagination. Elle lui avait raconté comment Reinaldo Arenas avait survécu à des années d’enfermement dans les geôles castristes en imaginant des éléphants royaux. "L’imaginaire est le dernier refuge de la dignité". Elle lui avait fait lire "Arturo, l’étoile la plus brillante". Comment d’autres prisonniers avaient établi un dialogue avec un insecte, un rat, une blatte, une ombre sur le mur. La chimie psychiatrique vide le territoire de l’imaginaire. Le périscope lui avait permis de glisser le long tube dans ce vide, à en transpercer les cloisons, à traverser les flots et à se perdre dans le ciel. Il avait vu la lune, les étoiles, les satellites au mouvement trop régulier. Il avait vu la foudre, les orages, les éclipses, les nuages chassés par des vents rapides. Tout ce que l’enfermement intérieur tentait de gommer.
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Mes camarades se précipitent sur la nourriture, la saccagent plus qu’ils ne la consomment. Je n’ai pas cette frénésie-là. Je laisse venir les aliments. Chacun à son rythme. J’observe les couleurs, les textures. Le lissé, les velours, les creux, les vallées, les anfractuosités. C’est sans doute ce qui me fait préférer les fruits. L’aventure est plus profonde, jusqu’au cœur vertigineux. Le paysage raviné d’un noyau de pêche, sa noirceur et sa lave. Les fruits qui en sont dépourvus ont une structure plus flasque, comme la chair des boulimiques. Dureté au centre. Opposition des couleurs. Il faut mériter son noyau. Travail du corps. Les yeux fermés, je laisse danser la lenteur avec une perception toujours plus subtile de mes membres, de leur position dans l’espace, du relâchement des muscles, du contact du vent sur ma peau nue.
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Lento n’en finit pas de naître. Une femme, jambes ouvertes sur la table d’accouchement, face au corps médical stupéfait. Lent glissement vers la lumière aveuglante. Il défie les lois de la nature. Il impose son rythme. Il n’hésite pas à naître mais il prend ses aises, décide du tempo.
Il sort d’abord la tête de la vulve de sa mère, il sent le glissement des chairs sur son front, son nez souple, sa bouche. Le menton passe. La tête entière émerge. Pour l’instant, il décide d’en rester là. Regarder avant d’aller plus loin. Peser le pour et le contre. Naître n’est pas un mouvement anodin puisqu’il implique la mort. Une mort simultanée à la naissance ? Alors pourquoi ne pas attendre ? N’être pas tout à fait né c’est n’être pas tout à fait. Juste la tête pour ne pas mourir.
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