Parmi les choses les plus importantes qui murissent en nous, il y a les rencontres différées.
Car à l'époque où les sagesses orientales se mirent à attirer d'innombrables adeptes, quand le renoncement aux visées de ce monde devint un phénomène de masse, il s'y mêla toujours une hostilité envers l'Esprit tel qu'il s'était développé dans les civilisations européennes. Ce fut une démolition générale, on en voulut surtout à la rigueur d'esprit; en refusant de participer au monde tel qu'il était, on se débarrassait du même coup de ses responsabilités envers lui. On n'allait pas se sentir coupable de choses dont on refusait de se mêler. "Vous l'avez bien mérité", devint une attitude très répandue.
La profondeur de tels yeux est incommensurable. Rien de ce qui s'y enfonce n'en atteint le fond. Rien de ce qui s'y perd n'en reparaît. Le lac de ce regard est sans mémoire; il exige et reçoit. Tout ce qu'on possède lui est donné, tout ce qui compte, tout ce dont on est fait au plus profond de soi-même. Il est impossible de dérober quoi que ce soit à ce regard. Aucune violence n'est exercée, rien n'est arraché. Tout s'offre de soi-même, avec bonheur, comme si cela n'existait, ne s'était fait que dans ce but unique.
On le sentait instantanément, mais qui aurait eu la force et la perspicacité de se le dire? Comment admettre cette chose monstrueuse : des yeux plus vastes que l’être auxquels ils appartiennent. Dans leur profondeur trouve place tout ce qu’on a pu s’imaginer et maintenant que cela se voit offrir un espace où se déployer, tout cela veut être dit
Il [Sonne] tenait à ne rien laisser se perdre d'une vie. Ce qu'un être avait une fois touché, il l'emportait pour toujours avec lui.(...) Il s'agissait de veiller à ce que rien d'une vie ne fût renié. La valeur d'un homme résidait dans sa capacité de conserver en lui tout ce qu'il avait vécu et de continuer à le vivre. Faisait partie de ce tout les pays où il avait séjourné, les langues qu'il avait parlées, les êtres dont il avait entendu les voix.(page 292)
http://le-semaphore.blogspot.fr/2014/.... Elias Canetti (1905-1994), l’éveilleur d’un futur antérieur : Une vie, une œuvre (1998 / France Culture). Émission “Une vie, une œuvre” diffusée sur France Culture le 19 novembre 1998. Par Catherine Paoletti. Réalisation : Anna Szmuc. Enregistrement et mixage : Marie-Dominique Bougaud, Philippe Bredin et Dimitri Gronoff. Elias Canetti, né à Roussé ( en Bulgarie le 25 juillet 1905 et mort le 14 août 1994 à Zurich en Suisse, est un écrivain d'expression allemande, originaire de Bulgarie, devenu citoyen britannique en 1952 et qui a longtemps résidé en Suisse. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1981. Canetti est souvent associé à la littérature autrichienne mais il couvre une perspective plus large. Son œuvre a défendu une idée pluraliste de la culture européenne dans sa richesse et sa diversité, liée à un parcours de vie singulier. Il est l'auteur d'analyses de grande envergure sur le XXème siècle et de réflexions détaillées sur les mécanismes humains et les modes de fonctionnement psycho-sociaux.
Son œuvre est composée de pièces de théâtre, d'un unique roman, d’essais, de recueils d’aphorismes et d'une autobiographie en quatre volumes.
Entre 1924 et 1929, il vit à Vienne où il étudie la chimie et est bientôt reçu docteur.
Pendant cette période, il entreprend de nombreux voyages à travers l’Europe, notamment à Paris, en Bulgarie et à Berlin… C’est également pendant cette époque charnière de l’histoire, où l’on peut entendre les premiers bruits de bottes en Allemagne, qu’il développe de façon autodidacte ses connaissances puis ses théories artistiques en participant à des rencontres d’intellectuels - des salons - et aussi en travaillant sur ses premières idées littéraires. Canetti fera la connaissance de Karl Kraus, un intellectuel polémiste, fondateur de la revue “Die Fackel” (“Le Flambeau”), qui aura une influence majeure sur lui. Il rencontre peu après sa future femme : Venetiana (dite Veza) Taubner-Calderon. Pour subvenir à ses besoins et pour écrire, il traduit en allemand plusieurs livres de l’anglais. Toutes ses activités le happent et le poussent à délaisser la chimie et son enseignement.
En effet, il va entre autres fréquenter les réunions qui s’organisent autour d’Alma Mahler, la veuve du compositeur Gustav Mahler, et entamer la rédaction de son roman “Die Blendung” (“Auto-da-fé”) ainsi que d'œuvres théâtrales. Il rencontrera des personnalités du monde de la culture comme Bertolt Brecht, George Grosz, Alban Berg, Robert Musil…
Le 15 juillet 2927, un événement marque à jamais sa vie et son œuvre : une manifestation populaire qui tourne à l’incendie du palais de justice de Vienne. Cela provoque en lui le désir d’analyser et de comprendre le rapport entre les comportements de masse et le pouvoir. Il étudie alors cette problématique centrale de l’histoire du XXème siècle jusqu’en 1960, date de la publication de l’œuvre majeure de sa vie, “Masse und Macht” (“Masse et puissance”), presque exclusivement consacrée à cette phénoménologie des masses ainsi qu'à l'illustration de toutes les manifestations du pouvoir politique : « Il se peut que toute la substance du 15 juillet soit entièrement passée dans Masse et puissance. » Canetti s'y débarrasse de toutes les théories préexistantes à l'époque et cherche à « arracher le masque » de la figure centrale du pouvoir qu'il nomme le « survivant », pour « prendre le siècle à la gorge ».
Avec :
Alain Brossat, professeur de philosophie à l’Université Paris-VIII
Youssef Ishaghpour, auteur de “Elias Canetti : métamorphose et identité” (La Différence)
Marc de Launay, philosophe et traducteur français de philosophie et de littérature allemandes
Gerald Stieg, professeur de littérature et civilisations allemandes et autrichiennes à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
Avec les voix d’Elias Canetti, Karl Kraus, Raphaël Sorin et Angèle Saül
Textes lus par Daniel Mesguich
Archives sonores : Dominique Jameux
Archives INA : Martine Auger
Sources : France Culture et Wikipédia
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