LES DÉBUTS DES ORIGINES... ET RÉCIPROQUEMENT !
L'
histoire de France, c'est quoi ? Ça commence quand ? A quoi cela sert (ou dessert) ? Comment en a-t-on parlé et comment encore pouvoir en parler aujourd'hui ?
C'est à ces questions-là ainsi qu'à quelques autres que l'historien
Sylvain Venayre, professeur à l'université de Grenoble et spécialiste, entre autres choses, du voyage au XIXème, se propose d'apporter quelques lumières. Ainsi, cette Bande-dessinée documentaire destinée à un public large tout en tâchant de maintenir un bon niveau d'explication va tenter de répondre, avec les moyens et les connaissances les plus actuelles sur cette thématique Ô! combien sensible de notre culture, à des questions relevant pour ainsi dire des domaines de l'histoire de l'histoire ainsi que, dans une certaine mesure, de philosophie de l'histoire. Mais que cela n'effraie ni ne repousse le potentiel lecteur : à condition d'être un tant soit peu attiré par l'histoire de notre pays, la mise en page, le parti pris narratif ainsi que les planches au dessins très vif et contemporain d'
Etienne Davodeau, déjà auteur d'un certain nombre de BD du genre, parmi lesquelles le très prenant "
Un homme est mort" ou, plus récemment, "
Cher pays de notre enfance : Enquête sur les années de plomb de la Ve République".
Ainsi allons nous suivre les pérégrinations ainsi que les discussions à bâtons rompus de six drôles de personnages (rejoints un moment par un septième, le plus célèbre des anonymes de l'histoire moderne...), visitant l'un après l'autres des hauts lieux de l'histoire de notre pays dans l'espoir très douteux d'y découvrir LE lieu de son origine.
Ces six personnages sont rien moins que le célèbre historien du XIXème siècle
Jules Michelet, accompagné de la paysanne-guerrière
Jeanne d'Arc, de la grande scientifique et deux fois prix Nobel
Marie Curie, du père et grand père de deux écrivains parmi les plus célèbres de notre littérature, le Général révolutionnaire Thomas-Alexandre de la Pailleterie dit
Alexandre Dumas, le premier de cette lignée mais aussi le plus oublié, un certain Jean-Batiste Poquelin, évidemment plus connu sous le pseudonyme de
Molière, comédien et dramaturge de son état ainsi qu'un drôle de citoyen, si l'on peut dire : après un passage par l'île d'Yeu, nos cinq compères se sont encombrés d'un cercueil dont l'occupant refuse à tout pris de sortir et d'approuver, en rien, les conclusions des autres... un certain Maréchal Pétain de sombre mémoire !
C'est à partir de la vision de ce dernier que la controverse peut prendre forme. le discours de l'homme de la collaboration, très idéalisé, très politisé, rétrograde et la plupart du temps faux, une fois confronté à l'épreuve des faits, relève en effet d'une certaine idée de l'histoire, celle du fameux "Roman National" dont il est à nouveau question ces temps-derniers, de celle d'un pays qui commencerait, selon les époques, les intérêts du moment, les entames de recherches plus ou moins scientifiques aussi, à la défaite de Vercingétorix à Alésia, au baptême de Clovis à Reims, à la révolution communale du moyen-âge, à la résistance de
Jeanne d'Arc face aux anglais ou, plus près de nous, à la Révolution Française.
Mais, comme le rappelle avec à propos le
Jules Michelet de l'album - lequel est, on s'en doute, la "caution" historique de l'ensemble, le "professionnel" aux jugements réfléchis et étayés par les faits et les recherches - il ne faut pas confondre histoire et légende (tel est, pour partie, le cas du fameux baptême de Clovis dont l'historicité telle qu'elle nous a été transmise suscite de nombreux problèmes factuels), pas plus qu'il ne faut oublier qu'origine et début ne sont pas de parfaits synonymes.
En examinant ainsi un certain nombre d'événements relevant souvent bien plus de l'image d'Épinal ou de la pure propagande d'une époque, y compris "républicaine", (parfois demeurée intacte jusqu'à nos jours),
Sylvain Venayre nous rappelle que "notre"
histoire de France est loin d'être aussi simple que ces quelques centaines de dates prises ici ou là selon les besoins politiques et sociologiques du moment, des antiennes répétées jusqu'à plus soif - "nos ancêtres les gaulois", "la terre ne ment pas", que la France s'est faite à l'intérieure de frontières "naturelles", etc -.
Une rencontre inattendue va intervenir au fil de cette balade : l'arrivée inopinée mais enrichissante du "fameux" soldat inconnu. Il va ainsi rappeler que l'histoire n'est pas faite que de grands personnages, de dates indélébiles, de guerres entre nations mais aussi des us, croyances et coutumes des populations au cours des âges, de leur participation directe ou indirecte à ces moments supposés significatifs de l'histoire.
Identiquement, nos bizarres routards vont croiser un migrant syrien aux abord de Calais, rappelant ainsi que nous ne sommes pas fait que d'une pièce, que notre langue est un joyeux mélange d'apports culturels divers, que notre pays s'est toujours enrichi, au cours des âges, de la diversité, de toutes les diversités. C'est aussi un moyen, pour les auteurs, de montrer que l'étude de l'histoire ne rime pas, surtout pas, avec passéisme. Qu'au contraire, une étude approfondie des temps antérieurs aux nôtres, pourvu que cela soit mené avec sérieux et toute l'objectivité possible, permet de mieux comprendre notre présent et peut-être même de mieux parvenir à dépasser les défis des années à venir.
Les discussions largement ébauchées dans cette première partie, originale, plaisante, quoi que parfois un peu didactique (mais est-il possible de faire autrement ?) sont reprise et développée dans la seconde, moins importante en page mais pas en contenu, sous forme de dossier thématique, complétant et consolidant les remarquables planches d'
Etienne Davodeau. On peut aussi s'étonner de voir notre cher
Molière se voir ici essentiellement cantonné à un rôle de bouffon, provocateur et un peu inconsistant, presque "beauf" par certains aspects, surtout utile pour tenter d'amener un peu de légèreté dans le fil d'un contenu assez dense, critique. Quant à
Marie Curie, elle intervient presque uniquement comme caution féministe née en dehors de nos frontières mais légèrement harpie sur les bords (même si les remarques qu'elle fait sur la place laissée aux femmes dans l'histoire "officielle" sont particulièrement justifiées), ce qui est aussi une manière de réduire les femmes, derrière toute la bonne volonté du monde. Enfin, on pourra éventuellement reprocher aux auteurs de faire eux-mêmes ce qu'ils reprochent si fortement aux générations passées, c'est à dire de faire de l'Histoire un lieu éminent de politique, de dogmatisme, d'idéologie, quand bien même les conclusions de leur propre vision de notre histoire aboutiraient à des résultats diamétralement opposés à ceux de temps plus anciens ou de discours politiques, passés et présents, des plus rances (représentés, on s'en doutera, par celui qui gît et refuse de sortir de son cercueil). Un certain manichéisme formel aurait peut-être pu être évité, à défaut d'un engagement humain et philosophique parfaitement audible et sans surprise lorsqu'on connait un peu le parcours de ces deux auteurs. L'autre écueil pourrait être celui du relativisme absolu à force de tout reprendre de zéro, de tout rendre relatif (à son temps, à une certaine lecture, à des intentions, etc). Nous n'y sommes pas, mais la ligne n'est pas si éloignée... Une fois dépassés ces quelques défauts (relativement réduits dans le corps du textes, même s'il posent divers problèmes plus larges), l'ouvrage se lit avec un réel bonheur, pose toutes sortes de questions fondamentales sur la perception de "notre" histoire, sur la manière que nous avons de l'enseigner, sur l'importance de l'imagerie dans notre perception du fait historique, sur les souvenirs que nous gardons de cet enseignement. Ils permettent aussi de réparer quelques injustices ou de corriger bien des invraisemblances pourtant considérées comme évidentes, etc. Ce volume des Origines (n'y sont, bien entendu, pas oublié les traces laissées par les hommes du néolithique, les chasseurs-cueilleurs, les premiers agriculteurs de l'ère des mégalithes, les celtes de l'âge du bronze, etc), c'est aussi une fable sur les origines de l'étude historique, de son utilité et de son utilisation par les uns ou par les autres. Qui a commencé ? Mais César, bien sûr ! Hum... Est-ce si évident ?
Projet réalisé au sein de "La revue dessinée" des éditions "La Découverte", ce premier volume prometteur devra toutefois être confirmé par les ouvrages à suivre : vingt volumes sont en effet prévus qui devront constituer cette collection "Histoire dessinée de la France". Ce travail n'avait jamais été réédité depuis la fameuse "
Histoire de France en Bande-dessinée", créée vers la fin des années 70 par les éditions Larousse et qui souffrait, au-delà de ses diverses qualités, de reprendre sans grand recul tous les poncifs, images d'Épinal de ce Récit National sujet de toutes les critiques, de toutes les controverses. Un ouvrage qui se situe dans la lignée de l'évolution actuelle de la recherche historique et que l'on peut aussi retrouver, avec d'autres focus, dans l'excellent ouvrage réalisé sous les auspices de
Patrick Boucheron, l' "
Histoire mondiale de la France".
Le prochain volume prévu ce mois de Novembre sera donc consacré aux gaulois, nos chers ancê... Ah, mais non !