Entre ordinaire et extraordinaire, ce témoignage bouleversant révèle à la fois l'histoire musicale d'une personnalité mythique et la trajectoire des fans gravitant autour de leur idole. Ce livre, remet en question les idées préconçues relatives aux fans et redéfinit leur statut car si le mot « dévotion » peut être utilisé pour parler de l'amour absolu des fans pour leur star, il ne peut en aucun cas être confondu avec la soumission fanatique inhérente à la religion, comme le rappellera un des témoignages de ce roman, critiquant le peu d'études sérieuses effectuées par les médias ou les autorités scientifiques (psychologues, sociologues) à ce sujet.
Mais ce qui est poignant dans ce livre, c'est la réflexion humaniste et philosophique sur le sens de la vie qui peut parfois sembler assez désenchantée voire, désespérée par son extrême lucidité. Ainsi, le lecteur de plus de quarante ans échappe difficilement au caractère réflexif de l'oeuvre qui montre que tout un chacun essaie de donner un sens à sa vie et le rythme effréné de la quête de l'idole permet de mieux supporter l'existence dans toute sa répétitive platitude. Et en effet, peu de gens ont la chance de vivre de leur passion (ou de vivre passionnément). Devenir fan a permis à l'auteur comme à des millions d'autres gens, à travers l'adoration de Prince ou d'autres personnalités, de supporter la grisaille de leur quotidien :
« Eux qu'on prenait pour de doux dingues, les voilà devenus des gens actifs, responsables, heureux autant qu'on peut l'être, des gens comme les autres. Ils ont su mener leur barque. Ils ont trouvé un boulot, un nid, un rôle. Mais souvent, ils ne savent pas à quoi ça tient, ils ont le blues. Comme si, à leurs vies bien réglées, il manquait décidément quelque chose. Parfois, ils chassent l'impression qu'ils jouent à être des grands, que d'un moment à l'autre ils vont éclater de rire, changer de jeu. Et alors, un soir, quand tout le monde dort dans la maison où s'abrite la famille qu'ils ont construite, que cesse le tourbillon du divertissement, ils posent sur la platine poussiéreuse un vieux vinyle... ».
Au moment de la mort de Prince,
Fanny Capel ressent l'urgence de terminer un livre commencé depuis quelques temps et de rendre hommage à celui qui a occupé sa vie depuis 1988, date à laquelle elle est « tombée fan ». Ainsi, cette oeuvre, cette élégie ou ce chant mortuaire tel un thrène constitué de millions de voix, accompagne « le démiurge » parti pour toujours rejoindre les étoiles. Celles et ceux qui avaient entendu « la musique de leur rêve (comme on dit l'homme de ses rêves) », celles et ceux qui avait croisé une « musique faite pour eux, qui vivait en eux à leur insu bien avant qu'ils n'accèdent à sa forme objectivée, audible », celles et ceux qui avaient « reconnu sa musique comme la pulsation même de leur être », cette musique qui « les avait révélés à eux-mêmes » ce sont retrouvés seuls le 21 avril 2016, « amputés » de leurs rêves, de leur quasi double-vie d'initiés sans plus aucune alternative que de tâcher de recoller les fragments de leur être afin, je l'espère, de parvenir à créer le tableau de leur existence propre et y vivre réellement, pleinement et pourquoi pas, intensément :
« Oui, je me suis souvenue de ceux dont je ne connaissais rien, sinon les avatars qu'ils s'étaient choisis pour vivre cette vie rêvée auprès de lui… Raphy, Calhoun, Bahn, Chak… Vous, contraints de reprendre vos noms ordinaires, vos noms que j'apprenais seulement avec stupeur, maintenant que vous aviez décidé de signer vos messages, de jeter à bas le masque, le rideau définitivement tombé […]. Je vous découvrirais nus, fragiles, banals, vous que j'avais connus créatures magnifiques sous le halo surnaturel qui émanait de lui. […] Devant nous s'ouvrait un avenir inconnaissable, impossible à regarder en face. ».
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